novembre 2003
Willy Chuard (Fondation des Oliviers)
En quoi la réinsertion professionnelle pour une personne dépendante est-elle différente d’une autre? A ce stade de mes connaissances j’ai de la difficulté à répondre à cette question. Par le simple fait que toutes les personnes ayant une problématique liée à une dépendance ne sont pas coupées du milieu professionnel.
Beaucoup travaillent, gagnent leur vie et même très bien.
La dépendance n’entraîne pas radicalement un processus de désinsertion, mais plutôt diverses inadéquations comportementales «des dysfonctionnements» : en rapport avec l’activité professionnelle, les obligations civiles (telles que payer ses factures) et l’environnement médical et social.
Je me propose de vous exposer mes appréciations et réflexions empiriques au sujet de la réinsertion professionnelle, celles-ci n’ont comme intention que de vous transmettre ma pensée et non la vérité.
La réinsertion professionnelle est pour moi une équation algébrique complexe, composée de la capacité de travail de l’individu, du rendement des activités, des besoins de l’économie, des investisseurs, du lieu géographique, des tendances politiques et, non des moindres, de l’émotionnel… Cet ensemble d’éléments permet au travailleur de prétendre à une capacité de gain, si pour autant la capacité de travail amène une valeur ajoutée, un profit et par conséquent une rémunération.
Lorsque nous demandons à une personne de ramasser des fleurs toute une journée, 5 jours sur 7, sa capacité de travail est bien de 100%. Mais quel gain peut produire ce travail? Quelles sont les possibilités de réinsertion professionnelle pour cette personne? Pourra-t-elle gagner sa vie, comme on dit chez nous? Je vous laisse y réfléchir.
La réinsertion professionnelle ne peut s’entrevoir sans un lien direct avec le marché économique de la région. Du travail pour tout le monde, certes il y en a, mais pour quel profit? Le travail permet-il une valeur ajoutée entraînant une capacité un gain?
Si nous reprenons notre exemple de la cueillette de fleurs. Quelle valeur peut rapporter ce travail? Il demeure un profit pour les personnes qui sèment, qui exploitent leur terre, mais la cueillette? Combien de panneaux aujourd’hui vous signalent au bord des routes : Fleurs, ne payez que ce que vous avez coupé?
Combien de travaux saisonniers ont été supprimés depuis la mécanisation…
De plus, est-ce que la cueillette, ce travail qui a existé depuis des générations, permet-elle de vivre à l’heure actuelle?
Auparavant les changements apparaissaient d’une dizaine d’années sur l’autre. Aujourd’hui, c’est d’année en année que le travail évolue. Et pas seulement dans les coutumes ou les prestations de service.
Il y a quelques années lorsque l’on effectuait un mailing, une quinzaine de personnes travaillaient sur une semaine pour adresser 40000 envois. Aujourd’hui en quatre heures de temps une machine réalise le travail. En tant qu’entrepreneur, vous n’avez plus qu’un leasing à payer, plus de cotisations, pas de problèmes d’absences ou de retard. La machine demande une petite vérification par semestre, et le tour est joué.
Tout d’abord, nous commençons notre travail en réduisant notre équation à deux inconnues: l’individu et sa capacité de travail.
Cette phase est celle de la réadaptation de la personne. Nous mettons l’accent sur la valorisation des compétences personnelles, l’augmentation de la capacité de travail et le respect des règles établies. Notre objectif est de permettre à l’individu de reprendre confiance en lui, de retrouver une autonomie tout en tenant compte des exigences comportementales établies dans nos ateliers.
En parallèle, nous restons en relation avec l’économie par l’intermédiaire du chiffre d’affaires. Je parle bien d’un chiffre d’affaires puisqu’il est en soi une équation entre la valeur ajoutée et son rendement économique.
Cette contrainte nous oblige constamment à rechercher, développer des capacités de travail ayant une valeur économique, par conséquent, des capacités de gain.
Lorsqu’un de nos ateliers reçoit une demande d’offre pour un publipostage de 40000 exemplaires, avec différentes langues, pour différents pays, le moniteur de l’atelier doit réaliser une offre qualitative, concurrentielle, tout en sachant qu’il doit également proposer un délai proche du marché actuel (sans tenir compte bien entendu de l’exemple précédemment cité concernant la «machine à mailings»). La relation à l’économie est très nette et dans nos ateliers nous y sommes confrontés tous les jours.
