novembre 2003
Florence Burri, responsable des infirmières en santé publique aux HUG et présidente du GRAAL
Le nombre de personnes ayant une dépendance à l’alcool est évalué par les organismes spécialisés entre 5% et 8% de la population adulte. Ce pourcentage s’applique à notre institution.
L’alcoolisme a des conséquences importantes sur le plan de la santé publique. L’abus d’alcool entraîne à long terme des problèmes graves pour l’individu et son entourage. Cette maladie touche non seulement la sphère privée de l’individu mais également sa sphère professionnelle. En 1990, consciente de ce problème, la Direction Générale de l’Hôpital Cantonal a émis le souhait qu’un programme de prévention et d’intervention en matière d’alcool soit élaboré. C’est ainsi qu’est né le GRAAL, Groupe de Réflexion et d’Action en matière d’ALcoolisme, nom qui par ailleurs fait allusion à la quête allégorique du Graal par les chevaliers de la Table ronde.
Ce groupe a comme objectifs majeurs de proposer un cadre thérapeutique aux collaborateurs malades alcooliques et de créer une véritable culture d’entreprise autour de la prévention des conséquences de la maladie alcoolique. Il met en place et développe un programme afin de permettre aux collaborateurs malades alcooliques de conserver leur emploi, de restaurer leur santé et de diminuer les risques d’être victime ou auteur d’accident. Le principe de base du programme GRAAL s’articule autour de la nécessaire implication de la hiérarchie directe. Celle-ci doit prendre ses responsabilités en identifiant les dysfonctionnements, en les signalant au collaborateur en difficulté, ainsi qu’aux ressources humaines. Cette dynamique permet d’éviter les comportements complaisants des équipes visant à excuser celui qui dysfonctionne en exigeant plus des collègues. Elle incite surtout les collaborateurs en difficulté à se prendre en charge et à résoudre leurs problèmes avec l’alcool grâce au soutien des infirmières de santé publique du personnel qui assurent le suivi du collaborateur et la coordination entre les différents partenaires internes et externes aux HUG. Au retour du traitement, un contrat «GRAAL» est défini et signé par le collaborateur et les HUG; il permet de fixer les engagements pris de part et d’autre, ainsi que les moyens de soutien offerts au collaborateur.
D’un côté le collaborateur s’engage à se soigner et à régler ses dysfonctionnements, de l’autre l’institution s’engage à lui offrir les moyens nécessaires à son rétablissement. A ce jour, une centaine de personnes ont déjà bénéficié de ce programme, dont la moitié est rétablie à 2 ans. La devise du GRAAL pourrait être résumée ainsi : «Ni accuser, ni excuser».
L’originalité de la démarche réside dans le fait d’agir sur l’environnement professionnel de la personne alcoolique pour en faire un lieu de soutien en étroite relation avec les différents intervenants, au-delà même du cadre professionnel. Elle ne se substitue jamais à une thérapie, même si elle met au centre de son intérêt le rapport de dialogue avec la personne souffrant d’alcool. Son action se manifeste là où le thérapeute n’agit pas ou n’agira jamais, ce qui en fait la force du GRAAL.
Si la première raison du succès du GRAAL repose sur la volonté de la Direction d’avoir mis en place une politique d’entreprise face à la personne malade alcoolique et de conserver cette volonté au fil des ans, il faut insister sur la cohérence de l’institution qui se veut crédible vis-à-vis des collaborateurs ne souhaitant pas se prendre en charge, en osant aller jusqu’au licenciement.
Que dire du rôle et de la place importants des infirmières de santé publique (ISP)? C’est assurément nécessaire d’avoir des rouages en place mais encore faut-il en assurer le mouvement. Car, sans ce mouvement, toute politique adoptée n’est utile que sur le papier. En comprenant l’importance d’un véritable chef d’orchestre au cœur de la démarche, capable de dialogue avec tous les intéressés (hiérarchies, responsables de ressources humaines, médecins traitants, lieux de cure spécialisés et familles), et en imputant ce rôle aux ISP, le comité GRAAL non seulement s’est forgé la dynamique nécessaire à son action mais encore en a assuré la pérennité.
La composition même du Comité GRAAL intègre des entités-clés et très impliquées dans l’entreprise (membre de la Direction, syndicaliste formé en alcoologie, médecin-alcoologue, médecin d’entreprise, hiérarchie et ISP) ce qui a pour conséquence d’asseoir une réelle dimension opérationnelle et de donner au sein du comité une expertise reconnue autant par les divers partenaires internes qu’externes.
