avril 1998
Gerhard Gel et Matthias Meyer (ISPA)
Introduit en Europe au XVIe siècle par les Espagnols, le tabac a été utilisé à l’origine uniquement comme plante médicinale. Ce n’est qu’au début de ce siècle, lorsqu’il a été préparé sous la forme de cigarettes, que sa consommation s’est répandue, jusqu’à prendre l’importance sociale qu’on lui connaît aujourd’hui.
Au total, environ 6’500’000 tonnes de tabac sont consommées chaque année dans le monde, dont 4’200’000 à 5’500’000 sous forme de cigarettes. Si l’on considère qu’une cigarette pèse 0.75 gramme, la consommation annuelle mondiale atteint environ 6’500’000 cigarettes 1).
Selon les résultats de l’enquête sur la santé en Suisse (ESS) effectuée en 1992/1993, notre pays compte environ 1.7 million de consommateurs de tabac, ce qui équivaut approximativement à 30% de la population âgée de plus de 14 ans. 21% des personnes interrogées ont déclaré être d’anciens fumeurs. A peine une moitié de la population suisse âgée de 15 ans et plus n’a donc jamais fumé 2.
C’est sous la forme de cigarettes que le tabac est de loin le plus apprécié: 86% des fumeurs en consomment. Parmi les consommateurs de tabac, seuls 5% fument exclusivement des cigares, 4% seulement la pipe et 1% uniquement des cigarillos. 4% des fumeurs consomment du tabac sous plusieurs formes simultanément, la cigarette restant toutefois prédominante 2.
85% des consommateurs de tabac fument quotidiennement. Presque la moitié d’entre eux consomme plus de 20 cigarettes par jour. Ces personnes sont considérées comme de grands fumeurs 2. Si l’on se réfère aux résultats de l’ESS 1992/1993, on peut dire que la population suisse (15 ans et plus) fume en moyenne 5 cigarettes par jour 2. Néanmoins, si l’on évalue la consommation moyenne de ce groupe à la lumière des chiffres de vente de l’industrie cigarettière, on obtient une consommation quotidienne de plus de 7 cigarettes par habitant (1995) 3).
Pendant quinze ans, soit du milieu des années septante à la fin des années quatre-vingt, la proportion des fumeurs et fumeuses dans la population totale a baissé d’environ 20% alors que le volume total de cigarettes vendues n’a que peu diminué durant cette même période. Les fumeurs et fumeuses ont donc été moins nombreux, mais ont fumé davantage (graphique 1).
Au cours des cinq dernières années, la part des fumeurs dans la population totale est restée pratiquement stable. Etant donné que la proportion de fumeurs recule, celle des fumeuses est donc en progression. Les hommes restent toutefois majoritaires parmi la population des fumeurs. Autre observation: l’âge moyen des consommateurs de tabac baisse car les jeunes se mettent à fumer toujours plus tôt.
Une étude comparative effectuée en 1990 révèle qu’avec une consommation annuelle de 2886 cigarettes par habitant, la Suisse figure, sur le plan européen, dans le peloton de tête des consommateurs de tabac. On fume moins chez tous nos voisins (graphique 2).
L’étude révèle en outre que la population d’Europe consomme davantage de tabac que celle des autres continents. Les Européens fument en moyenne 2305 cigarettes par an. Il existe toutefois des différences marquées d’un pays à l’autre: Chypre et Malte viennent en tête des statistiques avec respectivement 4831 et 3968 cigarettes par an et par habitant alors que la Norvège, dernière du classement, annonce une consommation annuelle moyenne de 830 cigarettes par habitant.
L’Afrique est le continent où l’on fume le moins: 615 cigarettes par an et par habitant. Viennent ensuite l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud avec une moyenne de 1186 cigarettes. Relevons pour ces deux continents de nettes différences selon le degré d’industrialisation des pays concernés. Les Américains consomment en moyenne 2605 cigarettes par an et les Canadiens 2193.
La situation est pratiquement la même en Asie et en Australie. Si la consommation moyenne par habitant y atteint 1609 cigarettes par an, les données varient cependant fortement d’un pays à l’autre, toujours selon le degré d’industrialisation. Les Japonais, par exemple, fument en moyenne 3081 cigarettes par an.
