septembre 2000
Herbert Müller (Casa Fidelio) ; Traduction: Claire Roelli (COSTE)
Une institution thérapeutique spécifiquement destinée aux hommes et créée par des hommes!
D’où vient cette idée?
Avant de mettre en œuvre le concept d’une approche spécifique, plusieurs collaborateurs de Casa Fidélio travaillaient dans une institution pour personnes toxicodépendantes accueillant à la fois des hommes et des femmes, avec des équipes et un personnel mixtes. Leurs collègues intervenantes manifestèrent alors leur insatisfaction par rapport à la prise en charge et l’ambiance de travail. Elles souhaitaient en effet mettre l’accent sur les besoins spécifiques des femmes. Elles conceptualisèrent leurs idées et commencèrent à les mettre en pratique avec comme conséquence leur propre départ ainsi que celui des résidentes. C’est ainsi qu’est née la première institution spécifique pour les femmes en Suisse, la Villa Donna. En automne 1995 elle fermait ses portes pour des raisons diverses. Au printemps 1996 la nouvelle institution «Femme et Enfant, CT Lilith» reprenait la maison de la Villa Donna à Oberbuchsiten (SO) pour continuer le travail sous une forme modifiée.
Pendant ce temps les intervenants hommes, confrontés à cette situation, décidèrent de faire la même expérience en donnant aussi à leur travail une orientation sexospécifique.
Autrement dit, ils n’accueillirent plus de femmes durant une année afin de se consacrer entièrement à la réflexion autour de la condition, du statut et du rôle de l’homme. Cela se passa très bien au début et les intervenants eurent véritablement le sentiment de répondre aux besoins spécifiques des résidents. Mais plus tard, lorsque des femmes furent à nouveau intégrées à l’équipe, on se rendit compte qu’on n’avait pas suffisamment réfléchi aux conséquences possibles de cette intégration auprès des intervenants hommes. Peu après l’engagement de ces collègues femmes, les résidents et les intervenants hommes leur attribuèrent rapidement les tâches dites «féminines», en projetant notamment dans le domaine relationnel tous les aspects liés traditionnellement aux représentations masculines de la femme. Cette situation provoqua un stress grandissant, interférant de plus en plus négativement sur le travail et la cohésion de l’équipe. Tous ces événements s’étaient donc produits dans l’ancienne institution, avant la création de Casa Fidelio.
Ce bref regard en arrière pour montrer qu’une approche spécifique avec les hommes ne s’improvise ni ne s’instaure simplement du fait qu’il n’y a aucune femme parmi les résidents. L’équipe aussi doit être constituée de personnes du même sexe.
C’est ainsi que Casa Fidelio a été créé: une institution pour des hommes avec des hommes.
L’efficacité d’un travail sexospécifique repose sur la nécessité d’une préparation sérieuse et détaillée. Les femmes toxicodépendantes sont minoritaires. Dans les institutions mixtes le taux d’occupation est le plus souvent de l’ordre de 20% pour les femmes et de 80% pour les hommes. Déjà dans la scène de la drogue elles ont été confrontées à un surnombre d’hommes. Elles y ont très souvent fait l’expérience de leur violence tout en étant parallèlement dépendantes d’eux. L’aspect le plus marquant est certainement la prostitution liée à la drogue. La nécessité pour elles d’une approche spécifique devient alors évidente. De notre point de vue, elles ont d’abord besoin d’un lieu protégé pour elles-mêmes, leur permettant de guérir leurs blessures. Elles ont besoin également d’une base sécurisante qui rende possible un processus de décisions leur permettant de construire une vie dans laquelle elles puissent se (ré)approprier leur responsabilité et leur autonomie.
Le besoin d’une approche sexospécifique pour les hommes n’a pas les mêmes origines que pour les femmes. Et ce besoin n’est pas si apparent. A Casa Fidelio, les hommes, collaborateurs ou résidents, ont d’abord été confrontés à l’absence des femmes. Ne pouvant plus se définir en tant qu’homme par rapport à elles (dans leur rôle de protecteur, par exemple), ils ont alors été amenés à rechercher dans la communauté d’autres aspects constitutifs de l’identité masculine. Si ceci est clair sur le plan théorique, ce n’est pas si évident dans la pratique et demande un travail sur soi.
Il semble que nous autres hommes, nous nous considérions quasi automatiquement comme une «norme». Sur le plan linguistique, par exemple, la forme masculine au pluriel est valable pour les deux sexes (même s’il y a progressivement des changements dans ce domaine: par exemple Therapeut/Therapeuten – actuellement TherapeutInnen).
Pour une approche sexospécifique, nous devons modifier notre façon de penser jusqu’alors «monodimensionnelle» du type «Femme versus Homme» vers une pensée à deux dimensions.
