décembre 1999
René Stamm
La décision de lancer QuaThéDA a été déclenchée par l’initiative de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) d’exiger des institutions qui bénéficient des subventions de l’assurance invalidité d’avoir mis en place un système de finances et qualité. Les mesures de restriction des subventions lancées par l’OFAS ont engendré une grave crise financière auprès des institutions. Celle-ci aura eu le mérite d’obliger les autorités à se pencher sur le problème du financement à long terme des thérapies résidentielles et d’en proposer de nouveaux modèles. L’OFSP a été chargé de piloter ce projet appelé FiDE (Nouveau modèle de financement des thérapies en matière de dépendances). Un groupe de travail a été mandaté pour définir des catégories choisir? Quelles données épidémiologiques récolter? etc.
Le risque était réel de créer des conditions-cadres défavorables à la poursuite de la politique en cours à l’OFSP depuis 1991, qui tend vers une harmonisation de l’offre thérapeutique et une amélioration constante de ses prestations. Mais, la situation déclenchée par l’OFAS constituait en même temps une opportunité pour l’OFSP: en créant son propre système de management de la qualité, il lance un projet qui apporte un soutien nouveau au secteur résidentiel et il garantit que les synergies seront établies avec les projets en cours qui jouxtent la question de la qualité.
L’offre de thérapies résidentielles a longtemps été peu transparente. Les institutions se sont créées au cours de ces 30 dernières années de manière spontanée et ce n’est que depuis l’instauration de Coste que des efforts importants ont été entrepris pour remédier à cela. Mais, le nombre de places semble actuellement trop élevé. Les mesures de l’OFAS visant à réduire le montant des subventions vont certainement avoir pour effet de limiter cette offre. Comment éviter que ne sombrent des institutions qui ont été attentives à adapter leur offre de prestations, pour la seule raison que leurs bases financières ne sont pas suffisamment étayées. Mais comment différencier les «bonnes» des «mauvaises» institutions sur des bases objectives? Quels sont les critères pour comparer et où fixer les standards? Des éléments de réponse existent (travaux de l’Institut für Suchtforschung sur lesquels nous reviendrons), mais leurs résultats n’ont aucun caractère contraignant et une moitié des institutions seulement participe aux projets de recherche en cours.
Cantons et institutions voient la nécessité d’organiser l’offre de thérapies résidentielles d’après des critères largement reconnus. Cela facilitera le travail de planification des autorités administratives et le choix des services placeurs. C’est cette nécessité qui a sans doute joué un rôle déterminant dans le large soutien apporté d’emblée à l’idée d’élaborer ce SMQ. La Conférence des délégués cantonaux aux problèmes des toxicomanies (CDCT/KKBS) a, par exemple, immédiatement communiqué par écrit à l’OFAS qu’elle salue cette initiative.
Un mot encore sur le choix du nom «QuaThéDA»: Qualité Thérapies Drogue Alcool. S’agissant d’un programme national, l’exigence absolue était de trouver une abréviation composée de mots se traduisant dans les trois langues. La deuxième exigence était de montrer que le projet n’allait pas se limiter aux institutions du domaine des toxicomanies, mais être ouvert à celles de l’alcool. QuaThéDA marque la volonté de l’OFSP de jeter des ponts nouveaux vers les structures du domaine de l’alcool et de soutenir le développement qualitatif des différentes formes de thérapies résidentielles.
Il est nécessaire de construire un SMQ sur des bases conceptuelles solides, qui soient le fruit d’une réflexion de fond autour de questions telles que: comment saisir la qualité? Comment la mesurer? Quels sont les enjeux éthiques, sociaux, politiques et économiques? Quels résultats prendre en considération, ceux à court ou à long terme? etc. Il ne s’agit pas de simplement adapter des règles élémentaires de la démarche qualité au contexte spécifique des institutions résidentielles. Il s’agit d’orienter la logique d’un système qualité à des questions centrales, afin de le structurer et permettre de fixer des priorités parmi toutes les options qui se présentent. Selon l’OFSP, ces questions essentielles sont les suivantes:
Quels traitements, pour quels patients, avec quels résultats et avec quelles ressources?
