octobre 2018
Boris Jeanmaire (animateur radio « FMR », Lausanne)
La représentation de l’argent investi dans la réduction des risques dans la politique des 4 piliers est éloquente.
Beaucoup d’argent pour la répression équivaut à beaucoup de présence policière donc plus de stress, plus d’amendes et encore plus de raisons de se droguer.
La thérapie, comme elle est appliquée aujourd’hui, n’a pas un grand taux de réussite. Les usagers sont suivis à grands coups d’ordonnances médicales lourdes, qui ont souvent pour effet d’être encore plus dépendants à différents médicaments sans réelle réussite.
La prévention manque de vigueur et de visibilité. Il est rare de tomber, par hasard, sur une quelconque forme de prévention si vous n’êtes pas dans le « circuit ». C’est surtout dans les écoles et chez les jeunes qu’il faut accentuer les efforts. Car on voit bien une banalisation de la drogue en général et chez les jeunes en particulier !
Quant au dernier et petit pilier de la réduction des risques, il me paraît le plus important des 4, mais le moins soutenu par les autorités, et aussi le moins bien compris par les non-usagers. En effet, par expérience, nous remarquons que les fausses idées reçues ont la vie dure. La compréhension de la réduction des risques est acceptée souvent par des personnes qui ont dans leur entourage des usagers ou des ex-usagers.
Avec une véritable écoute pour la mise en place d’une thérapie qui correspond à l’usager, soutenu d’un bon suivi physique et psychologique, qui tient compte des hauts et des bas, et donc de ses fréquences et styles de consommations, permettrait, nous en sommes sûrs, d’augmenter considérablement le si petit taux de réussite.
Nous avons dans l’équipe une ex-usagère, qui a vécu dans deux cantons différents, elle peut vous assurer que l’approche des autorités et des forces de l’ordre sur les 4 piliers, est très différente d’un canton à l’autre, et nous dirions même d’une commune à l’autre. Les petites communes rurales diabolisent les villes qui, elles, se félicitent des avancées politique sur les drogues et ses usagers.
Le problème est que l’usager ne s’y retrouve généralement pas et se sent plus souvent utilisé par le système, les médecins, les produits pharmaceutiques, etc., que réellement soutenu et écouté.
Nous sommes conscients que le chemin va être long et difficile. Mais au moins il se passe quelque chose. C’est une évidence de mettre les usagers dans le processus de réflexion, le fait que les professionnels de la santé prennent en compte nos revendications ainsi que notre expertise ne peuvent qu’améliorer la situation. Avec notre avis, nous sommes convaincus que certaines absurdités peuvent être évitées.
Une des choses qui nous a le plus interpellés, c’est la politique de certains centres de distribution de produits de substitution. Déjà sur la manière de gérer les cas. La structure de l’établissement est assez spéciale, lorsqu’on commence une cure de méthadone, les professionnels de la santé sont des « référents » et donc pas des médecins, mais accompagnés de ceux-ci. Les médecins sont là pour faire les ordonnances et pour les modifications de traitements. Pour commencer, on nous fait bien comprendre que nous sommes demandeurs d’aide, ce qui nous engage dans un processus de soumission et de dépendance vis-à-vis des organes de soins. Pour la plupart des usagers, ce n’est pas l’arrêt des produits qui est souhaité, mais sortir de l’état de dépendance. Alors la réponse a été claire, les consommations ne sont pas tolérées, et sont même durement sanctionnées.
Une des méthodes utilisées est de nous augmenter la métha, avec l’excuse qu’avec plus de métha, on ne peut plus sentir les consos, ce qui est faux. Surtout lorsque la conso n’a rien avoir avec les opiacés.
Très rapidement les usagers reçoivent des doses de méthadone, pour nous trop élevées. Mais pour aborder le sujet des dosages, il faut d’abord en parler à notre référent, qui ne peut rien faire à part nous donner un rendez-vous avec un des médecins du centre. Le temps de voir le médecin, le corps s’est habitué aux doses et notre demande n’a plus lieu d’être.
Une fois la motivation du début passée, il y a des consommations, qui sont traitées par une augmentation du dosage de méthadone. Ce qui pour nous s’apparente à une sanction (une augmentation des doses forcée et non discutable). Les prescriptions sont faites par les médecins, mais les augmentations sont au bon vouloir des référents. Pour un usager de la FMR, il y avait une autre demande, il souhaitait aussi arrêter les Rohypnols®, qu’il prenait massivement. L’aide qui lui a été proposée comportait des prescriptions de neuroleptiques. Ce qu’il a tout de suite refusé. Là encore, on lui rappelé que c’était lui qui était venu en demandant de l’aide et qu’il n’avait pas son mot à dire quitte à obtenir ces médicaments dans la rue. Lorsqu’il allait prendre son traitement de méthadone, il devait prendre les neuroleptiques avant. Et avec contrôle de la bouche comme on fait pour les chevaux (lever la langue, etc.).
Ce traitement médicamenteux a eu sur lui des effets négatifs, il a vu son énergie (libido, concentration, réflexe, motivation, etc.) grandement chuter. Le fait d’être ainsi suivi a eu sur lui un effet très déprimant. Maintenant, il faut savoir que tout ça a bien changé, il est chez un médecin, et la politique de ces centres a bien changé.