Une représentation à la fois différenciée et globale de la femme et de l’homme devient alors possible, permettant ainsi que des attributs ou caractères propres aux deux genres ne soient plus seulement attribués à un sexe, le dissociant de l’autre.
Riche de ses enseignements passés, Casa Fidelio a élaboré un concept de prise en charge spécifique pour développer de façon plus consciente et ciblée le travail avec les hommes. L’approche sociothérapeutique comporte de ce fait un accent important sur la réflexion et la prise de conscience de soi en tant qu’homme.
L’approche thérapeutique proposée à des hommes par des hommes doit donner la possibilité aux résidents de se découvrir et de vivre en tant qu’homme d’une façon authentique. Les résidents acquièrent la possibilité de construire une nouvelle image d’eux-mêmes en développant la sensibilité à leurs propres sentiments et besoins.
Travailler sur des relations de couple ou des relations avec les femmes en général leur permet d’élaborer leurs expériences, par exemple leur représentation du pouvoir ou d’autres valeurs dites «masculines». À Casa Fidelio nous constatons souvent un déni ou une dévalorisation du pouvoir de la femme, la tentative de garder le contrôle sur elle, voire d’en abuser.
La proximité souhaitée avec la ou le partenaire, en général avec elle, se traduit fréquemment par un manque de distance, un besoin de dorlotement, de fusion et d’accrochement durable ou alors par un détachement radical. Le ou la partenaire n’a plus l’espace pour garder son autonomie. Dans la thérapie il s’agit alors de réfléchir aux attitudes et comportements habituels en tant qu’homme, à la fois dans le couple, vis-à-vis des femmes, et vis-à-vis de soi-même, afin de les modifier et d’apprendre à vivre des relations d’égalité.
Les résidents – comme tant d’hommes dans notre société – ont rarement réfléchi à la relation qu’ils entretiennent avec leur mère et avec leur père, ce dernier ayant été si souvent absent, physiquement ou psychiquement. S’ajoute à cela le fait que la plupart de nos résidents ont vécu l’échec du mariage de leurs parents. Dans le domaine émotionnel, habituellement attribué aux mères, les pères n’ont pas témoigné une attention suffisante envers leur fils. Il s’avère alors difficile pour eux d’apprendre que les échecs, les peurs et les chagrins font partie de la vie d’un homme. Des peurs refoulées sont ainsi véhiculées et peuvent se transformer en important potentiel d’agressivité et de violence.
Ce mécanisme est visible chez les hommes. Avec le temps, ceux-ci ne se rendent plus compte qu’une angoisse les opprime et les anesthésie en permanence si bien qu’ils n’ont plus la possibilité de gérer les situations liées aux peurs. Ils n’en deviennent pas plus courageux mais toujours plus angoissés, plus agités, avec des comportements fixés sur des aspects de pouvoir et de rationalisation. Un des buts de la thérapie consiste à prendre conscience de sentiments comme la peur, le chagrin, la honte etc., à les reconnaître et à accepter que les émotions et les sentiments ne sont pas l’exclusivité des femmes. Un autre problème, généré par l’absence du père, est aussi l’impossibilité, pour le fils, de s’identifier au parent du même sexe.
Lorsque le père vit à la maison, la violence, en général paternelle, laisse de nombreuses blessures psychiques et physiques. Le fils les reproduit à son tour, détruisant ainsi le sentiment de proximité et de sécurité dans ses relations ultérieures. Il peut aussi se renfermer sur lui-même. La dissociation et le refoulement des sentiments et des émotions sont alors des réactions fréquentes. L’aspiration à être compris par le père et être l’objet de sa tendresse se transforme en haine, rejet et indifférence et conduit à une fuite vers des modèles masculins irréalistes véhiculés par le cinéma et la publicité.
Dans ce contexte, l’abus de substances psychotropes représente une des multiples stratégies par lesquelles des jeunes tentent de protéger leur «Être» blessé. Les drogues s’avèrent «fiables» dans leurs effets et sont toujours disponibles. Elles permettent un arrangement avec cette nostalgie de sécurité jamais rassasiée. Cela est particulièrement valable pour les substances à effet anesthésiant, qui par ailleurs atténuent toutes sortes d’émotions comme la douleur, la rage ou la tristesse et qui permettent une distanciation d’avec la réalité. D’un autre côté, les drogues peuvent aussi servir d’exutoire à des émotions telles que la rage qui, sans leur aide, ne pourraient être exprimées.
