juin 2017
Thierry Favrod-Coune et Anne-Virginie Butty (HUG Genève)
L’activité sexuelle peut être vue comme un des besoins fondamentaux de l’être humain, tel que dormir, boire, manger, respirer ou éliminer. C’est ce qui a été proposé dans les années soixante par les pionniers de la physiologie sexuelle, le Docteur William Master et son assistante Madame Virginia Johnson1). Ces derniers ont aussi décrit pour la première fois les 4 phases de la réponse sexuelle, l’excitation, le plateau, l’orgasme puis la résolution (avec sa phase réfractaire, notablement plus longue pour l’homme que pour la femme). Ils se sont ensuite intéressés aux dysfonctions sexuelles. On ne peut passer sous silence la série télévisée (« Masters of sex ») inspirée par ses deux personnages phares de la sexologie.
Plus tard, c’est la sexologue américaine Helen Kaplan qui proposait d’intégrer le désir comme première phase de la réponse sexuelle. C’est sur la base de ces connaissances que nous décrirons ensuite les effets des substances psychotropes sur la fonction sexuelle. Cette dernière a été progressivement incluse à la santé globale de telle manière qu’en 2011, l’OMS définit la santé sexuelle comme suit:
«La santé sexuelle est un état de bien-être physique, mental et social dans le domaine de la sexualité. Elle requiert une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d’avoir des expériences sexuelles qui soient source de plaisir et sans risques, libres de toute coercition, discrimination ou violence.»
Dans notre société occidentale consommatrice et avide de plaisirs immédiats, l’activité sexuelle est valorisée, voire surinvestie. Pour autant, les aphrodisiaques, supposés augmenter le désir voir la performance sexuelle, tiennent une place importante depuis des millénaires. Les Latins ne considéraient-ils pas le mélange de poivre et de miel aphrodisiaque ? Et la corne de rhinocéros considérée depuis 2 millénaires comme permettant – entre autres – d’augmenter la libido surtout en Chine et au Vietnam ? Pour toutes les raisons énoncées ci-dessus, notre société favorise l’utilisation et l’émergence de toutes sortes de substances : l’alcool, le GHB, le poppers, le MDMA, la cocaïne, … Au service de tous ceux et celles qui espèrent accéder plus facilement à la rencontre sexuelle ou/et en augmenter l’intensité voir à vivre de nouvelles expériences. Peut-être encore les substances peuvent aider des personnes qui souffrent de troubles sexuels ou relationnels, timidité maladive ou angoisses autour de la rencontre et la sexualité, inhibition, trouble érectile, éjaculation précoce … ?
Nous allons donc aborder tour à tour les effets recherchés et éventuellement bénéfiques de ces substances sur la sexualité, puis leurs effets négatifs, qui les rendraient alors contre-productifs, pour terminer ensuite par l’incontournable « pilule bleue », substance prescrite, pharmacologiquement non psychotrope et indiquée dans les dysfonctions érectiles, mais combien de fois recherchée (et trouvée) sur le marché noir et utilisée pour augmenter la performance et certainement profiter d’un effet excitateur placebo.
Nous n’aborderons pas ici « le Slam », pratique consistant à utiliser par injection des psychostimulants (principalement méphédrone et dérivés) lors d’activités sexuelles « extrêmes » en groupe, principalement dans le milieu gay, reliés à une prise de risque massive tant au plan des consommations que des maladies sexuellement transmissibles 2. De la même façon, nous renonçons à aborder la métamphétamine qui dans certains pays et milieux est également connue pour provoquer une activité sexuelle très augmentée et risquée.
Un avertissement est ici nécessaire en cela que ce sujet ne repose pas uniquement sur des faits scientifiques avérés, la recherche disponible étant de faible volume et de faible qualité méthodologique (pas de grandes études contrôlées disponibles). Cela permet d’ailleurs aussi d’affirmer que la « pharmasexologie » reste un champ à explorer. La suite doit être donc prise plutôt comme des connaissances empiriques ou des hypothèses que des certitudes. Un deuxième caveat est de rigueur : les risques généraux et les mesures de réductions des méfaits ne seront pas abordés dans cet article, la deuxième partie traitant des effets négatifs des substances sur l’activité sexuelle. Enfin, aucune des lignes qui suivent ne doivent être lues comme une incitation à la consommation.
