septembre 2006
Interview de Françoise Dubois-Arber, Institut universitaire de médecine sociale et préventive, IUMSP, LausanneRéalisé par Jean-Félix Savary
Comment s’est passée la réflexion au sein de la CFLD?
La réflexion s’est étendue sur plusieurs années avec une série de hearings d’experts sur des sujets divers en rapport avec la politique drogue, suivis et accompagnés d’une réflexion spécifique de la Commission lors de plusieurs workshops. Ces workshops ont donné lieu aux divers chapitres du rapport, qui émanent en général de membres de la Commission et qui ont été discutés en commission et endossés. Je ne pense pas qu’il y ait eu d’influence des politiques de pays étrangers et le cube est un aboutissement de la réflexion de la commission sur les trois dimensions retenues (type de substance, pilier, rapport à la substance).
Les disciplines ont-elles vraiment toutes pu s’exprimer sur un pied d’égalité?
Oui.
Qu’apporte la prise en compte des différents types de consommation? Qu’est ce qui vous fait placer cette distinction au même niveau que les produits et les piliers de la politique drogues?
Il ne s’agit pas vraiment de «niveau», c’est un axe supplémentaire de réflexion. D’une part, il existe une consommation non problématique reconnue pour certaines substances (par exemple l’alcool où la consommation en petite quantité est à moindre risque que la non-consommation); d’autre part, la consommation problématique de certaines substances et la dépendance sont souvent des situations distinctes qui demandent des interventions distinctes (ce sont par ailleurs aussi souvent des diagnostics distincts au niveau individuel). Il a paru important à la commission que, pour chaque substance, on réfléchisse à ces différents rapports de l’individu (ou de groupes de personnes) à la substance et que l’on définisse s’il existe ces trois types de consommation et si des interventions spécifiques ou des recherches particulières sont indiquées.
Le cube intègre les substances, mais pas les comportements addictifs, comme le jeu pathologique par exemple. Pourquoi ne pas faire le pas?
Il y avait une certaine logique à se centrer sur les substances psychoactives. Il est par ailleurs tout à fait possible de faire le même type de réflexion avec le jeu ou d’autres conduites potentiellement addictives.
Peut-on vraiment mettre au centre de la réglementation, comme vous le proposez, la «dangerosité» des substances? Que faire des aspects socio-culturels?
C’est effectivement une proposition faite à la société de décider que ce que l’on appelle le poids de la maladie («burden of disease» en anglais), c’est-à-dire la morbidité ou la mortalité liée à la consommation des substances, soit ce qui guide les décisions en matière de réglementation. Actuellement, ce sont plutôt des aspects socio-culturels qui prévalent, par exemple la relative acceptation sociale de l’abus d’alcool, ou la tolérance sociale face à la publicité pour les cigarettes ou les boissons alcoolisées. Ceci dit, l’idée n’est pas d’aller vers une société sans consommation de substances psychoactives, cela n’a jamais existé, mais d’avoir un regard critique et une approche plus équilibrée face à ces consommations.
Le tabac est une substance à part et de nombreux professionnels mettent volontiers en avant la nécessité de poursuivre une réflexion parallèle (et disjointe) à une politique intégrée des dépendances. Qu’en pensez-vous?
La commission a justement estimé que, la nicotine étant une substance psychoactive à fort potentiel addictif et liée à une morbidité et mortalité importantes, elle devait être traitée comme telle, avec les autres. Le cube propose une réflexion qui englobe toutes les substances psychoactives en permettant des comparaisons et une meilleure cohérence dans les politiques menées. Une telle réflexion n’implique pas que les réponses politiques et sociales à telle ou telle substance soient identiques mais que, le cas échéant, des différences soient mieux explicitées et puissent être discutées.
Vous posez la question de la «transposabilité» des savoirs d’une substance à l’autre. Comment pourrait-on, grâce à ce transfert, mieux apprendre/construire une politique de régulation du marché des substances psychoactives?
L’idée du cube n’est pas de transposer automatiquement les savoirs mais de partager les savoirs et de confronter les expériences dans le but d’améliorer la cohérence des politiques. Si il y a transposition, elle doit être réfléchie, négociée, discutée.
Quelle place la spécificité des produits garde-t-elle dans le nouveau modèle du cube? Que répondre à ceux qui vous accusent de vouloir trop vite mêler les problèmes?
Le fait même que les substances soient une dimension du modèle implique que la réflexion soit différenciée, comparative. Qu’il puisse y avoir des convergences par la suite ne serait que la suite de ces réflexions.
Vous recommandez des programmes «obligatoires» de prévention et de dépistage, notamment à l’école. Cette notion d’obligation de dépistage ne peut-elle pas conduire à des dérives?
Il y a effectivement un problème avec cette phrase à l’emporte-pièce: ce que nous souhaitons, c’est que les programmes de prévention/promotion de la santé se généralisent et que le dépistage des problèmes s’améliore pour permettre des prises en charge précoces. Nous entendions bien par là la reconnaissance de problèmes (scolaires, sociaux, de consommation problématique) par les professionnels mais pas du tout le dépistage de substances (par exemple par des contrôles d’urine) ou autre dépistage intrusif ou systématique.
Que compte faire la CFLD suite à ce rapport? Quel est le sentiment qui prédomine après sa publication?
La CFLD souhaite stimuler le débat à ce sujet. Une première occasion de le faire a été la «SommerAkademie Sucht» du mois d’août qui a réuni des professionnels de tous les champs des dépendances. Pour l’instant, la réception du rapport est assez favorable, même si il y a eu peu d’échos médiatiques, affaire à suivre.