juin 2008
Philippe Jaquet, directeur-adjoint pédagogiquePierre Mathys, pasteurGeneviève Spring, diacre, intervenants en dépendance à la Fondation des Oliviers, Le Mont-sur-Lausanne
La religion est définie comme l’ensemble des doctrines et des pratiques qui constituent le rapport de l’homme avec la puissance divine. C’est une traduction extérieure, dans les comportements et les actes, de réalités intérieures qu’il convient d’appeler spirituelles. La religion se présente comme un code, un ensemble de règles, de principes, de convictions, de valeurs et de traditions transmises par les institutions (églises et autres).
La spiritualité est abordée comme une réalité anthropologique qui se rapporte à la partie intime de l’être. Bien qu’immatérielle, elle concerne l’aspect fondamental de la personne: ce que nous sommes potentiellement et qui pourra un jour se manifester; ce pourquoi nous sommes faits et qui nous ouvre vers plus que nous.
Par conséquent, ce qui se vit au niveau spirituel, ce qui donne sens, est premier. La religiosité n’est qu’une traduction extérieure concrète. Sans la spiritualité, la religiosité n’est qu’un emballage vide.
Par l’éducation et les acquis de l’enfance d’une part, par le vécu et l’expérience d’autre part, la personne adulte peut se vivre en tension entre ces deux réalités; cela est normal et probablement même inévitable. Dans sa croissance, la personne devra progressivement prendre conscience des clivages existants et faire des choix pour progresser dans un vécu harmonieux et conjoint du religieux et du spirituel.
Si la spiritualité concerne ce que nous sommes potentiellement et ce pourquoi nous sommes faits, si elle est en la personne ce lieu d’ouverture vers plus que nous, elle concerne notre identité profonde. Il apparaît donc que le travail indispensable sur l’identité que nous proposons en addictologie est foncièrement spirituel.
Nous plaçons l’être humain avec sa souffrance au centre de notre action et avons pour mission de venir en aide à la personne addicte, pour qu’elle puisse (ré)atteindre le statut d’être humain libre et respecté.
La spiritualité est un élément constitutif de l’existence humaine qui permet de trouver un sens et une direction à la vie. Cette base spirituelle du sens est ce qui meut la personne pour lui permettre de construire l’ouverture vers une meilleure qualité de vie hors des comportements d’addiction qui l’enferment. Ainsi la spiritualité a sa place dans les moyens thérapeutiques mis en œuvre en vue d’une réadaptation personnelle, sociale et professionnelle de l’individu.
La spiritualité est abordée systématiquement dans la réadaptation personnelle, plus concrètement en distinguant les notions de spiritualité et de religion, en définissant son caractère incontournable en addictologie, mais aussi en tenant compte du vécu religieux de la personne.
En accord avec la définition de l’OMS, nous ne considérons pas la santé comme une absence de maladie seulement, mais comme un état de complet bien-être physique, psychologique, social et spirituel.
Dans la perspective d’un modèle bio-psycho-social, la personne humaine est constituée d’un système physiologique, d’un système psychologique et d’un système sociologique. Ces trois systèmes en constante interaction et évolution, constituent un ensemble ouvert en lien avec son environnement et influencé par lui.
C’est l’harmonie entre ces différentes sphères de la personne qui donne sens à l’individu et à son existence, et réciproquement un sens à la vie contribue à développer l’harmonie de l’ensemble.
Si le vécu global est perturbé par l’un des systèmes et/ou par l’environnement, le sens perd sa place première, voire disparaît, laissant place à une dichotomie qui peut évoluer jusqu’à un éclatement de la personne.
Ainsi, l’addiction peut être considérée comme une tentative de (ré)harmoniser l’individu en éloignant la souffrance pour retrouver le sens. Si l’addiction apporte un soulagement momentané, elle continue à scinder l’individu et à faire disparaître le sens de sa vie et de son existence même.
L’approche de l’addiction doit tenir compte des systèmes physiologique, psychologique et sociologique, pour que la personne puisse (re)trouver harmonie et sens. Il s’agit d’une approche bio-psycho-socio-spirituelle. C’est dans ces quatre aspects de la santé que chaque usager est accompagné en fonction de ce qu’il veut et peut changer pour tendre vers une meilleure qualité de sa vie, dans le respect de son rythme d’évolution.
La spiritualité est abordée systématiquement dans un niveau d’interpellation que nous nommons le Niveau 1.
Niveau 1 : Interpellation
Le niveau 1 d’interpellation spirituelle est une approche existentielle dans laquelle nous parlons de tout ce qui concerne l’expérience et le vécu présent en la personne, avec ses sensations et ses émotions, qui peuvent être aussi bien aidantes et stimulantes que gênantes et freinantes.
La personne portant en elle des réalités et des besoins spirituels, cette approche existentielle s’attache à l’aider à faire le bilan des multiples facettes de son vécu et de ses besoins.
L’objectif est de favoriser ou de rendre possible une vie spirituelle renouvelée et harmonieuse. Cette vie spirituelle peut se concrétiser dans une pratique religieuse.
Une démarche spirituelle nouvelle ne peut s’édifier sur les ruines ou les souffrances d’une précédente. En aidant la personne à conscientiser ce qui se passe ou s’est passé pour elle, nous souhaitons rendre possible une nouvelle spiritualité constructive et soigner d’éventuelles blessures.
L’accent est mis sur une vision existentielle de la spiritualité et une structuration son approche. Chacun a l’occasion de vivre un bilan honnête de son vécu, de ce qu’il lui en reste et, ce faisant, de s’ouvrir à du nouveau.
Cette démarche de bilan est une étape indispensable et concerne toutes les personnes de l’institution. Elle est le lieu où chacun peut exprimer, sans restriction et sans crainte de jugement, son vécu avec les émotions et les ressentis qu’il véhicule.
