octobre 2013
Pierre-André Michaud ; Drs. Anne-Emmanuelle Ambresin et Joan-Carles Suris (Unité multidisciplinaire de santé des adolescents, CHUV)
Les responsables de la prévention peuvent se fixer dans le domaine des substances, voire d’internet et des TICs (technologie de l’information et de la communication) des objectifs qui varient selon la formation qu’ils ont reçue et leur sensibilité propre. Certains prônent – pour ce qui est des substances illégales – la tolérance zéro, alors que d’autres, admettant que tout adolescent s’engage une fois ou l’autre dans des conduites de nature exploratoire, viseront avant tout à éviter des conduites problématiques, le mésusage, que l’on pourrait définir comme un usage entraînant des problèmes physiques, familiaux, scolaires, relationnels et sociaux, ou encore juridiques et financiers. Le mésusage est d’ailleurs la forme la plus répandue de conduite d’excès à l’adolescence car, surtout en dessous de 18 ans, l’abus ou la dépendance au sens du DSM V restent relativement rares.
Les auteurs de la présente contribution appartiennent à la deuxième tendance, et considèrent que le but que doivent poursuivre les parents est de donner à leurs enfants les moyens d’exercer, à terme, un contrôle sur leur santé et leur mode de vie, de façon à en éviter les conséquences potentiellement négatives. Pratiquement par exemple, on peut admettre que la majorité des parents acceptent que leurs adolescents, dès l’âge de 16 ans, consomment de l’alcool mais qu’ils apprennent à en savourer la saveur et les effets sans verser dans le « binge drinking » (« biture express »). Il en va naturellement de même avec l’utilisation d’internet : il ne saurait être question, dans le contexte actuel, d’interdire l’accès aux écrans mais bien d’inculquer une utilisation rationnelle des instruments que la technologie actuelle – galopante – met à disposition.
La littérature scientifique met en évidence les facteurs favorisant la prise de risque et les consommations problématiques des adolescents. Plus récemment, l’intérêt s’est aussi porté sur les facteurs protecteurs qui favorisent, au contraire, un comportement sain chez les adolescents.
Une analyse secondaire des données SMASH, effectuées il y a quelques années pour le compte de l’OFSP 1, fournit quelques pistes en ce qui concerne l’impact de la vie familiale et des parents :
Dans des études menées par différents psychologues nord américains sur l’impact des styles éducatifs sur le développement des enfants et des adolescents 3, il a aussi été clairement démontré que l’adoption par les parents d’un cadre éducatif clair, doublé d’un intérêt bienveillant et soutenant pour les efforts fournis favorise le développement, le bien-être et les résultats scolaires des enfants et des adolescents. D’ailleurs, de telles conclusions ont aussi été faites à l’échelon de l’école et de la communauté : une étude australienne 4 démontre que l’adoption de démarches prosociales et d’une éducation participative et respectueuse dans une école diminue à terme la consommation de substances par les élèves. Enfin, des programmes communautaires visant à renforcer les capacités éducatives des parents, démontrent eux aussi un effet significatif sur les comportements de prise de risque des adolescents 5.
On le voit, ce sont donc avant tout des démarches proactives visant l’amélioration du cadre éducatif des adolescents, plutôt que les interdits qui sont efficaces pour favoriser des comportements sains 6. D’ailleurs, tant les recommandations de l’OMS que diverses études menées soigneusement attestent de l’efficacité de méthodes pédagogiques centrées sur l’acquisition des compétences de vie (« life skills »), des approches qui fournissent aux jeunes des moyens de régler les conflits sans recours à la violence ou de faire des choix personnels en dépit des pressions exercées par certains amis ou les médias 7. Trop d’adultes tendent à stigmatiser les problèmes sur les jeunes, à laisser croire qu’ils sont seuls à prendre des risques et qu’ils sont au fond responsables de ce qui leur arrive en termes d’accidents ou de problèmes somatiques. Cette attitude stigmatisante et biaisée fait fi de l’impact sur la santé et le bien-être, des conditions de vie et de l’environnement dans lequel baignent les jeunes 8. On aura compris à la lecture de ce chapitre que la responsabilité des professionnels de la santé, de l’aide sociale et de l’éducation, et aussi des décideurs et politiciens est d’aménager des conditions d’existence et un environnement qui permettent aux jeunes de grandir et de développer leur autonomie et leur sens critique en les associant activement, chaque fois que cela est possible, aux décisions qui les concernent.
