novembre 2022
Thomas Urben (Addiction Valais)
Collaborer est indispensable dans le champ des addictions. Nous sommes toutes et tous convaincu·e·s de cette affirmation. La complexité de la problématique, intégrant des aspects somatiques, psychiques et sociaux, nécessite de travailler avec les personnes concernées, leur entourage proche et/ou leur réseau élargi. Mais comment bien collaborer pour être véritablement au service de la personne ? Les difficultés peuvent d’emblée apparaître dans un quotidien où interviennent les différents cadres administratifs et juridiques, les processus qualité et les indicateurs de performance. Le/la professionnel·le, peut-être par crainte de faire faux ou de desservir les intérêts des personnes suivies, peut également s’isoler dans les accompagnements, l’empêchant ainsi d’avoir une approche globale de la situation. Les conventions de collaboration entre les institutions constituent un outil permettant non seulement de réduire ce risque, mais aussi de poser un cadre cohérent et structurant qui clarifie les compétences, rôles et fonctions des différents acteurs et qui profite aux personnes accompagnées.
Les conventions de collaboration sont des instruments utilisés par Addiction Valais depuis de nombreuses années. Le présent article a pour but de faire part de l’expérience de notre institution, de montrer en quoi la convention de collaboration devient nécessaire dans certains contextes et d’évoquer les enjeux et défis associés.
Avec 345’500 habitant·e·s, le Valais ne dispose pas de la masse critique pour développer des services spécialisés en addictologie. La superficie de notre canton représente 12.6% de celle de la Suisse, mais seulement 4% de la population y habite 1. La densité de population y est ainsi trois fois plus faible que la Suisse (67 habitants/ km2 contre 209). Sion, capitale et plus grande ville du canton, n’est peuplée que d’environ 34’000 habitant·e·s. Ces chiffres montrent l’absence de centre urbain et les difficultés d’assurer à chacun·e l’accès à un dispositif de spécialistes.
Partant de ce constat, Addiction Valais privilégie la posture de généraliste des addictions. Elle est, à nos yeux, la seule capable d’offrir des prestations à l’ensemble de la population – et ce, quelle que soit la conduite addictive concernée – et de répondre ainsi à la demande de notre mandant l’État du Valais. Le Canton soutient également cette position, en énonçant à l’article 4.1 de l’ordonnance sur les addictions du 30 mai 2012 : « La fondation collabore avec tous les établissements et institutions œuvrant dans ses secteurs d’intervention » 2.
En invitant la fondation Addiction Valais à collaborer avec les services œuvrant dans ses secteurs d’intervention, cette ordonnance reconnaît ainsi que l’addiction se situe au carrefour de nombreux axes et que la mission de la fondation ne peut être accomplie de façon isolée. Nos partenaires, qui peuvent être du domaine social, sanitaire (somatique et psychiatrique), judiciaire, éducatif et administratif, doivent être associés. Et c’est à ce stade que la convention de collaboration s’avère être un outil de travail précieux.
Les professionnel·le·s des partenaires de notre réseau devraient, et ont besoin de, se renseigner sur les conduites addictives des personnes avec qui ils/elles sont en contact. Lorsque les conduites apparaissent à risque, ces professionnel·le·s devraient être en mesure de les prendre en compte et d’intégrer dans leurs prestations l’orientation des personnes vers des ressources et compétences appropriées. Il est donc de notre responsabilité de faire en sorte que nos partenaires puissent développer des compétences de repérage des conduites addictives. Une des missions d’Addiction Valais devient alors d’informer et de former les acteurs du réseau et de la société aux questions des conduites addictives, afin de favoriser pour chacun·e l’accès à un bon réseau de prestations. La convention de collaboration, en établissant des relations de travail efficaces entre les acteurs impliqués et en favorisant la compréhension des compétences, des rôles et des contraintes de chacun·e, devient garante d’une considération plus globale de la situation de la personne dans la réponse à ses besoins.
Un des enjeux importants pour notre institution est de répondre à des demandes provenant de sources de signalement multiples. En 2021, 1’472 personnes ont sollicité nos unités ambulatoires. Plus des deux-tiers des demandes (68%) n’émanaient pas de la personne directement concernée par la conduite addictive, comme par exemple un hôpital qui prend rendez-vous avec l’accord de son/sa patient·e pour démarrer un suivi à la sortie de l’hospitalisation. Dans une volonté d’intervention précoce, il est indispensable que notre institution soit présente pour les membres de chaque dispositif, qu’elle facilite l’accès aux prestations et qu’elle améliore la continuité et la qualité des accompagnements. Avec des personnes qui se situent souvent dans des comportements ambivalents, la trajectoire d’accompagnement se doit d’être la plus efficiente possible. Notre rôle consiste à faciliter la création de ponts entre les différentes cultures institutionnelles et le renforcement de la confiance mutuelle.
