juin 2008
Narcotiques Anonymes romands
La plupart d’entre nous sommes arrivés en rétablissement après un très long parcours dans les produits et de longues années de souffrance. La dépendance active nous avait conduit, à travers différentes drogues et différents modes de consommation, à un grand isolement. Nous avions perdu contact avec nos familles et nos amis, soit par éloignement géographique soit simplement par une attitude distante : nous étions absents de notre propre vie. A la recherche d’une satisfaction ou d’un soulagement immédiat à toutes les sensations désagréables, nous avons fui nos responsabilités dans la drogue. Tout en négligeant nos relations avec les autres, nous nous négligions nous-mêmes. La honte et la culpabilité nous poussaient à nous cacher et à mentir sur qui nous étions devenus. L’autodestruction, l’égocentrisme, la manipulation nous maintenaient dans un mode de vie en rupture avec la société et nous précipitaient, malgré nous, dans un monde de violence. N’ayant pour d’autre choix que de consommer encore pour ne pas voir en face où nous en étions arrivés, nous nous sommes trouvés vaincus par la maladie de la dépendance. Notre maladie s’exprimait par l’obsession, des pensées continuelles tournées vers la drogue et les moyens de nous en procurer davantage. La compulsion qui nous poussait à consommer malgré nos promesses d’arrêter. Notre folie, telle que nous la définissons, était de continuer à consommer malgré toutes les conséquences négatives qui en découlaient, de répéter les mêmes comportements dans l’espoir d’un résultat différent. Mille fois nous nous sommes promis de changer, dès demain…. «Demain c’est décidé, j’arrête !» Les lendemains se suivaient et se ressemblaient… «Les attentes interminables au coin d’une rue, glacé par le manque et l’angoisse…, sans cesse répétées», «la négligence des enfants pour lesquels les horaires étaient devenus aléatoires, en fonction de la présence ou de l’absence du produit», «les paranos et la peur d’être découvert dans toute cette détresse et cette illégalité». Vivre sans drogue n’était alors pas une option: seuls face à la puissance du manque, face au désespoir et aux fantômes qui nous hantaient, arrêter les dogues nous semblait impossible. Plus long le parcours, plus difficile de s’en éloigner!
Nous sommes, pour la plupart, arrivés à «Narcotiques Anonymes» (NA) après avoir fait de multiples tentatives pour sortir de cet enfer: les thérapies, la substitution ou le contrôle de notre consommation. Nous cherchions par différents moyens à trouver une solution à nos problèmes. Nous en voulions à la vie, à la société, aux autres d’en être arrivés là… Certains d’entre nous, à la recherche d’un sens à tout cela, se sont tournés vers la religion également. Mais rien ne semblait nous tenir éloigner de la consommation, sous une forme ou une autre. Vivre abstinents de drogue alcool et/ou médicaments psychotropes nous apparaissait comme un défi insurmontable.
Le programme de NA nous a offert des outils pour faire face à l’angoisse. Nous nous étions débattus dans l’isolement avec la maladie de la dépendance. NA nous proposait de ne plus être seuls, de trouver parmi les membres en rétablissement, l’identification nécessaire pour ne plus nous sentir si inadaptés, spéciaux et différents des autres et du reste du monde. Dans NA, nous avons été accueillis avec chaleur et compréhension par des personnes ayant traversés comme nous ces souffrances qui nous collaient à la peau. Leurs sourires et la joie qui se dégageaient d’eux traduisaient l’espoir qu’ils avaient en notre rétablissement. Sans nous connaître, cet accueil fraternel et inconditionnel fait bien plus que tous les discours: il donne le message qu’il y a un espoir de s’en sortir. Chacun des membres en est la preuve. Une première lueur spirituelle s’allume alors…
Le premier aspect du mot spirituel tel que nous l’avons découvert est cette idée fondamentale qu’ensemble, nous pouvons vivre sans consommer, en toute circonstance. L’obsession de consommer cède la place à une nouvelle dimension dans notre vie: celle de faire partie de cet ensemble et de partager notre espoir avec d’autres en même temps que ceux-ci nous aident à rester loin de la première consommation. Le partage de nos solutions et de nos difficultés renforcent chaque jour cet espoir. Même si au début il s’agit de faire comme si…
NA propose une solution simple, celle d’arrêter de consommer un jour à la fois et de se donner une chance: changer de mode de vie grâce à l’entraide que partagent ses membres. La seule condition requise pour être membre est le désir d’arrêter de consommer. Vaincus par des années de souffrance et touchés par cet accueil chaleureux, nous avons accepté de saisir cette opportunité offerte sans exigence: nous avons tenté d’appliquer des suggestions inconditionnellement proposées.