Tous les professionnels travaillant au sein de l’UMSA (Unité Multidisciplinaire de Santé des Adolescents du CHUV) sont confrontés fréquemment aux questions pratiques posées par les parents ; les lignes qui suivent apportent quelques unes des réponses qui leur sont données. Relevons pour commencer deux évidences :
la première, mais elle n’est pas toujours facile à respecter, c’est que les parents devraient prêcher par l’exemple. Trop de jeunes nous disent qu’ils ne comprennent pas pourquoi ils se priveraient de leur joint favori alors qu’ils voient leurs parents abuser du vin ou du whisky vespéral…;
La deuxième, c’est que les parents, dans l’accompagnement de l’adolescent vers son autonomie d’adulte, doivent savoir doser leur contrôle en fonction du développement de leur adolescent et favoriser un mode relationnel plutôt sous la forme d’une guidance parentale que d’un contrôle excessif et rigide. La question de la confiance que les parents peuvent faire à leurs jeunes est ici cruciale, mais cette confiance doit se construire autour d’exigences claires et qui doivent être respectées, ou renégociées en cas d’échec.
Il est important de souligner que le cerveau des jeunes adolescents est particulièrement vulnérable 9 10, en raison d’une part de la toxicité potentielle de l’éthanol sur les neurones, en raison d’autre part du fait qu’un usage précoce renforce les circuits de la récompense et prédispose ainsi à une dépendance ultérieure. Ainsi, la consommation en dessous de 16 ans environ devrait se limiter à de petites quantités à priori sous contrôle des parents. Lors des sorties de fin d’année, les parents devraient anticiper des situations à risque en proposant ouvertement à leurs adolescents une forme de contrat (quantité consommée, modalités du retour à domicile, etc.). Les adolescents doivent être informés sur les risques liés à l’absorption rapide d’alcool, surtout lorsqu’il est mélangé à des boissons sucrées qui en accélèrent l’absorption. Beaucoup de jeunes qui aboutissent en coma éthylique à l’hôpital sont avant tout victimes de leur inexpérience et d’une absence d’information sur la vitesse d’absorption de l’alcool.
Que faire lorsqu’un adolescent rentre en mauvais état et fortement imbibé d’alcool ?
« Il faut que jeunesse se passe » disent beaucoup de parents dans ces cas. Sans doute, un épisode unique chez un jeune de 17 et 18 ans n’a-t-il pas de signification pathologique, mais il mérite tout de même une discussion. Surtout chez un jeune adolescent de 12, 13 ou 14 ans, une telle survenue doit faire l’objet d’une réflexion, et être assortie de l’édiction de règles strictes pour les mois à venir.
Que faire si le binge drinking devient plus qu’un incident de parcours ?
Cette situation va au-delà de ce qui peut être assimilé à de la pure prévention. Il est souhaitable d’inciter un adolescent qui se trouverait pris dans ce type de conduite de consulter un médecin ou un professionnel de l’addiction pour y voir plus clair et décider de la nécessité d’une intervention 11 : selon les cas, il pourra s’agir d’une intervention de type motivationnel, mais parfois, de tels comportements signent à la fois des problèmes psychologiques sous jacents et/ou des difficultés d’insertion professionnelle et sociale qui imposent un suivi pluridisciplinaire.
Pour conclure sur le chapitre de l’alcool, l’expérience acquise à l’UMSA démontre que beaucoup de parents tendent à sous-estimer l’importance des consommations problématiques d’alcool (dont hélas certains vont même jusqu’à approvisionner leur progéniture !) et à se fixer trop facilement sur le danger de la consommation de cannabis. Les études de cohorte menées auprès de jeunes consommant de l’alcool soulignent les propriétés addictives de cette substance 12 et le risque à long terme que constitue une exposition précoce et répétée à des boissons alcooliques.
