décembre 2023
Pascale Hensgens (Fédito wallonne)
Au cœur de la vieille ville de Namur (Belgique), dans une ruelle piétonnière pavée, on peut apercevoir une porte bleue. Ici est installé SALMA (Soutien, accompagnement, liaison, maternité, assuétudes). Ce service de liaison et d’accompagnement psycho-médicosocial propose un soutien aux mères consommatrices de drogues. Il s’agit d’un projet porté par l’association Namur Entraide Sida qui offre par ailleurs un accompagnement aux personnes porteuses d’hépatite (SASHA) et un service d’échange de matériel d’injection (L’Échange). L’histoire de ce projet traduit le parcours d’un service qui navigue entre visibilité et invisibilité.
Bastien Grégoire, assistant social, Virginie Heuwelyckx, sage-femme et Maud Defays, éducatrice spécialisée ont mis la main à la pâte pour rendre SALMA convivial et serein. Ils y accueillent, depuis mars 2023, plus d’une vingtaine de mères avec des histoires de consommation (alcool-médicaments-produits illicites) ou sous traitement de substitution aux opiacés. 85 % d’entre elles vivent de l’aide sociale. Elles ont un logement ou sont à la rue, en maison d’accueil ou en milieu hospitalier. Pour certaines, l’entourage n’est pas au courant de leur consommation problématique. Les unes sont dépendantes à l’alcool, les autres à la cocaïne et l’héroïne, ou encore à des substances médicamenteuses avec évidemment des phénomènes de polyconsommation.
« Nous ne cherchons pas à être visibles, souligne Bastien Grégoire. Ce n’est pas un lieu secret mais discret. » « Nous voulions que cet endroit soit le leur et qu’elles s’y sentent en sécurité, ajoute Virginie Heuwelyckx. Nous ne sommes pas très distants du comptoir d’échange pour le public consommateur en rue. Nous n’avions pas envie d’être dérangés. »
Depuis 2014, SALMA proposait un accompagnement à domicile et tenait une permanence au sein du comptoir d’échange. En 2020, le moment était venu pour le projet d’avoir son propre espace mais c’était sans compter sur le Covid. Le lieu trouvé a dû être fermé. Puis les recherches ont repris. Sur le marché privé, les propriétaires sont frileux. « Dès que l’on parle d’assuétudes et de consommation, cela devient délicat, précise Bastien. Et le fait d’ajouter qu’il s’agit de mères ne simplifie pas la situation. Tous les vieux fantasmes se réveillent. Une mère – qui consomme – qui ne prend pas soin de ses enfants… ».
Au final, c’est avec la régie foncière de la ville de Namur qu’un accord est trouvé. Le loyer est assuré grâce à un financement de « Viva for Life », une opération de la télévision publique belge qui finance des projets au profit des enfants et des jeunes en situation de pauvreté. L’équipe est également financée par ce « mécénat », au total 1,5 équivalent temps plein. Elle bénéficie aussi du soutien des médecins, infirmier·e·s et psychologues du comptoir d’échange qui lui est reconnu par les autorités publiques comme service ambulatoire spécialisé assuétudes.
« Nous avons fait le choix de ne pas nous focaliser sur la dépendance au produit mais de partir de la demande des mamans, explique Bastien. Le premier entretien se déroule toujours avec l’usagère et la personne qui nous l’a orientée. Mais la femme peut aussi n’avoir aucune demande parce que c’est l’entourage ou le réseau de l’enfant qui en a pour elle. » Pas de pression mais le respect du rythme, l’équipe appelle cela « le chemin de la demande ». Elle propose des entretiens individuels avec comme premiers objectifs l’accroche et le lien. « Nous utilisons le support de l’engrenage (jeu en bois) pour aider les mères à comprendre que lorsqu’un élément bouge dans un système, les autres éléments bougent aussi. En plus du soutien individuel, nous travaillons à reconstruire un réseau d’aide autour de la mère. Et aujourd’hui, grâce à notre nouvel espace, nous pouvons proposer des activités communautaires et de vie en groupe. »
« Si notre double casquette parentalité/assuétudes rend la recherche de financement complexe, reconnaît Bastien, elle a souvent été aussi source d’incompréhension parce qu’avec nous les mères n’arrêtent pas nécessairement de consommer. Et généralement, lorsque l’on parle de notre service, la première question qui nous est posée est : et l’enfant ? » Or, il est difficile pour une mère de demander de l’aide par rapport à un problème de dépendance, d’autant plus pour les femmes enceintes. « Les femmes ont intégré la norme sociale : on ne peut pas être mère et consommatrice de produits psychotropes. »
Pour l’équipe, l’invisibilité est aussi bien le fait des femmes elles-mêmes que des professionnels. La culpabilité pour les femmes, les préjugés et la peur du consommateur pour les professionnels sont des éléments renforçant cette invisibilité. À l’inverse, l’équipe s’investit pour soutenir ces mamans, pour visibiliser le fait qu’il est possible de faire vivre le lien entre assuétudes et parentalité. De pouvoir en parler, sans être jugées, et trouver des solutions ensemble.