novembre 2003
ISPA/GREAT
Je m’appelle Jean. Je suis âgé de 48 ans, je suis célibataire et j’habite dans le Nord-Vaudois. Suite à mes problèmes d’alcoolisme, (que je réfutais depuis longtemps), j’ai été amené à recevoir plusieurs avertissements de la part de mes supérieurs.
En juillet 2002, j’ai été contrôlé positif à ma reprise de travail, ce qui m’a valu, en tant que fonctionnaire de police, à une mise à pied immédiate de plusieurs mois, en attendant une décision définitive. J’ai été convoqué par la responsable des ressources humaines à qui j’ai fait part de mon intention d’effectuer une cure de désintoxication, qui m’a été dispensée durant tout le mois d’août 2002, à la Fondation des Olivier, au Mont-sur-Lausanne. Je précise qu’à ce moment, je pensais que j’allais être licencié. Durant mon séjour à l’institut, la cheffe du personnel est venue me rendre visite à deux reprises, mettant en évidence qu’il n’était pas question que je retrouve mon ancien poste de travail. Toutefois elle précisa qu’elle mettait tout en œuvre, suite à une proposition de «contrat tripartite» entre la Fondation, l’employeur et moi-même, pour que je puisse continuer à travailler dans un secteur qui, selon elle, me conviendrait parfaitement, d’après les qualités qu’elle voulait bien m’accorder. Au mois d’octobre 2002, j’ai commencé dans ma nouvelle fonction et, aujourd’hui, grâce à mon abstinence, je me sens parfaitement bien dans ma peau et dans ma tête. Je ne peux que dire toute la gratitude que j’ai envers le personnel de la Fondation des Oliviers et, surtout, à notre responsable des ressources humaines, qui m’a bien fait comprendre que de MOI l’entreprise voulait, mais de mon ALCOOLISME NON. De plus, je sais que depuis mon cas (j’étais le premier au sein de la commune), elle entreprend les mêmes démarches auprès du personnel de différents secteurs, afin de tendre la main à certaines personnes qui sont ou risquent de se trouver dans la même situation que j’ai vécue, personnes que je ne peux qu’encourager à faire ce pas, qui peut sembler difficile, mais ô combien bénéfique, à tout point de vue.
Il est dangereux de provoquer un choc émotionnel pour que la personne alcoolique ait le «déclic» qui va la faire «décrocher». Par exemple, sanctionner sur le plan disciplinaire la personne pour la faire réagir. La décision d’arrêter est le fruit d’un cheminement personnel, dont seule la personne dépendante doit avoir l’initiative.
Les arrêts de travail prolongés ou qui se répétaient, pour cause de maladie non professionnelle, me mettaient mal à l’aise, je me culpabilisais, je savais que cela pouvait avoir des conséquences sur le fonctionnement de mon poste. C’est avec cet état d’esprit que je suis allé voir mon patron.
J’explique: travaillant avec des enfants et des préados, j’ai réalisé qu’en étant alcoolisé, mon employeur aurait eu du mal à me garder malgré toutes les qualités que j’avais pour ce travail.
Il était en effet impossible de continuer à enseigner les bonnes choses de la vie et être alcoolique actif. Si je n’avais pas eu cette décision de commencer un cheminement de rétablissement, avec toute la volonté du monde, un jour ou l’autre cela se serait cassé.
Quelle que soit la frustration ressentie par l’entourage, mes collègues n’ont jamais revendiqué de me «sauver». Je pense que mon sevrage aurait été voué à l’échec. Par contre, ils m’ont accompagné. Je veux dire par là qu’ils m’ont aidé à sortir du silence, c’est-à-dire m’écouter. Ce qui m’a aidé au début, c’est le respect du secret, il n’y a pas eu de questionnement sur ma maladie d’alcoolisme. J’ai été motivé par les moyens mis en place et surtout par la collaboration entre mes employeurs et les Oliviers. On a travaillé en parallèle. De cette manière, j’ai pu garder ma place et même gagner de l’espace.
Une nouvelle confiance s’était installée. Mon employeur n’a pas eu du mal à me garder avec toutes mes qualités tout en sachant je suis encore un alcoolique mais cette fois, passif. C’est un cheminement personnel qui a commencé il y a cinq ans et qui continue aujourd’hui encore!
Quand je me suis rendu compte que ma consommation d’alcool en privé et au travail ne faisait plus qu’un il était presque déjà trop tard. En effet, mes employeurs ainsi que mes collègues se sont bien vite rendu compte que mon comportement au travail les derniers temps n’était plus le même qu’auparavant: absences, oublis, mauvaise gestion du temps, mal à diriger une équipe, humeurs changeantes, etc…) sont vite devenus un lot quotidien.
L’entreprise m’a donc «invité» à entreprendre quelque chose pour que cela cesse et je ne me suis pas fait trop d’illusions en cas de refus de ma part concernant ma place de travail. Je me suis donc inscrit au stage P33, 1ere inscription que je n’ai pas honorée par ma présence car je ne me sentais pas du tout prêt à ce moment-là.
En effet, il faut savoir que même par des pressions extérieures (travail, amis, famille etc…) la personne qui entreprend ce changement radical (même s’il y va de sa vie) doit être complètement convaincue de l’importance de cette démarche et de sa volonté de réussir.
C’est pour cela qu’après un mois de réflexion, je me suis réinscrit. Cette réflexion a été longue et en fait assez simple.
Une fois décidé, je me suis dit :
– Ne le fais pas pour les autres, fais-le pour toi !
– Les personnes qui t’accompagneront connaissent le sujet, ne mens pas, ne te mens pas, écoute-les, n’oublie pas ton avant mais essaie de penser à après, sois dur mais reste juste avec toi, tâche de comprendre le pourquoi et le comment de cette maladie qui ruine ta vie.
J’avais évidemment peur comme tout le monde de rechuter après le stage mais par malchance ou chance, je suis tombé malade la troisième semaine. Verdict : mon foie me lâchait. C’était guérissable mais toute consommation me serait fatale. J’ai quand même réussi à finir le stage et me suis fait soigner et continue à le faire. Avec une résolution à vie : plus d’alcool sinon la mort.
La reprise du travail a rimé avec appréhension: serai-je capable? Que vont dire les gens? Quel va être mon comportement vis-à-vis d’eux? Et le leur vis-à-vis de moi?
Je n’ai évidemment pas de solution miracle, mais voici comment j’ai fait. D’abord, les sentiments de culpabilité doivent être exclus. J’ai changé mais les autres ne savent peut-être pas à quel point.
Je n’ai pas caché ce que j’avais entrepris pour m’en sortir. Je n’ai pas donné trop de détails, à part aux personnes proches et concernées. J’ai salué les gens en confiance (les autres ne savent pas en général comment se comporter avec vous). Je n’ai pas fait comme si rien ne s’était passé, mais essayé de rester sur mes acquis professionnels d’avant. De toute façon, si changement il y a, rien que le fait de me voir sobre et en forme les rassure.
Conclusion: il faut savoir que la dépendance est une maladie à vie, la vaincre est une expérience formidable.