L’autre objectif des conventions de collaboration est alors de modéliser les trajectoires d’accompagnement, c’est à-dire d’identifier la contribution de chaque acteur dans le processus de rétablissement de la personne. Il s’agit aussi de favoriser l’expression du fonctionnement des acteurs en ce qui concerne leurs processus d’accueil, d’accompagnement et de décision, et d’expliciter leurs valeurs, représentations et pratiques afin de dégager une vision partagée. Face à une absence de certains spécialistes, les institutions et services sont aussi amenés à faire preuve de créativité, comme l’illustre l’adaptation en 2021 de la convention de collaboration entre l’Hôpital du Valais et Addiction Valais.
Addiction Valais est une institution non-médicalisée. Au vu des personnes que nous accompagnons, l’Hôpital du Valais, et ses différents services, est un partenaire indispensable pour la fondation. Durant le récent processus de renouvellement de la convention, toutes les discussions avec les partenaires de l’Hôpital du Valais ont mis le focus sur la modélisation de l’accompagnement, avec en fil rouge la question suivante : Comment viser un accompagnement efficient qui tienne compte d’une chaîne thérapeutique cohérente ?
Il est fondamental de mettre cette question au centre lorsqu’une convention de collaboration est discutée. Elle permet de définir les trajectoires d’accompagnement, d’aborder les questions autour de la liaison entre les institutions et services concernés, de débattre des enjeux associés aux notions d’interdisciplinarité et de thématiser l’association de compétences spécifiques dans l’accompagnement.
Plusieurs actions concrètes ont pu ainsi être intégrées et réalisées dans l’intérêt des personnes suivies, dont la création d’une unité de liaison sur le site hospitalier psychiatrique de Malévoz. Le but est d’intervenir précocement dans les situations où une personne hospitalisée rencontre des problématiques de conduites addictives. Cette unité constitue une ressource importante non seulement pour les patient·e·s, mais aussi pour les équipes qui bénéficient de contacts privilégiés avec nos intervenant·e·s sur leur site de travail, pour échanger et renforcer les transitions entre l’hôpital et le retour à domicile ou le transfert en institution. Une autre mesure a été de proposer les services d’un·e psychiatre au sein même de nos unités résidentielles. Contrairement à la pratique antérieure où la personne gardait son suivi en externe, la consultation sur site d’un·e psychiatre permet d’améliorer grandement l’efficacité des accompagnements dans une perspective de prise en charge intégrée.
Cet exemple illustre le fait que la convention de collaboration est un outil qui permet de tenir compte des approches différenciées et adaptées selon les services. Elle permet également de se poser les bonnes questions, dans un contexte où les compétences humaines et les ressources financières diffèrent et peuvent parfois être limitées au sein de la même institution.
Pour qu’une convention de collaboration apporte la plus-value attendue, elle doit pouvoir être au service des professionnel·le·s impliqué·e·s et favoriser l’expression de leurs compétences spécifiques. Faire vivre l’esprit et l’application des conventions de collaboration au quotidien, afin qu’elles ne se réduisent pas à un outil au service des directions mais soient profitables aux personnes accompagnées, est un défi permanent. Relever ce défi passe par un important travail de communication auprès des professionnel·le·s. La convention de collaboration montre en particulier sa grande utilité lorsqu’il y a des changements réguliers et importants de personnels dans des services, car elle sert de base à une meilleure connaissance des acteurs du dispositif et de leurs missions.
Un risque dans l’application de conventions de collaboration est qu’elle peut amener certains acteurs, qui estimeraient justement que l’existence d’un tel outil est suffisante, à se déresponsabiliser des questions d’addictions. À l’instar de certains États qui signent des conventions internationales sans les respecter, ni les appliquer, nous pouvons tomber dans ce type de logique si nous ne prenons pas le soin ni le temps de les faire vivre sur le terrain et de questionner régulièrement leur utilité et leur plus-value pour les personnes accompagnées.
La question des zones d’interface est également sensible. Elle nécessitera toujours de grandes discussions, à conduire dans une confiance et un respect mutuel. Il est en outre important de rappeler que la convention de collaboration n’englobera jamais l’ensemble des situations qui se présenteront sur le terrain, ni leur complexité. Il y aura toujours des zones grises dans lesquelles des échanges et la prise de décisions partagées deviendront indispensables.
Finalement, la question de la circulation de l’information entre les acteurs impliqués restera toujours centrale Chacun·e, dans un lien de confiance réciproque, doit en effet pouvoir entendre qu’il aura les informations pertinentes et nécessaires à la réalisation de son travail.
Addiction Valais utilise les conventions de collaboration avec ses principaux partenaires. La signature d’une convention de collaboration est une décision stratégique prise lorsque la nécessité de modéliser nos accompagnements avec des partenaires indispensables à notre fonctionnement et à la réalisation de notre mission se fait sentir. La base de réflexion et de décision est orientée vers l’établissement d’une répartition efficiente des compétences et la mise en place d’un fonctionnement transparent des interfaces communes aux parties. Afin que chaque partie y trouve des bénéfices, un esprit de consensus et de pragmatisme est nécessaire et chacun·e doit faire un pas vers l’autre. En tant que spécialistes du champ des addictions, nous devons revendiquer cette ouverture tout en affirmant nos valeurs d’accompagnement. Les conventions de collaboration représentent un excellent outil pour expliquer notre travail et nos actions et porter notre vision, dans l’intérêt des personnes que nous accompagnons.