décembre 2023
Les personnes usagères de drogues sont à la fois régulièrement au cœur de débats politiques et socialement marginalisées. Rendre visible la réalité des consommations est un enjeu de longue date, mais que se passe-t-il lorsque les facteurs d’invisibilisation se cumulent ? Les questions de genre, de parcours migratoire, de handicap, d’orientation sexuelle, d’origines sociales et culturelles : tout cela croise la question des usages et des addictions.
En 2022, le quotidien québécois La Presse publiait, sous la plume de Philippe Mercure, un grand reportage sur l’épidémie invisible qui sévit en Amérique du Nord depuis 2016. Au Québec, c’est plus d’un décès par jour qui est attribué à une surdose de drogue. Cette épidémie est responsable chaque année, dans cette province, de plus de décès que les accidents de la route. Pourtant, si l’on se prête au jeu de la comparaison, le gouvernement investit trois fois moins en prévention des surdoses que pour la sécurité routière. Cette crise passe relativement sous les radars, bien que les surdoses frappent partout, dans toutes les régions, toutes classes sociales confondues. Dans le monde, plus de 600 000 décès par an sont attribués à une surdose, dont environ 80 % sont causés par les opioïdes (https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/opioid-overdose). Or, ce problème est sous-investi par les pouvoirs publics, tout comme le grand champ de l’intervention en addiction.
Comment ce double standard peut-il se justifier aux yeux des autorités ? La réponse se trouve en partie dans le jugement que l’on pose, consciemment ou pas, sur la drogue et les personnes qui en font usage. Ces personnes, nous les invisibilisons parce que nous considérons trop souvent leur comportement comme immoral ou répréhensible. Nous minimisons l’impact social de cette mise à l’ombre, préférant taire les souffrances que nous exacerbons en continuant à traiter la dépendance comme un enjeu criminel ou comme une question de choix et de volonté. Ainsi, nous poursuivons le cycle de l’invisibilisation, poussant les personnes à consommer cachées, seules, sans personne pour les aider en cas de surdose.
Selon Bellot 2012 1, « les personnes qui utilisent des drogues par injection ou par inhalation, au même titre que tout être humain d’ailleurs, sont inter-reliées à leur environnement mais aussi sensibles et influencées par le regard des autres posé sur elles. À travers le mépris social qu’elles subissent, elles vivent des dénis de reconnaissance qui portent atteinte à leur existence même ».
Les politiques ont tendance à les catégoriser et à les identifier comme à risque, pour eux ou pour les autres. Ce qui contribue à rendre très, voire trop visibles, les enjeux perçus et à invisibiliser davantage les personnes qui font usage de drogues. On ne s’attarde plus que sur cette facette de leur vie, de leur existence. La consommation de drogue les englobe totalement, leurs parcours multiples s’effacent et ne suscitent pas l’intérêt.
Ce 8e numéro de la revue Addiction (s) : recherches et pratiques s’interroge sur la prise en compte des parcours dans l’accompagnement mais aussi dans la prise de parole et la citoyenneté des usagers de drogues et des personnes qui vivent avec une dépendance. Il cherche à mettre en lumière différents projets de recherche et d’intervention pratique qui poussent les personnes à émerger et à se rendre visibles. D’abord pour elles-mêmes, puis plus largement en faveur d’une société plus juste, plus inclusive. Une société qui apprend à regarder autrement pour voir ce qui ne se voit pas facilement au premier regard. Une société, une communauté au sein de laquelle les personnes qui font usage de drogues ou qui vivent avec une dépendance se sentent considérées et citoyennes à part entière.