Par le travail des 12 étapes et avec l’accompagnement d’un parrain ou d’une marraine, nous nous éloignons progressivement de notre passé douloureux et apprenons à refaire confiance à la vie. Le soulagement de ne plus avoir l’obligation de vivre dans l’isolement et la peur dont il est assorti nous procure une gratitude que nous avons envie de partager avec d’autres qui souffrent encore. Cette gratitude nous soutient dans les moments où l’envie de consommer ressurgit.
Le vide laissé par la drogue a été comblé par la fraternité, par les liens qui unissent les membres. Et c’est pour préserver l’unité autour de ce but commun que nous concentrons nos efforts sur les liens qui nous unissent plutôt que sur ce qui pourrait nous séparer. Beaucoup de choses nous différencient en effet et pourraient nous éloigner de ce but. C’est aussi une des raisons pour lesquelles nous n’avons pas d’opinion sur des sujets autres.
Notre engagement dans NA, même après des années sans consommer, repose sur la reconnaissance d’avoir découvert une solution pratique nous permettant de ne pas consommer juste aujourd’hui. Les jours s’accumulent, nos vies et notre état de santé s’améliorent, nous retrouvons le goût de vivre. Petit à petit, nos vies changent et nos rêves se réalisent, les uns après les autres. Nous réalisons que ce nouveau bien-être n’a pas de prix; les nouveaux dans nos réunions nous le rappellent sans cesse. Par le partage de notre vécu au quotidien, avec ses cadeaux et ses soucis, nous nous efforçons de ne pas oublier d’où nous venons. Nous mettons toujours plus l’accent sur les solutions que nous appliquons pour changer nos anciennes habitudes et nous réjouissons de trouver un peu de sérénité en apprenant progressivement à accepter la vie telle qu’elle se présente. Nous apprenons à voir dans chaque événement une opportunité. Nous découvrons une joie toute neuve, celle d’apprécier la vie et ses incessants cadeaux, des plus simples aux plus grandioses. Notre regard sur la vie change.
Nous sommes rapidement motivés à transmettre ce que nous avons reçu à d’autres dépendants suivant le même parcours chaotique: il est possible de s’en sortir et de trouver un meilleur mode de vie, loin des drogues. Après avoir connu des changements significatifs dans notre propre vie, un éveil que nous appelons spirituel, se produit; nous avons le souhait de transmettre cet espoir à d’autres car ce n’est qu’en le partageant que cet éveil a du sens.
Des principes spirituels simples et concrets. Plus on les applique, plus ils fonctionnent:
Notre propre rétablissement, de même que les relations entre les membres et avec les autres en général, reposent sur trois principes spirituels qui sont l’honnêteté, la bonne volonté et l’ouverture d’esprit. Ils soutiennent et guident notre engagement dans ce processus de rétablissement.