Le niveau 1 d’interpellation concerne l’ensemble du personnel des Oliviers et fait naturellement partie de la démarche addictologique proposée à tous les usagers des programmes de traitement des Oliviers. Il concerne la réintégration personnelle, en parallèle avec la réintégration sociale et professionnelle.
Pour mémoire, la Réintégration est constituée d’une phase de Réadaptation qui est suivie d’une phase de Réinsertion.
Niveau 2 : Approfondissement
Le niveau 2 concerne la personne qui exprime le besoin de continuer un cheminement spirituel sous forme de réflexion, de partage, de soutien, de pratique, d’approche ou d’adhésion à un groupe ou une communauté.
Dans ce cadre, un service d’aumônerie a pour mission d’orienter l’usager qui le demande vers un milieu religieux correspondant à ses attentes. De même, en cas de demande explicite, les collaborateurs des Oliviers peuvent mettre l’usager en contact avec des personnes, groupements ou communautés en rapport avec sa demande.
«Réflexion spirituelle» est l’énoncé d’un cours hebdomadaire d’une heure quarante-cinq dans le Stage de Formation et de Réflexion, d’une durée de quatre semaines, qui se déroule par groupe de huit personnes.
Expériences et préjugés
Quelle a été votre réaction lorsque vous avez découvert que le planning hebdomadaire comportait un temps de «Réflexion spirituelle» ? est la première question de l’animateur.
Pour certains, ce sont des souvenirs insupportables de pratique religieuse (catéchisme, rites imposés…) qui provoquent de la colère ou du ressentiment.
Pour d’autres, la lecture même du mot spirituel fait jaillir des généralités, ou des pensées à caractère de jugement: «Dans toutes les religions ou croyances l’incohérence existe entre ce qui est dit et vécu, c’est pour les faibles ou les peureux…»
D’autres encore manifestent leur indifférence ou au contraire expriment leur attente, comme celle de pratique religieuse. Sont souvent évoquées la prière, la lecture du livre de référence (Bible, Coran), les différentes pratiques de méditation.
Sortir de la confusion entre spirituel et religieux
Pour que l’objectif de ce cours puisse être commun, la première étape consiste à clarifier la notion de spiritualité et de religion ou de philosophie. Cela se fait en posant la question du lieu vers lequel se déplace la personne pour vivre un moment de ressourcement. La montagne, un bord d’une rivière, la forêt, un endroit précis de son chez soi, une chapelle, la musique, la convivialité sont les lieux le plus souvent exprimés. La recherche est bien souvent identique: vivre l’expérience d’un apaisement profond.
La prise de conscience que les cinq sens font parties des besoins qui ressourcent l’être intime et que les lieux évoqués y conduisent, permet à la personne de se rendre compte qu’elle a des ressources pour répondre à son besoin de prendre soin de son être intérieur. Le religieux fait partie de ces lieux de ressourcements, c’est une partie d’un ensemble d’éléments qui constitue la spiritualité.
L’étape qui suit, permet de mettre en lien ce que les mécanismes de l’addiction ont induit comme réponses possibles à des questions relatives au sens de l’existence. La relation aux produits et leur consommation ont étés vecteurs d’expériences spirituelles, puisqu’ils touchent à l’esprit, mais sans répondre aux questions de fond sur ce qui donne du sens dans l’existence.
«Réflexion spirituelle» ou comment donner du sens à mon existence
La prise de conscience se fait tel un constat: Je sais ce qui me fait du bien, je ne l’utilise plus, alors même que cela donnait du sens à mon existence. La relation au produit m’a rendu service un temps puis m’a dérobé la liberté du choix, même jusqu’à supprimer la liberté de choisir ce qui organise ma vie.
Les échanges qui suivent se font souvent l’écho de temps où la vie même a été remise en question, où le deuil d’un proche à conduit à perdre le sens même de son existence. Retrouver goût à son existence demande de répondre à la question de ce qui lui donne du sens.
Les valeurs: Quelles sont les valeurs de la personne, celles qui touchent à son identité, ce à quoi elle adhère ou au contraire ce qui est inadmissible pour elle.
Le pardon
Comment s’ouvrir à la question du pardon à soi ou aux autres de manière à vivre une réconciliation. Comment se réconcilier avec cette personne en soi qui est malade dépendante. Comment vivre une réconciliation avec l’entourage, avec honnêteté et humilité.
Reconnaître ses qualités
Comment se reconnaître comme une personne de qualité qui a des qualités humaines et concrètes.
Ce thème abordé lors de la dernière semaine demande de répondre à une question de fond: Qui est-ce que je me sens être aujourd’hui?
Tout au long de ce parcours de Réflexion spirituelle, l’identité, l’estime de soi et les convictions sont abordées de différentes manières pour permettre à la personne de se situer dans un temps de changement. Ce changement conséquent consiste à renoncer à des habitudes qui n’ont plus de sens pour orienter son existence vers une qualité de vie nouvelle.
Notre peur la plus profonde n’est pas que nous ne soyons pas à la hauteur, notre peur la plus profonde est que nous sommes puissants au-delà de toute limite.
C’est notre propre lumière et non notre obscurité qui nous effraie le plus.
Nous nous posons la question : Qui suis-je, moi, pour être talentueux, brillant et merveilleux?
En fait : Qui êtes-vous pour ne pas l’être ? Vous êtes un enfant de Dieu. Vous restreindre et vivre petit ne rend pas service au monde. Nous sommes nés pour rendre manifeste la gloire de Dieu qui est en nous.
Discours prononcé par Nelson Mandela en 1994 lors de sa prise de fonction à la Présidence de la République d’Afrique du Sud. Discours écrit par Marianne Williamson.