Les choses bougent à Lausanne, les différentes fondations et associations ont beaucoup de liens et sont très présentes avec une vision plus centrée sur une sorte de triangulation entre les usagers, les médecin et les groupes d’études d’addiction.
Il reste encore beaucoup à faire, mais il y a clairement une volonté de la part des associations et de certains professionnels d’entendre et de communiquer avec les usagers. A ce niveau, la FMR est très confiante quant au progrès d’une politique si ouverte.
Par contre, lorsqu’on entre dans la réalité des choses et que l’on voit la difficulté de ces combats lorsque le pays choisit une politique des quatre piliers complètement axée sur la répression, nous pensons que nous sommes encore loin du but, surtout que nous pensons que la Suisse va de plus en plus mal face au trafic de coke. Il y en a vraiment dans chaque rue de Lausanne (la place de la Riponne n’est que la pointe de l’iceberg). Il y a aussi le fentanyl qui pourrait faire des ravages s’il n’est pas compris par le système de la santé, et surtout le Crystal qui commence à se retrouver dans des extas et dans plein de nouvelles substances.
Le problème avec ce genre de substance, c’est qu’il est facile d’en fabriquer avec quelques principes en chimie. Le labo peut tenir dans une roulotte et, lorsqu’on voit que c’est le produit le moins cher à fabriquer et le plus cher vendu, le risque est grand. Grand dans les deux sens puisque, légalement, il est durement réprimé.
Pour la politique des drogues, lorsqu’on voit les sommes mises pour la prévention et les thunes que l’on met dans la répression, on se rend bien compte que la répression est gagnante. En fait, tant que le déséquilibre entre les différents piliers sera dirigé en faveur de la répression, les usagers auront peur de s’exprimer.
Les usagers se sentent trompés, maintenus dans une certaine ignorance, ils ont de la peine à croire au système pénal suisse. Convaincus que la terre est dirigée par le fric, que nos gouvernements servent à détourner l’attention et à nous plonger dans une actualité contrôlée et qui nous remplit de préjugés.
Nous vivons sûrement dans un des pays les plus en avance sur ces questions, mais de voir que la répression prend une telle place fait un peu peur. Ce sont les accueils bas seuil qui ont le moins de moyens mais qui sont en première ligne. Les usagers sont les gens les plus précarisés, et c’est souvent eux que la police attrape.
Pour résumer, il y a eu l’abstinence totale, seule solution pour nous guérir : des années de sevrage à sec, de thérapeutes affirmant que la drogue était la cause de tous nos problèmes. Qu’il suffisait de ne plus en prendre pour aller mieux. Les rechutes à l’héroïne se sont avérées mortelles pour énormément de toxicos.
Alors ils se sont dit que la solution devait être à l’opposé de cela, et les TSO et autres médications se sont généralisés.
Alors ils se sont dit que la solution devait en partie être psychiatrique, et les médications s’en sont trouvées augmentées.
Et ils ont évalué leur travail, de colloques en conférences. Et ils peuvent aujourd’hui affirmer qu’ils sont dans la bonne voie, en reconnaissant qu’il reste beaucoup à faire.
En 2018, les discours ont évolué. On ne parle plus du problème, on vante les résultats. La qualité de vie des usagers, la dignité humaine, si nous n’étions pas toxicos, ça nous donnerait presque envie de le devenir, juste pour avoir notre dose de dignité humaine !
Durant des décennies, la consommation de drogues relevait de la sphère privée, et n’était de ce fait pas un problème de société. Puis débuta la guerre contre la drogue. Cette guerre, comme toutes les guerres, n’a pas pour but la paix, mais les intérêts géopolitiques et économiques des belligérants. En interdisant l’achat, la possession et la consommation de drogues, l’Etat a privé de droit les usagers de disposer de leur vie et de leur corps. Les objectifs de la politique des 4 piliers étant la diminution de la délinquance et des coûts générés par les drogués ont été atteints avec un certain succès, il faut le reconnaître.
Les commissions d’experts, regroupant tous les professionnels dans le domaine, ont même réussi à établir des indicateurs de mesures afin de mesurer l’efficacité de la prise en charge du problème :
En tant que citoyens il faut admettre que les politiques ont fait leur travail, et l’ont bien fait.
Mais en tant qu’usagers, cela a soulevé de nouvelles questions :
Maintenant que les usagers prennent la parole, je pense qu’il ne pourra pas y avoir plus motivés pour démontrer leur utilité dans ce long combat qui est de faire comprendre que, dans les usagers, il y a plein de gens compétents et prêts à collaborer pour faire avancer les choses. Nous souhaitions avec deux cas concrets montrer là où les usagers peuvent se rendre très utiles pour éviter ces anciennes pratiques. La politique des 4 piliers est une bonne chose en soi.
FMR sera fière et reconnaissante si les professionnels veulent bien nous inclure dans ce processus de réflexion, et nous concerter là où ils pensent que l’on peut amener un plus. Nous sommes aussi très bien placés pour atteindre les usagers et, sur ce front, nous souhaitons nous montrer présents.