L’honnêteté est un outil fondamental. Nous avons impérativement besoin de reconnaître que les dégâts que nous subissons ont pour une grande partie été entraînés ou aggravés par notre dépendance aux drogues. Il s’agit de poser un regard courageux et clair sur ce que cette dépendance a occasionné et de tenter, sans produit altérant notre conscience, d’examiner nos comportements et nos motivations. L’honnêteté nous encourage à partager ouvertement ce que nous avons tendance à garder secret, nous rappelant que nous sommes aussi malades que nos secrets: ce qui est livré au grand jour ne peut plus grandir dans l’ombre. L’honnêteté est un travail au quotidien. Par mille manières, nous sommes enclins à éviter de reconnaître ce que nous ressentons, à chercher des moyens de nous anesthésier et de fuir les difficultés. Nos anciennes habitudes reprennent rapidement le dessus si nous n’utilisons pas l’outil de l’honnêteté envers nous- même. Et nous savons par expérience que la fuite de nous-mêmes nous conduit au produit. Le parrain ou la marraine nous permet de pratiquer ce principe dans une relation privilégiée.
La bonne volonté nous encourage à faire ce qui nous est suggéré et de donner une chance à une nouvelle manière de vivre. Nous apprenons à considérer que notre propre volonté nous a le plus souvent conduits à des choix destructeurs et à cette incessante répétition de nos anciens schémas de comportements. Les résultats sont évidents et notre détresse en arrivant à NA en est la preuve. Si nous l’oublions, d’autres peuvent nous le rappeler. Faire appel à notre bonne volonté nous incite à donner de nous-mêmes, même lorsque nous n’enavons pas l’envie. Nous apprenons à poser les actes constructifs qui nous maintiennent dans une attitude positive. La bonne volonté nous soutient dans nos moments de découragements et de doutes, nous rappelant qu’il nous suffit de mettre le rétablissement en priorité dans notre vie pour que le reste ait une chance de s’améliorer.
L’ouverture d’esprit nous invite à considérer une force plus grande que notre volonté personnelle et égocentrique. Ce quelque chose de plus grand, de plus fort que nous, est souvent représentée d’abord par le groupe et les personnes en rétablissement que nous côtoyons quotidiennement. Nous nous encourageons à utiliser le téléphone pour faire la connexion avec une autre personne afin de couper court à la volonté déchaînée qui peut s’éveiller en nous à toute heure du jour ou de la nuit. Nous prenons petit à petit confiance que, grâce à l’ouverture d’esprit, nous pouvons choisir de réagir différemment dans les moments où notre volonté pourrait nous pousser à consommer. L’ouverture d’esprit est aussi l’attitude qui nous permet d’accueillir tout dépendant à la recherche d’une solution pour sortir de l’enfer de la consommation, sans le juger. Nous essayons de centrer notre attention sur le message plutôt que le messager… L’ouverture d’esprit nous est suggérée afin de nous identifier aux solutions plutôt qu’aux problèmes, nous permettant d’apprendre les uns des autres et d’écouter les suggestions qui fonctionnent pour les autres.
Nous cherchons à dépasser nos difficultés et à réparer les conséquences que notre consommation a eues sur notre entourage et surtout sur nous-mêmes. La dépendance nous a rendus égocentriques parfois à l’extrême et nous travaillons à en sortir. L’occasion nous est offerte par la présence des nouveaux dans nos réunions et par le travail d’information que nous proposons dans les institutions.
Après avoir passé des années à remettre au lendemain, à ne vivre que pour la prochaine dose, à nous projeter dans nos prochaines consommations, à regretter le passé et nos comportements, à blâmer les autres et à cultiver nos ressentiments, nous apprenons à vivre le moment présent et à lâcher prise. Le programme nous suggère de rester «clean» juste pour aujourd’hui. Le «juste pour aujourd’hui» nous permet de nous focaliser sur ce que nous vivons ici et maintenant. Il devient un mode de vie, nous invitant chaque jour à faire de notre mieux et à poser des actes constructifs.
La fraternité nous donne un sens d’appartenance et ce nouveau mode de vie, une plus grande confiance. Dans un climat d’amitié partagée dans le monde entier sous une forme similaire, nous retrouvons notre place dans ce monde. L’anonymat nous protège de notre égocentrisme et de l’orgueil que nous avons développé pour nous protéger de l’adversité que nous ressentions face à la vie. Les épreuves et les solutions simples que nous apporte le programme de rétablissement nous conduisent vers une humilité croissante et nous apprennent à donner et à recevoir.