Beaucoup d’hommes qui viennent à Casa Fidelio ont vécu des expériences d’abus, avec des conséquences catastrophiques sur le développement de l’identité et de l’estime de soi. À ce titre ils ont fait l’expérience douloureuse du manque de distance, de la violence ainsi que d’autres abus les plus divers. Le noyau même de leur énergie vitale est touché. Les perturbations relationnelles, la honte et la culpabilité, une méfiance constante et des sentiments de haine sont les conséquences de ces agressions. Notre expérience montre que ces hommes ne peuvent que difficilement nommer dans un groupe, encore moins dans un groupe mixte, les abus psychiques, physiques ou sexuels dont ils ont fait l’objet.
Une culture du conflit positive constitue une part essentielle de la communication (également dans une relation de partenariat) et doit être apprise. Le vécu quotidien commun donne à nos résidents un terrain d’expérimentation optimal. Le sujet est thématisé individuellement et dans le travail de groupe.
Derrière chaque conflit il y a toujours un déclencheur ou un amplificateur émotionnel, mobile central, qu’il s’agit de trouver dans le travail individuel et de groupe.
Exemples:
– Les luttes de possession pour l’espace (territoire), l’argent et d’autres biens, ou pour des personnes (jalousie).
– Des revendications liées au statut, à des attentes de rôles, à l’identité.
– Le désir d’appartenance, de récompense.
– La résistance aux changements, le rapport à l’autorité.
– Le mélange du rationnel et des affects.
– Une attitude de vainqueur – perdant.
– Les conflits destructeurs, disproportionnés par rapport à la cause initiale.
– Le manque de nuances (c’est bien ou c’est mal), la tension émotionnelle disproportionnée qui empêchent une gestion consciente et rationnelle des conflits.
La violence est connue depuis l’enfance, voire depuis la petite enfance. Les expériences ont été fréquentes: voitures cassées, ivresse de la vitesse, violence au football, contre les femmes, contre les hommes, etc.
Agressions et violence, souvent confondues, ne sont pas pareilles. En règle générale, les agressions constituent une étape préliminaire à la violence. Les agressions sont connotées négativement. Le renforcement de la conscience de soi offre une possibilité de quitter un comportement de violence destructive. Seul celui à qui on n’enlève pas la responsabilité de ses actes et qui est appelé à en assumer la responsabilité renoncera à son comportement violent. Lorsque nous contrôlons le comportement de quelqu’un, nous ne le considérons pas comme responsable puisque c’est nous qui représentons son instance de contrôle.
Durant leur enfance, beaucoup d’hommes n’ont pas eu suffisamment de relations avec leur père et les hommes en général. Presque tout ce qui compte concrètement dans leur vie de garçon, qui les nourrit, les occupe et les protège vient des femmes.
Les hommes manquent! Ils participent à peine à l’éducation des petits enfants. Un garçon ne sait pas vraiment ce qui est masculin. Une autorité vécue et expérimentée concrètement fait défaut. De ce fait, les garçons définissent le «masculin/viril» comme le contraire du «féminin». Les jeunes, pour se faire valoir comme virils, agissent la plupart du temps en opposition au comportement dit féminin.
Dans l’éducation des garçons, les hommes apparaissent souvent comme une instance punissante et/ou agressante ou comme le gentil organisateur d’excursions dominicales spectaculaires, ce qui transmet au jeune un modèle de virilité éloigné de toute réalité accessible.
L’absence d’hommes, et par conséquent le manque d’expériences réalistes dans le quotidien implique que les jeunes n’ont pas de représentations concrètes de ce que veut dire être un homme.
Un jeune doit construire sa «virilité» (Männlichkeit) en grande partie à partir de son imaginaire: «je ne suis rien et je dois coûte que coûte devenir un homme». La violence fait partie du quotidien des jeunes gens, à la fois parce qu’ils l’exercent sur autrui et parce qu’ils en font eux-mêmes l’expérience. Faire l’expérience signifie ici que cela arrive et qu’on n’en «souffre» pas sur le plan émotionnel. Souffrir, dans le sens de prendre conscience et d’exprimer la douleur, présuppose le droit de l’avoir ressentie sans se juger soi-même. La «repousser» ou la mettre de côté est une dissociation des sentiments.
Les jeunes que nous accueillons ont besoin de modèles masculins concrets dans la vie de tous les jours. L’isolement et la solitude sont des thèmes centraux. Le travail spécifique Hommes à Casa Fidelio implique aussi la recherche de nouvelles formes d’expression autour du noyau intérieur afin de développer l’unité de la personne.
– On constate une accumulation de tensions psychoémotionnelles.
– La violence dans les relations surgit fréquemment sous l’influence de l’alcool.
– Comment ressentons-nous dans notre espace de vie et dans la société l’agression quotidienne contre soi? Comment les hommes qui ne visent pas de façon primaire pouvoir et capacité d’affirmation peuvent-ils être pleinement hommes?
