avril 2009
Philippe Stephan (Service Universitaire de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent, Lausanne)
Selon la légende, c’est au retour de ses 12 travaux qu’Héraclès inventa les jeux olympiques. A l’image de ce demi-Dieu le plus populaire de Grèce (comme Hercule plus tard à Rome) dont la force surhumaine peut s’originer dans une trahison à son insu (nourrisson il tète Héra, rivale de sa mère, dans son sommeil, pour recevoir le lait divin) ou plus proche de nous celle d’Obélix tombé dans la potion magique quand il était petit, la graine de champion germe dans l’enfance, nul s’intéresse au sport ne peut ignorer l’importance d’une reconnaissance précoce des capacités du futur athlète et dès lors l’attention particulière qui entoure son développement sportif bien sur, mais aussi et de plus en plus psychoaffectif. Le sport n’est d’ailleurs pas le seul secteur concerné par le désir de performance de son enfant, l’école, la musique, peuvent également représenter des médiations du culte du surhumain.
Les données épidémiologiques sur le sujet sont rares et concernent surtout le milieu sportif. Une étude importante menée en Lorraine (France) en 2001 auprès de 1459 adolescents sportifs âgés de 15 à 18 ans fait état de 4% de ces jeunes qui ont recours aux produits dopants c’est-à-dire inscrits sur la liste des substances prohibées. Près de 18% d’entre eux avouent avoir été «curieux» de les essayer. Un peu moins de la moitié prennent des vitamines pour lutter contre la fatigue. Les produits utilisés sont à visée physique (anabolisants, corticoïdes) mais aussi psychique (antidépresseurs, tranquillisants voire amphétamines).
Les représentations liées au dopage sont claires et alarmantes: 21% des jeunes pensent que sans dopage un sportif n’a plus aucune chance de devenir champion et 68% estiment que le dopage est très efficace. Les risques du dopage semblent méconnus ou déniés; en effet 27% des jeunes sportifs considèrent que le dopage n’est pas dangereux pour la santé s’il est accompagné d’un suivi médical.
Dans la population générale un quart des adolescents déclare avoir recours à la prise de substances pour améliorer leurs performances ou leur rendement en classe. Il s’agit le plus souvent de vitamines, magnésium ou suppléments en fer. La consommation de cannabis, de somnifères mais aussi d’amphétamines est fréquente et prise à des fins d’automédication pour améliorer la santé globale: «se sentir mieux». Certains produits ne sont consommés que lors de stress particulier comme des tests ou une série d’examens.
Une substance a une place à part dans la réflexion sur le dopage de l’enfant et de l’adolescent, il s’agit du méthylphénidate ou Ritaline®. Faisant partie de la classe des amphétamines, la Ritaline® (le fameux `cousin riri« ) a eu son heure de gloire comme produit dopant psychostimulant dans les pelotons cyclistes des années 70. Utilisé comme traitement de l’hyperactivité avec déficit d’attention chez l’enfant, il connaît un second essor depuis 1990 surtout aux Etats Unis où l’augmentation des cas de THADA confine à l’épidémie. Si cette déferlante de Ritaline® pose de nombreuses questions, il semble qu’un des effets recherchés soit de calmer globalement un enfant atteint d’un mal qui le rend survolté, avec la dérive possible de ne pas se poser la question d’une autre origine de ses troubles. Même si l’action sur le déficit de l’attention est supposée redonner la capacité d’utiliser ses moyens cognitifs et par là améliorer les performances scolaires, la finalité de la prescription du produit (au-delà du traitement d’une maladie) est avant tout d’avoir des enfants sages plutôt que des surhommes.
En ce qui concerne le sport, il est bon de rappeler qu’avant les dégâts du dopage il ne faut pas négliger les problèmes liés à la pratique du sport intensif (au-delà de 12 heures par semaine). C’est parfois pour pallier ces problèmes que les parents ou l’entourage sportif et médical ont recours au dopage plus ou moins déguisé derrière des traitements médicamenteux que le jeune absorbe dans un climat de confiance. Dans certaines situations il n’est pas rare d’observer des perturbations à type de ralentissement de la vitesse de croissance avec retard de la maturation osseuse et un décalage du développement pubertaire, notamment chez la jeune fille. On constate également une recrudescence des accidents de type traumatologique essentiellement au niveau des noyaux de croissance. De plus cette pratique intensive peut perturber de façon significative l’équilibre et le développement psychoaffectif de l’enfant et de l’adolescent.
