février 2021
Une scission procède d’une volonté de séparer en deux un même univers, sur la base de points de doctrines considérés comme particulièrement importants. En effet, il existe toujours des spécificités et des différences qu’il serait vain de vouloir nier. Il existe toujours de très bonnes raisons pour diviser, cloisonner, séparer et in fine, créer de nouvelles catégories qui peuvent devenir hermétiques, voire conflictuelles. Quand on y regarde de plus près, il y a souvent des intérêts particuliers qui, dans une situation donnée, permettent de mieux éclairer et les comprendre. Le grand schisme d’Occident se lit ainsi au travers de la situation politique particulière qui traverse l’Italie au XIVe siècle. Dans la jeune nation des USA, l’économie esclavagiste croit n’avoir plus rien en commun avec le Nord qui s’industrialise, et provoque la guerre civile. À peu près à la même époque en Suisse, le Sonderbund cristallise la rupture entre une Suisse rurale et montagnarde et les besoins de centralisation des villes. Ces exemples montrent que les scissions ne sont ni naturelles ni immuables, mais qu’elles sont surtout réversibles.
Il en va de même pour les addictions et le handicap. Ces deux domaines n’ont pas toujours été si distincts. Le cloisonnement dans lequel ils se trouvent aujourd’hui est le produit d’une histoire. Ici, les motivations financières se conjugent à cet arrière-fond moral qui stigmatise les personnes dépendantes.
À l’époque, certains partis à l’extrémité de la droite accusent les assurances sociales de favoriser les paresseux et les fraudeurs. L’éloge de la volonté, sur laquelle s’est construite notre civilisation occidentale, se marie mal avec la compréhension que nous avons alors des addictions. La personne qui s’installe dans une consommation chronique serait ainsi suspecte et coupable de sa situation. Au même moment, la politique des quatre piliers se met en place, avec ses financements fédéraux qui soulagent des cantons dépassés et mettent en place le référentiel de santé publique. Nous aurons désormais deux dispositifs, deux législations, deux référentiels distincts, qui suivent chacun sa propre logique.
S’il y a de bonnes raisons pour scinder, il y en a tout autant pour se rapprocher : personnes en situation de handicap consommatrices de psychotropes, personnes en situation d’addictions qui développent des handicaps, marché du travail, stigmatisation, combat pour la citoyenneté, etc. Les articles de ce numéro montrent à quel point nous avons à apprendre du domaine du handicap. Après la vague de (sur) médicalisation des dépendances, une fois passé l’orage des réductions indifférenciées de prestations dans le champ du handicap, il est temps de nous retrouver. Nous avons tant à apprendre. La fécondation réciproque de nos deux domaines nous fait miroiter l’espoir de nouvelles visions, plus respectueuses des droits, de la personne, des spécificités de chacun. Les voyants sont au vert et il est temps de retrouver nos anciens amis du monde du handicap. Une année après le retentissant arrêt du Tribunal fédéral qui réintègre l’addiction dans les motifs légitimes d’incapacité de travail, on apprend que l’OFAS nomme au poste de vice-directrice Astrid Wüthrich, rédactrice de la Stratégie Addiction lors de son passage à l’OFSP. Ensemble, nous serons plus forts et plus intelligents. Plongeons-nous sans réserve dans ces nouvelles collaborations qui s’annoncent !
Jean-Félix Savary