QuaThéDA est donc basé sur l’idée que la qualité des traitements et des services se mesure en fonction des résultats obtenus, compte tenu des ressources investies et de ce qu’il est possible de réaliser dans un contexte donné. La définition des processus de traitement constitue le cœur du système, autour duquel sont organisés les processus de direction et de soutien et les exigences structurelles. Il fait donc explicitement référence au modèle développé par Avedis Donabedian: qualité des structures, des processus et des résultats.
QuaThéDA marque un tournant important par rapport au courant de pensée qui a prévalu jusqu’à présent dans le milieu des dépendances en Suisse, par rapport à l’approche de la qualité. Schématiquement, elle pouvait se résumer de la manière suivante: la qualité des processus thérapeutiques est très difficile à saisir; assurons la qualité structurelle et cela constituera un gage suffisant de la qualité des processus et des résultats.
QuaThéDA veut s’attaquer à la définition des différents sous-processus qui sont constitutifs du processus de traitement lui-même. Il peut s’appuyer pour cela sur des premiers travaux effectués par l’Institut für Suchtforschung dans le cadre du projet de recherche QuaFos.
Une autre question essentielle doit être évoquée: qui définit la qualité? Plusieurs acteurs sont impliqués dans le débat: les patients, les professionnels, les bailleurs de fonds et les scientifiques. Dans l’approche qualité développée par le secteur privé, c’est le client qui constitue l’acteur central. Il ne peut en être ainsi dans le secteur public. Les ressources financières que l’Etat est prêt à mettre à disposition influencent de manière déterminante la qualité des prestations. Le processus de restrictions budgétaires en cours dans le secteur hospitalier en est la preuve éclatante.
Les scientifiques apportent leur contribution indispensable à la recherche de la qualité: leurs travaux permettent de dégager, par exemple, des éléments de bonne pratique auxquels les professionnels peuvent s’orienter.
Les professionnels de la santé et du social ne prennent que depuis peu systématiquement en compte les réactions de leur clientèle à leurs prestations. Un SMQ doit y accorder une place plus importante. Mais les professionnels jouent un rôle central dans le processus de traitement, car ils en constituent le vecteur porteur. La recherche de la «juste qualité» se situe donc au centre du champ de tensions de ces quatre acteurs principaux. QuaThéDA constitue un projet ambitieux, par sa volonté de créer une plate-forme commune entre ces acteurs pour définir ce qui va être accepté comme étant des prestations de qualité. Son élaboration constitue l’occasion de créer un langage commun entre eux. Il s’agit d’un projet à moyen terme qui va au moins s’étendre sur cinq ans.
Pour éviter tout malentendu à propos de ce qui constitue l’originalité de la démarche qualité, il est nécessaire de rappeler en quoi elle se différencie de mesures de qualité traditionnelles, telles que supervision, discussion de cas, formation continue, élaboration d’un concept de traitement, etc.
Un système de management de la qualité est un ensemble d’activités, de procédures et de données permettant d’évaluer si un organisme atteint les objectifs fixés, de réduire l’écart entre les objectifs fixés et la situation observée, et d’améliorer de manière continue les prestations fournies.
L’essentiel de la démarche qualité est sans doute de passer d’une culture orale à une culture écrite: prévoir ce qui doit être fait, prévoir comment le faire, écrire ce qui est prévu (description des processus), faire ce qui a été écrit, vérifier ce qui a été fait et corriger les non-conformités. Les mots-clés ici sont: formalisation, description des activités, systématisation et institutionnalisation de boucles rétroactives.
QuaThéDA prendra en considération les derniers développements en cours de la norme ISO et du TQM, afin de permettre aux institutions ayant mis en place de tels systèmes de participer au programme national QuaThéDA, si elles le désirent. Ce projet se veut intégrateur et non pas exclusif.
QuaThéDA ne va pas constituer un SMQ rigide, semblable pour tous. Il sera conçu de manière modulaire, pour tenir compte de la grande variété des prestations offertes par les institutions existantes. Les principes sur lesquels il sera construit devront de plus être applicables pour les thérapies ambulatoires (héroïne et méthadone), les mesures d’accompagnement développées dans les programmes de réduction des risques et en prévention. Ces principes de base pour définir la qualité seront repris dans un cadre conceptuel général qui constituera une référence commune pour ces trois secteurs d’intervention du domaine des dépendances. Il s’agit d’un projet spécifique qui va se dérouler parallèlement.