Le résultat du programme de rétablissement est de vivre sereinement, d’avoir trouvé une manière d’affronter la vie telle qu’elle est avec un peu de paix intérieure. Nous découvrons l’humilité d’accepter les choses que nous ne pouvons pas changer, le courage d’assumer celles que nous pouvons changer et la sagesse de les distinguer l’une de l’autre. Nous retrouvons un sens du bonheur et de la joie de vivre, la capacité d’apprécier les choses simples, d’ouvrir les yeux sur les beautés qui nous entourent. Plus nous progressons dans cette nouvelle vie, plus nous nous rapprochons de nos familles et nos anciens conflits s’apaisent. Nous devenons petit à petit fiables en maintenant nos engagements au sein de la fraternité.
Devenir ou redevenir des membres responsables et productifs de la société est un de nos objectifs et les responsabilités prises dans NA nous y encouragent. Nous apprenons à vivre et à œuvrer ensemble dans l’intérêt du groupe. C’est grâce à l’implication de chacun que notre fraternité continue à croître partout dans le monde: elle s’étend dans de nombreux pays et sur tous les continents, avec des textes communs traduits dans plus de 50 langues, quelque soit la culture, la religion ou la politique en vigueur! Et c’est une de ses grandes forces!
La structure et le fonctionnement de NA repose sur 12 traditions qui nous guident dans nos décisions et dans le développement de notre fraternité; ils nous donnent des solutions pour résoudre nos problèmes internes et pour gérer nos relations avec l’extérieur. Sans hiérarchie ni chefs, NA fonctionne grâce à l’implication volontaire et bénévole de membres élus aux diverses tâches de service permettant de conduire nos affaires. Nous accordons une grande valeur à ce leadership en faisant confiance au choix du groupe. Pour nous protéger des prises de pouvoir de fortes personnalités et donner à chacun la possibilité de s’impliquer, ces mandats sont temporaires. Grâce à la 12ème tradition, qui dit que «L’anonymat est la base spirituelle de toutes nos traditions, nous rappelant sans cesse de placer les principes au-dessus des personnalités», nous préservons notre but primordial et la force de notre message. Cette tradition permet également de modérer la place que pourrait prendre notre égo au sein de la fraternité: anonymes, nous sommes tous à la même enseigne, quel que soit notre nom, notre métier ou notre niveau de vie.
La spiritualité dans ce programme est à comprendre comme un aspect fondamental du nouveau mode de vie auquel il nous invite, et, bien loin de nous emprisonner, cette spiritualité nous libère. En nous aidant à développer le meilleur en nous, elle nous propose des valeurs telles que l’engagement, la responsabilisation, l’honnêteté, la tolérance, la confiance… qui nous ont tant fait défaut. Lorsque nous nous efforçons de nous centrer sur nos similarités plutôt que sur nos différences, notre unité et notre force de soutien perdurent. Aussi longtemps que nous sommes réunis pour nous entraider et non pour mettre en évidence ce qui nous sépare, nos liens favoriseront le rétablissement individuel. Nous considérons que c’est ensemble que nous pouvons changer… Et ça marche!
«NA utilise le mot «spiritualité» ou «Dieu» sans leur donner un sens métaphysique ou religieux. NA encourage ses membres à cultiver leurs propres croyances, en précisant qu’il est fait référence à un «Dieu, tel que tu le conçois, ou pas». Comité de relations et d’Information Publique CIRP Suisse Romande
Cinq dépendants en rétablissement:
J. 4 ans et 8 mois, 44 ans
S. 11 ans, 6 mois, 42 ans
S. 7 ans, 2 mois, 49 ans
Y. 11 ans et 10 mois, 46 ans
E. 6 ans, 1 mois, 36 ans