L’alcool a pour deux effets principaux la diminution de l’angoisse et la désinhibition, en grande partie à travers son action activatrice du système du neurotransmetteur GABAA. Sur le plan de la séduction et de la sexualité, à petite dose, cela confère à l’alcool un effet facilitateur social, et renforçateur sur l’excitation sexuelle, en levant les freins éducatifs et sociaux, éventuellement personnels reliés à l’intimité et l’activité sexuelle elle-même3. Il est intéressant de relever qu’une partie de ses effets peut être réellement pharmacologique à travers des modifications cognitives, et qu’une autre partie peut être la résultante d’un apprentissage social, soit d’un effet attendu parce qu’observé auprès d’autres personnes dans la société. La dose à laquelle un tel effet est maximal et n’entraîne pas d’effets indésirables sur le plan sexuel est difficile à préciser mais pourrait se situer dans la fourchette de la « facilitation sociale » soit entre 0.2 et 0.5 pour mille, ce qui représente une faible quantité d’alcool, selon le sexe et le poids entre 1 et 3 verres environ.
Le cas du GHB4 est bien particulier puisque réputé pour provoquer une augmentation du désir de contact physique et sexuel d’une façon plus marquée que l’alcool. Un effet libidineux est suggéré, en plus de celui de la désinhibition, même si son effet pharmacologique est très proche de celui de l’alcool, soit GABAergique. Cet effet lui vaut son appellation dans les milieux festifs et gay de « Liquid Ecstasy ».
Les poppers, soit nitrite d’Amyle, est un volatile utilisé en particulier dans le milieu gay, mais aussi festif, pour son effet euphorisant de courte durée (minutes). Ses effets physiologiques contiennent une relaxation musculaire et une baisse de la tension artérielle. Sur un plan sexuel, les poppers seraient connus pour leur effet aphrodisiaque et pouvant faciliter les rapports anaux grâce à leur effet myorelaxant.
Le MDMA (surnommé « Pilule de l’amour » et non du sexe) semble de façon contre-intuitive ne pas être relié à une augmentation de l’activité sexuelle, mais plutôt au rapprochement de l’autre sur un plan relationnel, voir sensuel, mais pas forcément sexuel5. En effet, l’augmentation de la dopamine intracérébrale surtout, mais aussi de la noradrénaline, semble clairement liée à une augmentation du désir et des fonctions sexuelles, tandis que la sérotonine, neurotransmetteur augmenté de façon plus marquée que la noradrénaline par le MDMA, serait plutôt entactogène, favorisant le rapprochement émotionnel voir sensuel des individus, mais liée à une diminution de fonctions sexuelles elles-mêmes (comme d’ailleurs souvent observé lors de la prescription d’antidépresseurs). Bien entendu, il est probable que cette étape puisse dans certains cas mener à une activité sexuelle plaisante, même si « secondaire » en particulier sous l’effet d’autres substances consommées en même temps (p.ex. alcool ou d’autres stimulants).
La cocaïne quant à elle est réputée pour provoquer une nette augmentation du désir sexuel, via son effet dopaminergique et noradrénergique. Il semble que la cocaïne soit parfois consommée dans un but sexuel, en particulier pour augmenter l’excitation ou prolonger l’acte sexuel, qui était le cas de 26.2% de consommateurs de cocaïne dans une étude effectuée dans les grandes villes européennes6.
Aucune donnée ne semble soutenir que le tabac ait une quelconque influence positive sur la sexualité humaine, même si on aurait pu imaginer qu’il puisse favoriser une forme de socialisation entre fumeurs, et comme stimulant, favoriser l’excitation sexuelle. Certaines études ont même démontré l’inverse, aussi bien chez l’homme que la femme.