– Comment peut-on croire encore, sous la pression des contraintes collectives et des différentes formes de hiérarchie, aux capacités de changements des hommes et aux capacités de modifier cette dominance ancestrale?
La grande difficulté de découvrir et de comprendre les expériences passives ou actives de la violence s’explique par le fait que chacun souhaite la placer le plus loin possible de soi afin de ne pas être confronté à sa propre violence.
Nous demandons au résident de Casa Fidelio d’accepter de se confronter à lui-même ou d’acquérir cette disponibilité durant le séjour. Ce sujet est abordé consciemment soit dans les groupes, soit dans les entretiens individuels ou alors par le biais de travaux avec la terre qui deviennent un support à l’expression des émotions.
En abordant des sujets comme la sexualité, l’érotisme ou la tendresse nous sommes inévitablement amenés à réfléchir aussi sur l’homosexualité, qui comporte encore et toujours une composante discriminatoire.
La tendresse est un autre sujet important : quand et où faisons-nous une utilisation mécanique de la tendresse dans le but d’obtenir quelque chose? L’ambivalence par rapport à la tendresse se révèle dans les entretiens. Ces points en font partie intégrante lorsque nous abordons notre sexualité. Casa Fidelio est un espace protégé où les hommes peuvent s’exprimer sans crainte de perdre la face.
La maxime «ce qui n’a pas le droit d’être, n’est pas!» ne correspond ni à la réalité ni à la sexualité masculine. D’autres thèmes sont aussi abordés: la difficulté d’être fidèle, l’infidélité comme quelque chose pouvant maintenir ou détruire une relation, ou encore pouvant être blessante, la consommation de la pornographie, la prostitution… Il existe une vaste palette pour aborder la sexualité masculine. Mais pour ce faire, il faut de l’espace, beaucoup d’espace. Ni la morale ni l’idéalisation mais au contraire la formulation et l’expression des nostalgies et des curiosités dans un environnement de confiance et de sécurité permettent de traiter ce sujet.
Une vision de l’Homme reposant sur ses forces, ses capacités et sa réussite doit occuper une position centrale.
Le contrôle sur sa propre vie suppose des détours qui doivent être acceptés. Les objectifs de Casa Fidelio visent l’intégration dans le quotidien social, c’est à dire:
Le résident a la possibilité de consolider et d’augmenter ses ressources. L’échange permet d’apprendre ensemble et d’expérimenter ce qui a été appris. Concrètement, une semaine à Casa Fidelio se répartit en thérapie, pédagogie, travail et loisirs.
La thérapie vise une plus grande autodétermination et le renforcement de la confiance en ses propres forces jusqu’à leur réalisation dans le cadre de notre société. Cela consiste en premier lieu à construire une relation de confiance qui permet au résident de disposer d’un espace pour guérir de ses blessures, de ses sentiments de culpabilité et de son imaginaire.
Les domaines thérapeutiques et pédagogiques comprennent des entretiens de groupe et individuels, des groupes à thème spécifique, des groupes d’entraide, un atelier d’écriture et un autre de terre. L’intégration des proches est une partie importante de la thérapie. Avec les collaboratrices de la communauté thérapeutique Lilith nous conduisons des entretiens de couples et soignons les échanges professionnels.
Les pères ou pères en devenir peuvent se préparer à leurs futures tâches de père. Un stage dans la garderie d’enfants de la communauté thérapeutique Lilith à Oberbuchsiten fait partie de cet apprentissage.
Le domaine du travail comprend la construction de nos bâtiments en bois et en torchis en contraste avec la pierre et le béton, l’exécution de mandats de construction externes, la menuiserie, le ménage, des travaux de paysagiste ainsi que la gestion du bureau des résidents. Dans la mesure du possible, les résidents travaillent dans leur métier ou bien reçoivent un appui technique dans le domaine où ils sont occupés. Deux résidents ont terminé avec succès leur apprentissage de dessinateur en génie civil et d’employé de commerce.
Enfin, les activités de groupe, la marche, la grimpe, le foot, etc. constituent quelques-unes de nos activités de loisirs dont une partie est également réservée à la formation continue individuelle et à la participation aux associations locales.
Les résidents ont besoin de modèles masculins concrets car les représentations qu’ils ont de leur masculinité sont issues essentiellement de leur imaginaire et reposent sur des images négatives du type: «je ne suis rien et je dois coûte que coûte devenir un homme». Faire l’expérience d’être orienté, de découvrir sa voie sont les bases sur lesquelles le travail spécifique est construit à Casa Fidelio. Ces bases aident les résidents à trouver toujours plus de formes d’expression de leur Être afin de se développer dans une perspective globale (d’unité).
Que ce type d’offre ait un sens dans le domaine des dépendances est prouvé par le nombre important des demandes d’admission avec un taux d’occupation de 96% dès le début.
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