Au delà du débat politique et sociétal entourant la question de la dépénalisation du cannabis, les parents doivent pouvoir se positionner face à leur enfant dans ce domaine. Les statistiques démontrent qu’un jeune sur deux en Suisse a consommé à une période ou une autre du cannabis, et que cet accès semble malheureusement devenir un peu plus précoce au fil des années 13. Les études longitudinales 14 suggèrent que plus l’exposition au tabac et au cannabis est précoce, plus massif est le risque d’une dépendance psychologique ultérieure. Ce n’est pas étonnant si on songe à l’immaturité du cerveau du jeune adolescent face aux effets des psychotropes 9. De plus, l’utilisation de cannabis est un facteur de risque de devenir fumeur par la suite 15 16. Il faut donc être ferme avec les jeunes adolescents de moins de 15 ou 16 ans, et leur dire qu’une consommation de cannabis comporte à leur âge des risques sérieux.
Que dire aux consommateurs de cannabis plus âgés ?
Les remarques qui suivent valent pour la consommation de cannabis tout comme le recours à d’autres drogues comme le LSD ou l’ecstasy : il faut bien distinguer un usage purement festif, occasionnel sans impact sur la vie courante (dettes, violence, accident, chute du rendement scolaire..) d’un mésusage, soit d’un usage entraînant des conséquences négatives. Il n’est pas toujours possible de déterminer où se situe la limite entre ces deux situations, et c’est en général le temps qui donne la réponse : le mésusage tend généralement à s’accroître, l’usage récréatif à s’estomper. Il ne faut pas oublier que, heureusement, la plupart des jeunes qui consomment des drogues illégales abandonnent cette habitude à un moment ou à un autre.
Toute consommation régulière mérite une investigation par un professionnel habitué à aborder cette thématique avec un adolescent. Des lieux spécifiques offrent, sur plusieurs cantons romands, une prise en charge adaptée. Il en va ainsi par exemple du programme DEPART, qui propose dans les différentes régions du canton de Vaud un espace de réflexion aux adolescents abusant de substances, au cours d’entretiens qui peuvent être individuels, familiaux et parentaux. Le but est d’évaluer la gravité de la consommation et ses conséquences, puis de fournir une indication adaptée à chaque situation (http://www.infoset.ch/inst/depart/).
En va-t-il de l’utilisation d’internet comme de l’usage de substances ? Même si la dépendance aux nouvelles technologies et le mésusage de produits psychotropes comportent des similitudes, il importe d’être prudent dans les comparaisons que l’on peut être amené à faire. L’utilisation des tablettes et des téléphones portables multitâches s’est tellement répandue ces dernières années qu’on peut considérer que cet usage fait partie du quotidien de tous les jeunes, ce qui n’est pas le cas de la consommation d’alcool de cannabis ou d’autres drogues. On comprendra qu’il est nécessaire d’apporter aux parents des informations et des réponses potentielles nuancées à cette problématique 17 : on se contentera de dire ici que c’est moins le nombre d’heures passées à l’écran que l’usage qui est fait de ces technologies qui importent. La recherche de sensations à travers les jeux en ligne mène beaucoup plus fréquemment à une dépendance que l’utilisation du téléphone et de l’écran pour découvrir le monde (forum, chats) ou rester en lien avec des amis. Contrairement à une idée répandue, ce sont souvent les jeunes qui ont beaucoup d’amis dans la réalité qui font usage aussi d’internet pour rester en lien avec eux. Lorsque l’usage d’internet entraîne des difficultés de sommeil et des problèmes scolaires et professionnels, il peut être utile de faire appel à un médiateur ou un professionnel ayant l’expérience des adolescents et d’internet pour favoriser le dialogue et la pose d’un cadre dans la situation.
Les dangers d’internet ?
Un des meilleurs moyens pour les parents de prévenir, chez leurs jeunes adolescents, des dérapages dans l’utilisation d’internet (par exemple site pornographique ou pédophile, incitation à la violence ou à des actes auto-agressifs) est de s’asseoir de temps en temps avec eux pour découvrir ce qu’ils font et échanger sur ce que cet usage leur procure. On peut à cet égard suggérer que les jeunes adolescents n’ont pas nécessairement besoin d’un accès propre à internet dans leur chambre, et que des limites négociées en terme de temps d’utilisation et d’heures de sommeil sont utiles. En ce qui concerne internet, beaucoup de parents rapportent leur sentiment d’impuissance, de se sentir « largué » en terme technologique et de ce fait abandonnent leur rôle de guidance parentale. Il est essentiel de souligner l’importance de la communication dans le binôme parent-adolescents et la place réservée à chacun : expert en TICS pour l’adolescent alors que les parents garde l’expertise en terme d’expérience de vie et de guidance éducative.