Dépendances

N° 55 Médicaments psychoactifs

Cela fait près de 20 ans que Dépendances existe et c’est la première fois que nous publions un numéro qui porte sur les médicaments psychoactifs. Pourquoi ? Certainement pas parce que les usages de benzodiazépines, d’antidépresseurs ou d’opioïdes de prescription ne sont pas en lien avec le thème de notre revue, bien au contraire. Non, c’est plutôt parce que c’est un sujet difficile à délimiter, que les études sont souvent très spécifiques et que les médicaments relèvent de groupes professionnels et d’acteurs économiques qui rendent parfois difficile l’obtention de perspectives critiques différenciées. Mais, cette fois, nous nous sommes lancés et vous proposons enfin un premier ensemble de réflexions sur ce sujet.

Etienne Maffli et Luca Notari, épidémiologistes à Addiction Suisse, nous proposent tout d’abord des données récentes pour comprendre l’usage et le mésusage de certains médicaments psychoactifs en Suisse. Deux sociologues, Francesco Panese, professeur à l’UNIL et Philippe Lemoigne, chercheur à l’INSERM, s’intéressent respectivement à la dimension sociale de ces médicaments et à la signification de différents types d’usages chroniques. Deux médecins, Toni Berthel et Barbara Broers (en collaboration avec le soussigné), président et vice-présidente de la Commission fédérale pour les questions liées aux drogues (CFLD), rendent compte de certains enjeux liés à la prescription de benzodiazépines pour l’un et d’opioïdes antalgiques pour l’autre. Un toxicologue, Marc Augsburger (en collaboration avec Bernard Favrat), président de la société suisse de médecine légale, nous rappelle les bases légales et les enjeux de l’usage des médicaments psychoactifs en lien avec la conduite automobile, alors qu’un doctorant de l’école des sciences criminelles de l’UNIL, Damien Rhumorbarbe, nous rend attentifs aux développements et aux risques du marché des médicaments en ligne. Internet est aussi l’objet d’un article additionnel dans ce numéro, cette fois sans rapport avec les médicaments, dans lequel Niels Weber et Gabriel Thorens s’intéressent à l’interpénétration des jeux vidéo et de hasard.

Cette édition n’aborde que quelques facettes du phénomène bien plus large des médicaments psychoactifs, mais nous espérons avoir brisé la glace et, ainsi, contribuer à ce que cette thématique puisse trouver la place qui lui revient dans le champ des réflexions et des recherches sur les dépendances. Ce que l’on peut retenir déjà, c’est la frontière parfois étroite et souvent bidirectionnelle qui sépare le médicament psychoactif qui soulage ou guérit de celui qui nuit ou peut même être fatal, y compris par un manque d’accès. En refermant ce numéro, on aura déjà appris que cette frontière relève de la manière dont nous régulons l’accès et appréhendons l’usage de ces médicaments et pas seulement des propriétés pharmacologiques des substances. Nous n’attendrons certainement pas 20 ans avant de creuser ce sujet avec un nouveau numéro de Dépendances.

Frank Zobel, Addiction Suisse