La consommation de tabac recule dans nombre de pays industrialisés. On observe à l’échelle mondiale deux constantes: comme par le passé, le nombre de fumeurs reste supérieur à celui des fumeuses dans presque tous les pays et les hommes sont de plus grands fumeurs que les femmes. Par ailleurs, la publicité en faveur des cigarettes est particulièrement agressive dans les pays où la consommation de tabac est en hausse 4).
Environ 30% de la population suisse fume. Cette moyenne est légèrement plus élevée en Suisse romande et au Tessin et légèrement plus faible en Suisse allemande (graphique 3, page 6).
Le volume de tabac consommé dans les différentes régions ne révèle pas de différences significatives. Dans toutes les régions, environ 34% des consommatrices et consommateurs de tabac fument moins de 10 cigarettes par jour, 28% entre 10 et 19 cigarettes, enfin, 39% fument 20 cigarettes et plus par jour. Quand on compare le comportement des deux sexes face à la cigarette, on observe d’importantes différences d’une région à l’autre. Les Tessinoises fument nettement moins que les Romandes et les Alémaniques: une fumeuse sur deux déclare consommer moins de 10 cigarettes par jour. En Suisse romande et en Suisse allemande, 65% des fumeuses consomment plus de 10 cigarettes par jour. C’est en Suisse romande que l’on dénombre la plus forte proportion de grandes fumeuses. En Suisse allemande, la majorité des fumeuses consomme entre 10 et 20 cigarettes par jour.
Pour les hommes, on remarque quelques différences entre les régions: la consommation quotidienne des Tessinois est légèrement supérieure à celle des Suisses allemands et des Romands, ceux-ci fumant légèrement moins que ceux-là 2.
Si le comportement des deux sexes face à la cigarette tend à s’uniformiser, le nombre de fumeurs reste encore plus élevé que celui des fumeuses (voir graphique 3). En Suisse, environ 60% des gens qui fument sont des hommes. Parmi les jeunes, on observe toutefois que les fumeuses sont plus nombreuses que les fumeurs 5)!
Les hommes sont non seulement plus nombreux à fumer, ils fument également nettement plus que les femmes: 44.5% des fumeurs contre seulement 31% des fumeuses consomment plus de 20 cigarettes par jour. Pour ce qui est des petits fumeurs et des fumeurs moyens, les femmes reprennent le devant de la scène avec respectivement 35.7% contre 30.4% et 33.2% contre 25.1%.
En matière de consommation quotidienne, les habitudes masculines observées dans une région divergent parfois nettement des habitudes féminines. Au Tessin, par exemple, la différence entre les grands fumeurs et les grandes fumeuses atteint presque 20%. Comme mentionné plus haut, les Romandes et les Alémaniques fument davantage que les Tessinoises et le comportement des deux sexes face à la cigarette ne présente donc pas de différences aussi importantes dans ces deux autres régions. Il n’en demeure pas moins qu’en Suisse romande comme en Suisse allemande, le nombre de grands fumeurs dépasse de plus de 10% celui des grandes fumeuses 6.
Toutes catégories d’âge confondues, les consommateurs occasionnels de cigarettes sont relativement rares. Ils sont le plus nombreux (4.9%) dans la tranche des 15 à 19 ans, période à laquelle les jeunes cèdent souvent à l’attrait de la cigarette. C’est dans cette catégorie d’âge que l’on rencontre aussi le plus grand nombre de personnes qui allument une cigarette juste « pour voir le goût que cela a ». La proportion des personnes ne fumant pas quotidiennement recule ensuite régulièrement jusqu’à 2.1% chez les plus de 74 ans.
Entre 20 et 50 ans, la proportion des personnes fumant quotidiennement reste stable aux alentours de 30%. L’augmentation du nombre des ex-fumeurs et ex-fumeuses est contrebalancée par une diminution du nombre des personnes n’ayant jamais fumé. Cette tendance change toutefois à partir de la cinquantaine: alors que la part des ex-fumeurs et des ex-fumeuses demeure relativement stable dans cette tranche d’âge, la proportion de ceux qui n’ont jamais fumé augmente et celle des consommateurs de tabac diminue (graphique 4).
