avril 2023
Travailler dans le domaine des addictions, c’est évoluer auprès de personnes en situation de vul-nérabilité et de précarité dans un contexte social et politique qui ne fait pas grand-chose pour les aider. Les préjugés sur les consommatrices et consommateurs de drogues ont malheureusement encore la vie dure : les discours que l’on entend régulièrement sur la problématique du crack en sont témoins. Trente ans se sont écoulés depuis l’inscription de la politique des quatre piliers dans la loi, et depuis, le cadre n’a pas vraiment évolué. Les professionnel·le·s des addictions se heurtent ainsi régulièrement au moulinier de la répression, aux pressions financières et sociales et à la stigmatisation qui compliquent toujours leur travail.
Choisir de travailler dans notre domaine, c’est déjà s’engager pour le vivre-ensemble et la dignité humaine, même si, plongé·e·s dans nos projets, nos délais et nos soucis du quotidien, nous avons parfois tendance à l’oublier. L’engagement de notre réseau professionnel est immense et se décline en de multiples facettes.
Il y a, bien sûr, les initiatives politiques pour faire bouger les conditions-cadres et les lois. La récente victoire dans les urnes populaires de l’initia-tive « Enfants sans tabac » marquera durablement l’histoire de notre domaine puisque pour la première fois, les professionnel·le·s et les expert·e·s des addictions gagnaient une votation face à une industrie florissante et solidement implantée dans les couloirs du Parlement. À court terme, notre prochain défi de politique nationale sera la régulation du cannabis, et notre réseau y travaille depuis déjà plusieurs décennies. Le travail de plaidoyer politique se joue également sur la scène internationale, dans les méandres de grandes organisations telles que l’ONU.
Dans le quotidien, nos organisations et institutions ont régulièrement à faire avec les politiciennes et politiciens locaux, pour renouveler ou gagner de nouveaux financements, obtenir les moyens nécessaires pour effectuer notre travail dans de bonnes conditions et faire évoluer les prestations. Ce travail récurrent et nécessaire implique de savoir faire avec les différents échelons de la politique fédéraliste au gré des élections et de réexpliquer encore et toujours nos missions.
Mais l’engagement des professionnel·le·s des addictions ne se limite pas au champ politique. Au travers de nos nombreux moments d’échanges et de discussions, comme nous savons si bien le faire, nous réfléchissons à notre posture dans l’accompagnement de personnes en situation de vulnérabilités. Nous nous remettons en question et travaillons sur nos propres préjugés, notre propre relation à l’alcool et aux autres substances psycho-tropes, nos perceptions du monde qui peuvent parfois entraver plutôt que favoriser le rétablissement des personnes que nous accompagnons. S’engager aux côtés de personnes en difficultés, c’est également savoir écouter et se mettre en retrait afin de les laisser occuper l’espace qui leur revient.
Et last but not least, il y a évidemment toutes les personnes concernées, usagères et usagers, qui se mobilisent pour leurs droits, se révoltent contre la stigmatisation et qui s’engagent auprès de leurs pair·e·s. Leur courage est ici à saluer.
Ce numéro de Dépendances rend hommage à l’engagement multiple, professionnel et bénévole, militant et politique de notre réseau : cet engagement qui permet de faire bouger les lignes, évoluer les pratiques et bousculer les idées reçues dans leurs retranchements.
Camille Robert