avril 2020
Le rétablissement acquiert aujourd’hui une place nouvelle. Voici plus de 15 ans, Dépendances posait déjà la question : le rétablissement, un nouveau modèle pour les addictions ? Depuis, le point d’interrogation a disparu et il s’impose à notre domaine. Issu des usagers de la psychiatrie, il s’éloigne d’une vision linéaire et mécanique du changement et redonne de l’espace à la personne. Mais si cette réflexion critique a aujourd’hui conquis le monde, force est de constater que les pratiques n’évoluent pas toutes à la même vitesse. Le rétablissement n’est pas une sorte de novlangue, qui permet de résoudre les problèmes en changeant le nom de ce que nous faisons. L’enjeu est trop important. Le rétablissement pose des exigences élevées aux professionnels et aux institutions. Les assurances sociales en Suisse fonctionnent à l’opposé de cette logique, comme bon nombre de processus de soins. Et pourtant. L’adoption du modèle du rétablissement nous oblige et ne pourra éviter de creuser en profondeur ces questions délicates. Les droits humains sont à ce prix, celui du partage du savoir, celui d’être bousculé dans ses convictions, celui du devoir de faire place à l’autre. Le monde regorge de différences et les droits humains appellent à les prendre en compte, à les respecter, à accepter d’être dérangé par elles, à apprendre à les aimer plutôt qu’à les réduire.
La force du mouvement s’explique par la profondeur des changements qu’il demande au système d’aide et de soins. Concrètement, il appelle un nouveau rapport entre le soignant et le soigné. Ce dernier retrouve une marge de manoeuvre par rapport au premier. Il restaure une capacité d’agir (empowerment) pour les personnes concernées, en mettant à distance le caractère parfois stigmatisant du diagnostic. Le soignant perd la magie de son pouvoir d’expert. Cela demande un effort considérable, qu’il serait vain de nier. Après des siècles de paternalisme sanitaire, l’assouplissement du système prend du temps. Les premiers mouvements du VIH/SIDA ont ouvert une brèche qui, depuis, ne se referme plus. La démocratie sanitaire a commencé et elle touche tous les secteurs. Le « patient » a fini d’attendre le jugement de l’autre. Il devient acteur et veut participer aux choix qui le concernent. Ainsi, le rétablissement renverse la table. L’expert, juge, médecin ou travailleur social ne peut plus se permettre de décider ce qui est bon pour autrui. Le rétablissement va au-delà du partenariat. Il met la personne au même niveau que le système de soins. Son expertise, certes de nature différente, acquiert autant de légitimité que toutes expertises professionnelles, fût-ce les plus savantes. Le sensible et l’expérientiel retrouvent leurs lettres de noblesse, si possible en dehors de tout jugement. Dépendances vient ici se replonger dans les fondamentaux du rétablissement, avec plusieurs expériences qui incarnent ce courant de pensée et des éclairages plus conceptuels et historiques. Loin de tout discours d’autorité, nous espérons que ces contributions viendront nourrir cette révolution à laquelle nous assistons aujourd’hui, afin d’aller chercher tout le potentiel du recovery.
Jean-félix Savary