En instaurant QuaThéDA, il sera possible d’entreprendre une démarche peu pratiquée jusqu’ici: le «bench marking», c’est-à-dire la comparaison de résultats et de prestations fournies entre des institutions semblables. Cela constitue en soit une source formidable de stimulation et d’amélioration de la qualité.
L’OFSP a mis en place depuis huit ans une politique drogue qui poursuit des objectifs précis et le développement de mesures de qualité s’y inscrit. Ces dernières sont définies comme prioritaires dans le Programme de mesures drogue 1997-2002. La conceptualisation et la mise en place d’un SMQ doivent constituer un instrument pour améliorer l’efficacité et l’efficience des différents programmes de thérapies résidentielles. QuaThéDA n’est donc pas seulement un SMQ pour des institutions, mais également un programme national qui va se développer sur plusieurs années.
Nous avons relevé comment la démarche qualité jouxte celle de la recherche et de l’évaluation, de même que les questions financières. Voyons plus en détail comment QuaThéDA a vocation de coordination des différents projets concernés et de pilotage de la politique de l’OFSP en matière de thérapies résidentielles.
Les efforts en vue d’améliorer l’offre thérapeutique ne sont pas nouveaux. Sur mandat de l’OFSP, l’Institut für Suchtforschung poursuit depuis plusieurs années des projets de recherche développés à partir de la statistique FOS (der Forschungsverbund stationäre Suchtthe-rapie): MIDES et Quafos. Il s’agit d’une part d’intégrer les résultats de ces recherches dans le SMQ QuaThéDA (utilisation d’instruments qui ont fait leurs preuves, de critères de qualité validés, etc.) et d’autre part de systématiser la pratique introduite par les symposiums FOS, de restituer aux institutions les résultats des données collectées. La formalisation de boucles rétroactives pour tirer des bilans et fixer des objectifs d’amélioration, chère à la démarche qualité, ne se passera pas seulement au niveau de chaque institution, mais également au niveau du programme national. Ainsi QuaThéDA devient-il véritablement un instrument pour piloter une politique de santé publique.
Les mesures de restriction des subventions lancées par l’OFAS ont engendré une grave crise financière auprès des institutions. Celle-ci aura eu le mérite d’obliger les autorités à se pencher sur le problème du financement à long terme des thérapies résidentielles et d’en proposer de nouveaux modèles. L’OFSP a été chargé de piloter ce projet appelé FiDE (Nouveau modèle de financement des thérapies en matière de dépendances). Un groupe de travail a été mandaté pour définir des catégories de prestations. Les résultats de ces travaux importants seront pris en compte par le SMQ QuaThéDA pour harmoniser deux partenaires indissociables: argent et qualité. QuaThéDA doit permettre de trouver un langage commun entre les bailleurs de fonds et les prestataires de services spécialisés.
L’OFSP négociera la reconnaissance de QuaThéDA par les cantons, qui pourrait alors être ancrée dans la nouvelle «Convention relative aux institutions». Celle-ci pourrait à l’avenir aussi inclure les institutions du domaine des dépendances. L’objectif est ici d’éviter que les institutions ne doivent répondre à des exigences multiples: OFAS, cantons et OFSP. L’objectif serait ici: qui aurait obtenu le label QuaThéDA recevrait les subventions provenant de l’assurance invalidité et celles des cantons. S’il est certain que QuaThéDA sera reconnu par l’OFAS puisqu’il est créé à partir de ses exigences, il n’est pas encore possible de l’affirmer en ce qui concerne les cantons. Ce volet dépendra du processus de négociation en route autour de la redéfinition de cette nouvelle Convention relative aux institutions.
QuaThéDA devra finalement être connecté avec un autre grand projet en cours d’élaboration: la nouvelle statistique des dépendances. Celle-ci a l’ambition d’élaborer une seule statistique nationale, en intégrant celles en cours: SAMBAD, FOS, SAKRAM/CIRSA et méthadone. Il s’agit non seulement de développer un instrument de travail moderne qui permet de comparer les secteurs d’activités concernés, mais d’établir des liens avec les statistiques européennes. Les recueils de données devront être harmonisés avec ceux définis dans le cadre de QuaThéDA. L’objectif ici est d’éviter que les institutions ne doivent remplir plusieurs statistiques, ce qui représente une charge trop lourde, en tout cas pour les plus petites d’entre elles.