D’une façon générale, il convient de mentionner les risques de relations sexuelles non protégées et/ou non-désirées, ou du moins qui ne l’auraient pas été sans être sous l’emprise d’une substance, et qui ne le seront plus une fois ses effets dissipés, p.ex. le lendemain. Le risque de grossesse non désirée et de maladies sexuellement transmissibles en faisant partie intégrante.
Les effets négatifs de l’alcool sur la fonction sexuelle sont évidents dès une prise régulière en particulier lors de consommation excessive7. La diminution des hormones sexuelles (œstrogène et testostérone par hypogonadisme central), l’augmentation de l’angoisse et la dépression, ainsi que la survenue à long terme de problèmes cardiovasculaire diminue l’envie sexuelle et peut provoquer des troubles de l’érection chez l’homme. Ces effets seront particulièrement potentialisés par la consommation concomitante de tabac, puisque la nicotine a été démontrée pour diminuer l’excitation sexuelle chez les sujets non-fumeurs8, et provoque des troubles importants de l’érection à court et long terme par la contraction des vaisseaux sanguins à court terme, et leur obstruction à long terme.
Les poppers ne semblent pas avoir d’effets néfastes sur la fonction sexuelle, sauf en cas de surdosage, un (pré-) coma étant peu compatible avec des relations sexuelles et les poppers étant difficiles à doser. Parmi les autres risques majeurs pour la santé, ils ne doivent en particulier jamais être mélangés aux médicaments des troubles érectiles car cela peut provoquer de graves hypotensions, suivies de crises cardiaques ou d’accidents vasculaires cérébraux. En outre, si les poppers sont bus au lieu d’être inhalés, l’intoxication peut mener au décès, un cas dramatique s’étant d’ailleurs produit dans la région lémanique 9.
Le MDMA provoque à travers la sécrétion de sérotonine une diminution des fonctions sexuelles. L’effet sur l’excitation semble varier selon les individus, mais il engendre des troubles de l’érection dès une dose moyenne à forte, et un retard de l’orgasme, voire une anorgasmie. À moyen terme, les symptômes dépressifs (« mid-week low ») engendrés par la substance sont plutôt associés à un retrait social et un désintérêt érotique ou sexuel.
La cocaïne quant à elle provoque dès une dose moyenne d’importants troubles de l’érection, et de la lubrification chez la femme. Les partenaires peuvent donc se retrouver avec une libido importante et l’intention d’avoir des relations sexuelles mais dans l’impossibilité d’en avoir. L’orgasme peut être retardé mais pas dans la même mesure qu’en présence de MDMA. Enfin, la consommation de cocaïne entraînant à terme une importante baisse de moral et fatigue, voire une perte pondérale, cela s’associe à une inhibition des fonctions sexuelles.
Nous terminerons cette revue non systématique des substances sur l’activité sexuelle en parlant des médicaments utilisés dans les troubles érectiles (sildénafil ou Viagra®, tadalafil ou Cialis®, et génériques) qui sont souvent achetés sans prescription médicale sur le net. Cela fait courir aux consommateurs un risque cardiovasculaire car en présence de facteurs de risques, la prise de ces médicaments doit être précédée par un bilan cardiaque ; en outre, des maladies provoquant la dysfonction érectile restent non diagnostiquées (hypertension, diabète p.ex.). Finalement, la composition des pilules vendues par le net est incertaine, pouvant aller d’un simple placebo (sans substance active) à des pilules adultérées10. Comme déjà mentionné, le mélange avec les poppers est à éviter à tout prix.
Même si les êtres humains ont toujours été à la recherche de substances pouvant améliorer ou intensifier leur vie sexuelle, et si certaines substances peuvent avoir une relative efficacité dans ce dessein, cela peut se produire chez des consommateurs occasionnels, en bonne santé, utilisant des petites doses de psychotropes.
Dès une utilisation plus régulière ou à des doses plus importantes, les effets néfastes des substances sur l’activité sexuelle deviennent prépondérants (troubles du désir, de l’érection ou de la lubrification, anorgasmie), et les substances supposées aphrodisiaques contre-productives.
C’est la dose qui fait le plaisir ! Et rien ne remplacera une bonne forme physique, le sexe au naturel, et une relation de couple de qualité !