Les produits utilisés chez les jeunes sportifs peuvent être regroupés en trois catégories:
Les stimulants
Ils permettent un accroissement de la concentration et de l’attention, la réduction de sensation de fatigue, et l’augmentation de l’agressivité. Les effets secondaires sont des troubles cardio-vasculaires, neurologiques et psychiatriques (agressivité, nervosité, épuisement, trouble de l’humeur).
Les narcotiques
Recherchés pour leur action analgésiante massive. Les risques sont principalement une accoutumance et donc une dépendance, des troubles respiratoires et des problèmes de concentration.
Les stéroïdes anabolisants
L’action recherchée ici est essentiellement l’augmentation de la masse musculaire et des capacités d’endurance (augmentation de la VO2 max). Les effets délétères sont à cet âge les plus destructeurs : stérilité, cancer du foie, ruptures tendineuses, infarctus, troubles de la libido et troubles psychiques.
On ne le répétera jamais assez, la période de l’adolescence est une période de bouleversements importants physiques, psychiques et sociaux. L’adolescent pour qui l’adolescence constitue un devoir auquel il ne peut que se soumettre est en quête d’identité, doit donc faire des choix et prendre des risques qui viennent bousculer le confort de l’enfance, donnant ainsi la forte impression d’une véritable perte d’un temps tranquille dont il faut faire le deuil. Face à ces trois grands mouvements «devoir, risque et deuil» qui fragilisent l’ensemble de la personnalité, chaque individu va réagir de manière singulière.
Dans ces conditions le dopage peut s’inscrire comme une solution, une réponse à l’énigme du changement.
La littérature et le sens commun mettent souvent en avant dans la question du dopage chez les jeunes, l’implication de l’environnement de celui-ci et notamment sa famille comme facteur de risque principal.
Certains parents s’octroient en effet un droit quasi divin sur leurs enfants et pensent avoir seuls la responsabilité du devenir de celui-ci. Il s’agit pour le parent d’un surinvestissement pathologique de certaines parties de la fonction parentale, par identification massive à une figure importante de leur propre environnement. L’enfant devient un `enfant cadeau qu’il faut emballer avec les plus beaux rubans pour l’offrir, ou en souvenir d’un être marquant. Au contraire, et c’est le cas le plus fréquent, cet investissement massif peut venir combler une faille du parent ressentie comme un manque d’investissement à son égard dans sa propre enfance. « L’enfant Pinocchio qui vient panser les blessures narcissiques ne peut pas décevoir sans entrainer immédiatement une douleur parentale féroce qu’il faut calmer à tout prix. Le dopage vient alors à point nommé pour camoufler le malaise et le transporter sur une autre scène, celle du corps et du médical. Il devient le support d’un double mouvement psychique actif chez l’adulte à savoir d’une part le soin de la blessure (mauvaise performance chez l’enfant, trace de blessure infantile chez l’adulte) par des substances médicinales et d’autre part la maltraitance corporelle, assumée inconsciemment par l’adulte par identification à ses propres parents.