En y ajoutant le soutien offert à l’équipe des personnes dépendantes de l’alcool sous contrat GRAAL, le fonctionnement même de ce contrat, la pluridisciplinarité dans les actions menées et le polymorphisme de ces actions (prise en charge et soutien individuels, coordination des partenaires médicaux, sociaux, ressources humaines et hiérarchies, séances de sensibilisation, formation des cadres), on comprend l’impact et les résultats d’un tel programme.
A la demande de la Direction de l’Hôpital Cantonal (HC), le groupe d’étude est constitué en 1990 et avait pour mission de définir une politique de prévention de l’alcoolisme en entreprise, de créer et mettre en place un programme d’intervention et une formation des cadres.
Entre 1990 et 1992, la politique d’entreprise en matière d’alcool proposée par le GRAAL, ainsi que le programme d’intervention sont acceptés par la Direction de l’Hôpital Cantonal. Dans deux secteurs pilote la démarche est testée avec succès et les actions du GRAAL sont alors étendues à l’ensemble de l’HC.
Entre 1993 et 1995, une nouvelle formation est créée et mise à disposition des cadres.
En 1995, le groupe devient un comité et est mandaté par la Direction générale de l’HC pour continuer ses actions de prévention et d’aide aux collaborateurs souffrant de la maladie alcoolique, de conseils et appuis à la hiérarchie et de formation du personnel d’encadrement.
Le programme GRAAL, en 1999, est à la demande de la Direction étendu à l’ensemble des HUG.
Dès 2001, le GRAAL décide de développer parallèlement à ses actions d’aide au collaborateur malade alcoolique, l’axe de la promotion de la santé par la mise sur pied de divers projets visant à agir en amont de la maladie, avant la maladie alcoolique; ceci notamment par des informations au personnel non-cadre sur les effets et risques de l’alcool.
Cette action a notamment permis aux HUG d’obtenir le label OMS: Hôpital Promoteur de santé.
L’année 2003 a vu naître un site Web intranet interactif GRAAL, présentant le programme GRAAL, sa mission, ses actions, ainsi que les personnes de référence en la matière. Enfin, il permet à chaque collaborateur de tester anonymement sa consommation d’alcool et de recevoir des conseils de santé adaptés à sa consommation et à sa personne.
Sous un angle quantitatif, on peut constater que, de 1991à 2002, 100 collaborateurs dépendants de l’alcool ont bénéficié du contrat GRAAL avec un taux de rémission à 2 ans de 50%.
Dans une perspective plus qualitative, on relève les bénéfices implicites comme permettre au collaborateur malade alcoolique de conserver son emploi, de restaurer sa santé, de diminuer les risques d’accident et l’absentéisme.
Quant à l’aura plus élargie du programme et de son expertise à l’extérieur des HUG, soulignant sa pertinence, elle se situe dans la reconnaissance acquise et par les nombreuses demandes de conseils ou d’interventions (entreprises ou institutions, médecins du travail, particuliers).
L’action du GRAAL se fait au sein de l’institution et ne prend en charge que les cas de maladie alcoolique déclarés, souvent lors de dysfonctionnements à la place de travail. On pourrait s’attrister d’une telle réalité arguant le fait d’une intervention tardive. On voit mal pourtant comment intervenir officiellement auprès d’une personne sans griefs précis et sur le terrain hautement sensible de la liberté individuelle. Et l’idée n’est pas d’encourager une délation ou une traque de la personne malade alcoolique mais de faire évoluer chacun vers une plus grande maturité face à l’alcool et développer une meilleure connaissance des moyens d’aide à disposition dans l’institution. C’est à ce propos que le GRAAL a développé un projet d’une action préventive axée sur les consommateurs excessifs.
On retient ainsi les trois perspectives suivantes :
En conclusion, on retiendra le caractère original de la démarche du GRAAL, visant à prendre en charge la personne malade alcoolique au sein de l’institution par le biais d’une politique claire et opérationnelle. Sa force est dans son approche pluraliste et une meilleure intégration des divers partenaires concernés par la réalité de la maladie alcoolique. On ne peut sous-estimer l’importance de la hiérarchie et des ressources humaines dans cette démarche et la place particulière tenue par les infirmières de santé publique, ainsi que le soutien indispensable assuré par la Direction. L’expérience et la démonstration de cette démarche au cours du temps, même si elle reste perfectible, en font une référence et un modèle intéressant certainement applicable à d’autres entreprises.