Dès que le client a accepté l’offre, voire même lors de la conception de l’offre, le moniteur doit alors, en interne, trouver et transmettre les compétences pour réaliser ce travail. Le penser, voir qu’elles sont les barrières de sécurité qu’il devra placer pour ne pas mélanger les différentes brochures, classer les divers pays selon les zones recommandées par la poste. Assurer la responsabilité et la confiance de son équipe et, jour après jour, progresser avec les travailleurs pour augmenter les compétences, visant une valeur économique sur le marché du travail actuel. La mise sous pli n’est pas réellement un métier. Mais tout ce qui entraîne cette capacité de travail peut engager un métier par la suite. Vérification des données, mesures de temps comparés, résistance, responsabilité, précision du travail….
Dès lors et en fonction des évaluations en rapport avec les exigences économiques, nous pouvons parler de réinsertion professionnelle. En d’autres termes, nous pouvons envisager la reprise d’un emploi qui entraînera un salaire au travailleur, et un retour dans la vie active.
A ce stade, il est important à mes yeux de vous indiquer qu’il existe deux types de réinsertions professionnelles :
Tout d’abord la capacité de gain partielle, soit une capacité de travail réduite en durée, en rythme, ou/et en compétences. Ces situations entraînent généralement des rentes d’incapacités de gain (rente AI), mais elles permettent aux personnes de mieux vivre leur handicap, de rompre avec l’isolement, d’avoir un travail. La capacité de gain partielle peut être mise en valeur chez un employeur et/ou dans un atelier dit «protégé».
Malheureusement, à l’heure actuelle, nous sommes de plus en plus à connaître ou avoir connu, nous-mêmes ou nos proches, le chômage, sur de plus ou moins longues durées. Combien de chômeurs ont eu des difficultés à retrouver un rythme, se remotiver, se réadapter à un rythme de travail? Combien ont perdu l’estime d’eux-mêmes? Combien ne se sont pas reconnus dans les offres d’emploi? Combien se sont sentis dévalorisés? Combien ont eu des problèmes familiaux, financiers, sociaux? Je pense que la réinsertion professionnelle pour une personne dépendante ou non dépendante se rejoint sur ce point.
La capacité de gain totale, soit un retour à 100% dans le monde du travail. Le travailleur a retrouvé une autonomie, une capacité de travail, une confiance en lui et une estime de lui-même qui lui permet d’envisager l’avenir de manière positive. Dans ce cas, la réinsertion professionnelle est une réussite. Le travailleur peut de nouveau subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille.
A ce stade, je me permets de vous faire part d’une de mes frustrations. En effet, lorsque nous arrivons à la fin de notre travail, que l’équation est résolue, que la personne est prête à retrouver un emploi, nous nous heurtons à un mur. Celui de la méconnaissance de notre travail, de nos exigences, de nos compétences et de nos résultats. Combien de fois n’ai-je pas entendu : «Oui, mais il vient de chez vous…» «Il a quel problème au juste?» «Il a fait de la prison?» «Il est dépendant à quoi?» «Il est suivi par qui?» «Vous pouvez lui faire confiance?»…
A l’heure actuelle, nous devons malheureusement constater que la plupart de nos réinsertions professionnelles se font par l’intermédiaire d’un licenciement. En effet, lorsque le travailleur a retrouvé un emploi et qu’il doit annoncer à son employeur qu’il travaillait dans un atelier protégé, celui-ci met fin au contrat de travail. Il est vrai que dans ce cas l’employeur n’a plus de charges sociales à payer. Mais quelle image donnons-nous de notre société? Quelle reconnaissance pour ces travailleurs? Quelle estime de soi pour ces personnes?
La réinsertion professionnelle est pour moi une nécessité pour tous. Elle doit être pensée et réalisée en fonction de l’économie, des besoins du marché du travail, mais avant tout, elle doit tenir compte de la personne. La réussite d’une réinsertion professionnelle est dans la reconnaissance de la valeur du travail par l’employeur, dans le respect des compétences acquises et dans l’estime de soi retrouvée. N’oublions jamais qu’une personne qui travaille est une personne qui participe à la vie sociale, économique et politique de son pays. Elle a sa place dans notre société. Donnons-lui sa chance!
Je vous remercie de votre attention.