décembre 2017
Jean-François Mary (AQPSUD) ; Jérome Benedetti (AQPSUD)
Avec le remplacement de la Convention internationale sur l’opium par la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, l’Organisation des Nations Unies (ONU) fait en sorte de mondialiser la prohibition des drogues. Le système prohibitionniste a, depuis, fait la preuve de son échec, tant en termes de réduction de l’offre que de réduction de la demande, aux dépens de la santé et des droits fondamentaux des personnes qui font usage de substances illicites. Ce système de régulation a, entre autres, été le moteur principal d’une conception réductrice de la consommation de drogue basée sur la peur et la désinformation. Avec l’épidémie de SIDA puis celle d’hépatite C, toujours en cours au moment où nous écrivons ces lignes, la réduction des méfaits est apparue. Après plus de 30 ans de réduction des risques, les acteurs sur le terrain en viennent de plus en plus à la conclusion que cette approche vise principalement à réduire les méfaits causés par la prohibition. Au cœur de ces stratégies de santé publique se trouvent les utilisateurs de drogues eux-mêmes. Ceux qui, par leur expertise et leurs savoirs, sont capables de déceler les distorsions engendrées par la prohibition et par l’imagerie que ce système a contribué à créer. C’est selon cette vision que l’AQPSUD développe l’ensemble de ses outils, et le guide sur la consommation à risque réduit Maîtrise ton hit ne fait pas exception.
Le fait de se concentrer sur les mesures de santé publique fait bien souvent perdre de vue l’élément central relié à l’utilisation récréative de substances : le plaisir.
La consommation de drogues est pratiquée depuis des millénaires essentiellement car elle procure du plaisir, des plaisirs qui peuvent différer d’un individu à un autre. Maîtrise ton hit a été conçu pour permettre d’avoir du plaisir en prenant le moins de risques possible.
Maîtrise ton hit a été développé aussi pour les intervenants car certains d’entre eux, consciemment ou non, contribuent à la diffusion de stéréotypes, à leur production ou à leur maintien.
Un guide sur la consommation à risque réduit comporte inévitablement de nombreux éléments qui relèvent de la technique, notamment en ce qui a trait à l’injection. Ces éléments techniques proviennent en grande partie des meilleures pratiques reconnues pour éviter la contamination du matériel lors de la manipulation, de celles pour éviter la transmission de maladies infectieuses et surtout, du savoir expérientiel des personnes utilisatrices de drogues acquis après de longues années. Ces techniques doivent être réalistes, dans le sens où il faut qu’elles puissent s’intégrer dans le rituel de consommation des personnes, et qu’elles prennent en compte les différents contextes de consommation.
Nous aurions pu nous étendre sur la prévention des maladies infectieuses. Étant donné le nombre d’outils sur le sujet, nous avons plutôt choisi de porter une attention particulière sur les substances, leur mode de préparation. L’éducation sur les substances est souvent un élément mis de côté, soit en raison du tabou de parler ouvertement de substances de manière pragmatique, soit par omission ou méconnaissance.
Maîtrise ton hit n’est pas prévu pour rester sur les tablettes des organismes. Il est pensé avant tout comme un outil d’intervention par le biais du guide intervenant et un mode d’emploi pour une consommation à moindre risque pour les personnes utilisatrices de drogues. Une formation spécifique est développée en parallèle à la diffusion de l’outil afin de favoriser son utilisation, mais aussi de réaliser des ateliers d’éducation populaire au travers de la province. Ces formations sont prioritairement destinées aux personnes faisant usage de drogues mais aussi, en second lieu, aux intervenants qui travaillent auprès d’elles. Ainsi, par ces ateliers nous souhaitons favoriser le développement d’agents multiplicateurs dans les milieux de consommation qui pourront éduquer leurs pairs à consommer tout en prenant le moins de risques possible. Cette création de milieu favorable par et pour les personnes qui consomment des substances psychoactives est essentielle dans les milieux péri-urbains ou ruraux où l’accès aux services de prévention est bien souvent déficient.
Le Canada est touché depuis maintenant deux ans par une crise majeure de santé publique en raison d’une épidémie de surdoses d’opioïdes. Cette crise est principalement causée par la présence de fentanyl et d’autres analogues dans l’héroïne et dans les médicaments de contrefaçon. En Colombie-Britannique, du fentanyl a été décelé dans toutes les substances à l’exception du cannabis. La réponse des pouvoirs publics se fait attendre, les élus et hauts fonctionnaires préfèrent les discours humanistes et les déclarations d’intention aux actions concrètes qui pourraient enrayer cette crise. Cette crise n’est bien sûr pas uniquement liée à l’apparition de nouvelles substances, mais bien à une conjoncture propice : prohibition, contexte socio-économique, stigmatisation des usagers, structure des marchés illicites et augmentation importante de la demande d’opioïdes. Ce guide a donc été développé dans un contexte particulier et nous souhaitions en faire aussi un outil pour limiter les risques de surdoses et permettre aux usagers d’intervenir adéquatement s’il y a lieu. Ce n’est pas avec un guide que nous arrêterons cette crise. Dans le contexte règlementaire actuel, il restera toujours une incertitude quant à la composition et la concentration réelle des substances consommées puisque notre société a fait le choix de laisser au crime organisé le loisir de produire, distribuer et vendre les substances psychoactives illicites.
Notre communauté a déjà vécu l’épidémie de SIDA, l’immobilisme, le manque de compassion et la stigmatisation ont alors tué plusieurs milliers de personnes. Sans le courage et à la persévérance des personnes vivant avec le VIH, cette crise aurait perduré et beaucoup d’entre nous ne seraient pas là aujourd’hui pour lire ces lignes. Ce qui semblait inimaginable au début des années 1980 est maintenant une réalité grâce au combat acharné de ces militants. Inspirons-nous de nos prédécesseurs, car nous seules, personnes utilisatrices de drogues, avons la volonté viscérale de mettre fin à cette hécatombe et au système d’oppression que nous impose la prohibition.
Pour en savoir plus
sur la parution du guide « Maîtrise ton hit » et les modalités pour le commander, contactez l’AQPSUD : info@aqpsud.org