Ce phénomène s’explique en partie par le fait que le taux de mortalité est plus élevé chez les fumeurs et les fumeuses âgés de plus de 50 ans. Si la mortalité est plus fréquente parmi les fumeurs et les fumeuses ainsi que parmi les ex-fumeurs et les ex-fumeuses de cette tranche d’âge, on assiste logiquement à une augmentation correspondante de la population n’ayant jamais fumé 2.
Comme pour l’alcool, l’attitude des adultes face à la cigarette joue un rôle décisif. Si les enfants voient leurs parents et les amis de ceux-ci une cigarette à la main, ils en déduiront que fumer est quelque chose de bien.
Pendant la puberté, la cigarette revêt une importance symbolique non négligeable: il s’agit de montrer clairement au monde des adultes que l’on souhaite précisément être traité comme un adulte. Fumer marque aussi la séparation d’avec les parents. Entre jeunes, le fait de fumer renforce le sentiment d’appartenance au groupe des fumeurs et permet de se démarquer de tous ceux qui ne sont pas encore « adultes » 7).
La première fois qu’un enfant ou un jeune allume une cigarette, c’est bien souvent pour voir le goût que cela a. Le passage à une consommation régulière de tabac est, nous l’avons vu, fréquemment imputable à l’environnement social. Conséquence: 12.6% des fumeurs et des fumeuses âgés de seulement 16 ans affirment déjà qu’ils ne sauraient plus se passer de cigarettes!
Les jeunes fumeurs et fumeuses d’aujourd’hui fument plus régulièrement que ne le faisaient leurs aînés au même âge. De 1986 à 1990, la part des jeunes de 11 à 16 ans qui fumaient quotidiennement des cigarettes a passé de 4.1 à 6.6% 8) (graphique 5).
C’est généralement à l’adolescence que l’on commence à fumer. Si plus de 60% des fumeurs déclarent s’être mis à la cigarette avant 20 ans, ils sont 88% à avoir pris cette habitude avant l’âge de 25 ans. Les garçons commencent à fumer plus tôt que les filles.
En Suisse romande, les jeunes fument plus précocement qu’en Suisse allemande ou au Tessin.
En Suisse, 50% des fumeurs et fumeuses de longue date ont consommé leur première cigarette avant l’âge de dix-huit ans 2. Différentes études 95)10) effectuées dans notre pays révèlent que parmi les 15-16 ans, la proportion de jeunes habitués à fumer quotidiennement atteint 14 à 15%. Il n’est pas vraiment possible de savoir si le nombre des jeunes qui consomment des cigarettes chaque jour a globalement augmenté. Alors qu’une étude estime que cette proportion est restée stable dans l’ensemble 11), les résultats de deux enquêtes effectuées parmi la population scolaire suisse en 1986 et 1994 indiquent une progression de 8% en 1986 à 15% en 1994 5). Toutes les études mettent cependant en évidence le fait que les filles ont davantage tendance à fumer que les garçons et qu’à l’âge de 15 à 16 ans, elles sont plus nombreuses que les garçons à le faire quotidiennement.
Une année avant que l’enquête suisse sur la santé ne soit réalisée, environ 520 000 personnes (pratiquement un tiers de la population des fumeurs) ont essayé de cesser de fumer et n’ont consommé aucune cigarette pendant quinze jours au minimum. Au moment de l’enquête (printemps 1992 à printemps 1993), environ 425’000 d’entre elles comptaient à nouveau parmi les fumeurs 2.
Selon une autre enquête, environ 90% des personnes désireuses d’arrêter de fumer tiennent le coup durant les premiers jours. On constate cependant un nombre élevé de rechutes durant les trois premiers mois et après une année, 85 à 90% des personnes qui souhaitaient arrêter de fumer ont repris la cigarette.
Etre entouré de fumeurs – essentiellement dans son environnement familial et professionnel et avoir des problèmes personnels font qu’il est nettement plus difficile de renoncer à la cigarette.