Quelle qu’en soit la cause, l’intensité de ce mouvement parental que l’on peut qualifier de narcissique justifie la transgression et l’aveuglement sous jacents à la pratique du dopage. D’une part les aspects d’offrande, ou de rédemption confinent au divin et rien n’est trop bon pour les demi-Dieux. Il s’agit d’une conduite quasi ordalique où l’espoir et la conviction d’une fin majestueuse obligent, imposent comme évidence les risques à prendre. D’autre part, et c’est là un point non négligeable, le parent lui-même s’engage auprès de son enfant comme un serviteur avec abnégation et admiration. Comment un enfant pourrait-il douter du bien-fondé du dopage quand il est encouragé par un environnement si impliqué, si dévoué ? le discours raisonnable ne peut se traduire alors que comme une tentative de nuire à l’athlète en devenir, et sans doute le fait de quelques jalousies. Enfin, si demi-Dieu il y a, c’est bien par transmission génétique de qualité exceptionnelle. Dès lors, la réussite de cet enfant si elle gratifie dans un premier temps le parent, vient dans un second questionner la non-réussite de celui-ci. Cette dernière peut être imputable aux mauvaises conditions de développement, d’entraînement ce qui cautionne le dopage mais rend également les performances de l’enfant moins menaçantes pour l’adulte puisqu’elles sont quelque part fausses…
Que peut-on dire du lien entre dopage et dépendance lorsqu’il s’agit d’enfants ou d’adolescents ? Pas grand chose de très sérieux !
En effet, aucune étude n’est recensée à notre connaissance, sur le lien entre des consommations de substances à visées dopantes dans l’enfance et l’adolescence et une toxicomanie à l’âge adulte. Et pourtant il est évident que certaines substances par leur effet addictogène propre, peuvent être susceptibles d’entraîner une dépendance. Tous les produits psychotropes et notamment, nous l’avons souligné, les narcotiques, sont connus pour leur action sur le circuit cérébral de la récompense et donc leur potentialité addictive.
Au-delà de l’effet des substances la question est plus fondamentale: la pratique du dopage révèle-t-elle ou accompagne-t-elle une personnalité dépendante sous-jacente ?
Il semble, comme dans la majorité des questions posées devant des troubles des conduites à l’adolescence, qu’il soit trop tôt pour affirmer l’existence d’un lien entre addiction et dopage à l’adolescence. S’il est vrai, comme cela a été parfaitement décrit chez l’adulte, qu’il existe une pratique du sport de manière excessive avec une psychopathologie associée qui s’apparente aux conduites de dépendance (notamment dans des formes d’anorexie mentale de la jeune fille mais aussi du jeune homme), la recherche de produit dopant ne semble pas liée à une recherche de courtcircuitage de la pensée ou la mise à distance des émotions comme c’est le cas dans les conduites addictives. C’est lorsque la réussite sportive devient le seul soutien narcissique de l’individu (indépendamment de celui des parents) que le dopage porte une dimension de dépendance. Il s’inscrit alors progressivement dans une spirale bien connue qui s’organise autour du produit avec les corollaires de la clandestinité, des problèmes d’argent, de la solitude et de la honte.
Même si l’adolescence est un moment de contestation voire de rébellion vis-à-vis du monde des adultes où ils apprennent à mentir notamment pour apprivoiser une nouvelle forme d’intimité, tricher n’est pas une valeur adolescente. La plupart des jeunes sont prêts à endosser l’habit du défenseur de grandes valeurs idéologiques et humanitaires. Mais l’attrait de la réussite pour retrouver confiance en soi, ou pour satisfaire le projet d’un parent, d’un entraîneur, ainsi que le goût du risque et l’intérêt pour la métamorphose soutiennent avec force les conduites de dopage. Qu’il soit actif dans les milieux sportifs choque mais reste peu combattu (comme chez les adulte finalement), favorisant et déculpabilisant les attitudes familiales. Le dopage extra sportif est plus difficile à cerner mais concerne malheureusement plus d’enfants et d’adolescents qu’on ne le pense. Enfin, il faut peut-être s’inquiéter de la vague de la «saine attitude» notamment alimentaire, qui paradoxalement, dans ce qu’elle a de recherche de pureté, peut se rapprocher parfois du monde aseptisé du dopage. Plus que jamais, et du fait que l’enfant ou l’adolescent est un être vulnérable car en devenir, la prévention par un positionnement clair de l’ensemble des professionnels (entraîneurs, enseignants, médecins, éducateurs…) valorisant la diversité des investissements en respectant les passions est nécessaire.
Apprendre à conduire ses passions vers le plaisir plutôt que vers la répétition addictive, et cela grâce au jeu, est une partie essentielle du parcours de l’enfant et de l’adolescent.