QuaThéDA ne saurait être conçu en vase clos. Il doit être porté par un large mouvement qui en assure l’acceptabilité et la faisabilité. Un partenaire y joue un rôle central: Coste qui a établi des liens privilégiés avec les institutions. Ce service avait lancé un processus de définition de qualité en 1996 déjà, mais il avait été stoppé par la crise financière mentionnée ci-dessus. Le spécialiste qualité engagé par l’OFSP travaille en étroite collaboration avec Coste.
L’organisation du projet prévoit la création de groupes de travail intégrant des représentants des associations professionnelles, de groupes de travail existants, des cantons, des instituts de recherche et des autres projets concernés. Ces représentants ont le rôle d’assurer le transfert d’information avec leur domaine d’activités, la légitimité du projet et l’élaboration d’un SMQ fonctionnel et adapté aux besoins des différents partenaires.
Un lien privilégié est également établi avec le Secrétariat de la Conférence des directeurs des affaires sociales (CDAS/SODK), afin d’assurer dès le départ le lien avec les cantons.
Un dernier sujet doit être abordé. Quel système de reconnaissance mettre en place: un simple label QuaThéDA, une certification en bonne et due forme, quel système d’audit, à quelle fréquence? etc. De nombreuses variantes sont possibles. Ces questions ont des implications financières importantes et elles doivent être négociées avec les représentants des associations professionnelles et des cantons. Là encore, l’OFSP doit jouer son rôle de coordinateur, avec pour but de trouver un système simple et efficace, supportable pour les institutions et les collectivités publiques et bénéficiant d’une reconnaissance la plus large possible.
Le calendrier de la première étape du programme national QuaThéDA est dicté par celui établi par l’OFAS, qui exige donc des institutions qu’elles aient mis en place un SMQ à fin 2001. Les mesures d’accompagnement suivantes sont prévues par l’OFSP pour garantir que les institutions aient répondu à cette exigence: formation des responsables qualité, soutien individuel et collectif lors de la mise en application de QuaThéDA dans les institutions et un manuel qualité. Toutes ces mesures sont gratuites. Cet investissement important consenti par l’OFSP témoigne de la valeur qu’il attribue aux thérapies menant à l’abstinence.
Les travaux sont planifiés en 4 étapes principales:
Etude des expériences déjà réalisées en matière de qualité par les institutions pionnières et des résultats de recherche effectués par l’ISF, afin d’élaborer une première esquisse de QuaThéDA.
Elaboration définitive de QuaThéDA avec les groupes de travail (jusqu’à juin 2000).
Formation des responsables qualité désignés par les institutions (automne 2000).
Mise en œuvre de QuaThéDA dans les institutions et mesures de soutien individuelles et collectives. Une année entière est prévue pour cette dernière phase. Conceptualisation du système de reconnaissance (toute l’année 2001).
La mise en place d’un système de management de la qualité dans un organisme constitue un surcroît de travail important, qu’il ne faut pas cacher. Mais il faut souligner que toutes les institutions qui l’ont entreprise disent après coup le bénéfice qu’elles en ont tiré: clarification des tâches, transparence et simplification des processus, stimulation nouvelle, mise au courant facilitée des nouveaux collaborateurs, etc.
À ce jour, une soixantaine d’institutions se déclarent prêtes à adopter le SMQ QuaThéDA, et une quarantaine ne se sentent pas encore en mesure de décider, mais veulent en tous les cas suivre l’évolution du projet.
Le 25 janvier 2000 sera organisée à Lausanne une première journée QuaThéDA, où sera présenté aux institutions ce à quoi va ressembler ce système de management de la qualité. Elles auront alors à disposition les informations nécessaires pour décider définitivement, si elles veulent adopter QuaThéDA ou un des autres SMQ à disposition sur le marché privé.
ÀA l’exposé de cette situation, on comprend que QuaThéDA n’est pas simplement un SMQ de plus qui serait créé pour un secteur d’activités en mal de marquer sa différence. C’est un projet national et multidimensionnel, qui assure la coordination avec d’autres projets en cours et qui assure la poursuite d’une politique cohérente dans le secteur des thérapies résidentielles en matière de dépendances. Il garantit aux institutions de participer au courant d’évolution dans ce domaine.