décembre 2023
Julie Quintus (Fondation Jugend- an Drogenhëllef, ville de Luxembourg), Giselle Lafontaine (Fondation Jugend- an Drogenhëllef)
La population vieillit de plus en plus, c’est un fait indéniable. Le rapport national drogues 1 2022 du Luxembourg confirme ces observations : l’âge moyen des utilisateurs de drogues en réduction des risques est de 38 ans en 2022, contre 35 ans en 2019 et 28 ans en 1995. Nous constatons ainsi une réelle augmentation au cours des dix dernières années. Les avancées médicales et les conditions de vie améliorées de notre population toxicodépendante contribuent à ce phénomène. Les programmes de réduction de risques ainsi que les centres d’aides aux personnes toxicomanes jouent également un rôle crucial dans cette évolution.
Une partie de la population jusqu’à présent invisible devient donc un défi visible pour notre société du Grand-Duché de Luxembourg.
De 2013 à 2015, la Fondation Jugend- an Drogenhëllef (JDH) 2 a organisé un premier projet européen sur la question des personnes dépendantes d’un certain âge, appelé « Sucht im Alter » (« La dépendance chez les personnes âgées »). L’objectif de cette analyse internationale était d’échanger sur les aspects physiques et psychologiques du vieillissement des usagers de drogues, la typologie de cette population et les expériences de terrain des pays participants.
Ce premier succès a motivé la JDH pour coordonner un second échange international, qui a eu lieu entre 2016 et 2018. Il s’agissait d’un projet Erasmus+, appelé « Better Treatment for Aging Drug Users » (BETRAD, ou « Un meilleur traitement pour les usagers de drogue âgés »). L’objectif principal était de créer des outils et de partager les bonnes pratiques nationales en collaboration avec les usagers de drogue vieillissants.
Ces projets internationaux ont conduit à une discussion de plus en plus intense au niveau politique luxembourgeois et à une prise de conscience de l’importance du sujet.
Au Luxembourg, le ministère de la Santé et le ministère de la Famille ont relevé ce défi et ont intégré des visions concrètes dans les plans d’action nationaux en matière de drogues illicites 2015-2019 et 2020-2024. Un service spécifique a été créé au sein de l’organisation JDH, afin de répondre aux besoins réels des personnes dépendantes âgées. De même, le Centre intégré pour personnes âgées (CIPA) de Berbourg (Haaptmann’s Schlass) sera équipé de 33 lits afin d’offrir, dans un avenir proche, un logement ainsi qu’une prise en charge adaptée à notre population (ex. traitements de substitution).
Par le biais de ces mesures, les politiques commencent à prendre leurs responsabilités, ce qui amènera bien entendu une meilleure visibilité de cette problématique.
Un sondage interne, réalisé en 2021 par la JDH auprès de la population vieillissante a révélé une réalité alarmante : près de deux tiers des personnes interrogées se sentent régulièrement seules. Ce sentiment d’isolement est accablant : leur état de santé ne leur permet plus de travailler, les liens familiaux et sociaux se sont considérablement réduits et leur mobilité limitée les contraint à rester la plupart du temps chez elles. Les professionnels sont confrontés quotidiennement à cette corrélation entre la solitude et la visibilité partielle de cette partie de la population, notamment dans le cadre du logement supervisé. Le réseau d’aide aimerait offrir un accompagnement plus intensif aux personnes âgées et dépendantes, mais cela nécessite beaucoup de ressources humaines, de temps et de logements adaptés. Les professionnels atteignent leurs limites. Passer toute la journée seuls à la maison constitue une situation difficile et insupportable pour ces gens, c’est donc aux politiques et aux acteurs sociaux de créer des moyens afin de lutter contre cette problématique.
À l’avenir, il faudrait agir sur trois niveaux pour que notre population puisse avoir une visibilité permanente : un accompagnement plus intensif dans la vie quotidienne, une structure de jour (foyer de jour) pour lutter contre l’isolement, enfin une maison de retraite pour les personnes qui continuent à consommer activement des drogues illicites. Ces trois piliers permettraient d’agir en fonction des besoins individuels des personnes concernées, tout en leur permettant de vieillir dans la dignité.
Pour conclure, nous sommes persuadés que les premiers pas dans la bonne direction sont faits. D’autres pas devront suivre, aux instances politiques et aux acteurs sociaux de relever ce défi.