février 1997
Daniel Schweizer (Groupe Sida, Genève)
Ce projet de prévention auprès des jeunes lors de soirées «techno-dance» à Genève s’appuie sur le constat que les plus jeunes sont souvent réfractaires aux messages classiques des campagnes de prévention sida.
Depuis deux ans, le Groupe Sida Genève a aussi constaté une diminution des demandes d’animation de stands de «prévention sida» lors de soirées rock. Par contre, nous avons pu constater une augmentation du nombre de soirées «dance» ou «techno». Nous pouvons en déduire un déplacement des jeunes vers ces soirées à la mode.
Le mouvement «Techno-dance» a acquis depuis quelques années une maturité et développé les recherches musicales. C’est une véritable culture qui émerge avec ses codes spécifiques qui répondent à un besoin des jeunes. Les soirées commerciales ont fait place à des soirées artistiquement plus ambitieuses et moins chères qui attirent les foules.
Le but de ces soirées est une sorte de symbiose humaine euphorique et chaleureuse, de réunir des jeunes dans une spirale frénétique de danse et de liberté. Mais ce mouvement est assez paradoxal: d’un côté on peut dire qu’il est un phénomène de masse, car il draine lors d’une soirée plusieurs centaines ou milliers de personnes, d’un autre côté les personnes semblent assez seules. Un peu comme s’ils étaient chacun dans leur propre bulle. Souvent, le « lancer » ne veut pas s’arrêter aux mots, un échange de regard et un sourire suffisent.
«Notre parole est plutôt celle du signe»
Marc, 23 ans
Certains «dancers» ont l’impression de faire partie d’un triangle: soi-même, la musique, la danse.
«C’est plutôt une manière de vivre autre chose. Je n’ai pas forcément envie d’oublier la semaine, mais j’ai envie de vivre une autre part de moi-même. Tout ce que je ne peux pas exprimer la semaine, je l’exprime dans ces soirées».
Pascal, 20 ans
Il est donc important de prendre en compte ce phénomène social, l’ émergence d’un nouveau mouvement et de concevoir des actions de prévention spécifique à ce public de jeunes. C’est pourquoi nous souhaitons collaborer pour un tel projet avec des associations pour la promotion de la musique techno. Il est important de développer des messages de prévention spécifique à la tranche d’âge 15-25 ans, les rendant attentifs aux risques de transmission du virus du sida.
Dans un premier temps, le Groupe Sida Genève a pris contact avec Weetamix et Mental Groove, deux associations genevoises qui ont comme but d’encourager, développer la musique techno et organiser des soirées à Genève. Plusieurs rendez-vous ont eu lieu afin de comprendre les différents aspects de ce mouvement. On peut dire que la musique techno est liée au culte du corps. Le côté narcissisme et le culte de 1’apparence sont très présents dans ce mouvement. Il faut être beau, sexy, se montrer… On s’adonne au culte du plaisir, le plaisir de séduire, plaisir de s’éclater, de faire la fête, d’oublier les temps moroses.
« La techno, c’est la défonce de soi, l’oubli, la transe primitive. Je me laisse emporter par le battement qui me prend la tête et je danse pendant des heures, je m’oublie.»
Christina, 20 ans
Vu la concentration de jeunes lors de ces soirées, il nous semble important d’être présents, là où sont les jeunes pour leur parler de prévention en matière de sida et des moyens de s’en protéger (safer sex). Selon les nouvelles directives de l’O.F.S.P. (Office Fédéral de la Santé Publique), la prévention du VIH/sida doit être comprise à l’avenir comme la partie d’un tout, ce tout étant une promotion de la santé couvrant de nombreux aspects. Il y a lieu de mieux harmoniser les différents domaines de prévention drogue, alcool et tabac, VIH/sida et de coordonner les efforts.
Le rôle des jeunes est capital dans la lutte contre le sida, car leur comportement définira l’ampleur de l’épidémie dans les années à venir.
Les objectifs d’un tel projet de prévention sida visent à diminuer les risques de transmission du VIH, mais aussi d’autres maladies sexuellement transmissibles et de prendre en compte une promotion de la santé. La prévention du sida est le seul moyen dont nous disposons en vue d’enrayer cette maladie. Nous nous devons de répéter et renforcer les actions de prévention et d’information auprès des plus jeunes.
Nos objectifs visent à:
– empêcher de nouvelles infections VIH en diffusant des messages préconisant un comportement sans risque ou en comportant peu (safer sex);
– définir les modes de contamination débarrassés de toutes fausses croyances;
– réduire les répercussions négatives de l’épidémie et encourager la solidarité avec les personnes contaminées par le VIH ou le sida.
Ces objectifs sont à intégrer dans une promotion de la santé d’envergure. Comprise comme une mesure promouvant la santé, la prévention du sida permet d’intégrer les préoccupations spécifiques au sida dans une conception de la santé publique qui a cessé de considérer les maladies comme étant des phénomènes de nature exclusivement biomédicale et commencer à en appréhender les divers aspects psychosociaux et socioculturels.
Nous souhaitons toucher un échantillon le plus large possible de jeunes lors de soirées. De plus, nous voulons dépasser l’idée du stand de prévention que l’on pose à un endroit afin de développer de nouvelles actions de prévention. Nous envisageons éventuellement de créer des équipes de bénévoles qui vont distribuer des préservatifs avec d’autres institutions et organisations qui poursuivent des projets en matière de promotion de la santé. À plus long terme, nous souhaitons promouvoir des technoparties moins dommageables pour la santé où les jeunes devraient avoir la possibilité de boire de l’eau gratuitement et permettre la création de salles de repos (Chili out).
Ce projet de prévention et de promotion de la santé comporte deux aspects: d’une part, une réduction des risques liés au contexte de ces soirées. Il faut citer ici comme problème pour la santé les conditions dans lesquelles se déroulent certaines soirées: endroits surchauffés, déshydratation/réhydratation (perte de l’eau et des sels). Une compensation en ne buvant que de l’eau (sans les sels) peut présenter, dans des cas extrêmes, des risques graves, voire mortels (noyade des cellules).
D’autre part, donner une information sur les risques liés à la consommation de produits tels que l’ecstasy, car cette substance, classée parmi les entactogènes, modifie l’état de conscience, désinhibe émotionnellement, valorise la conscience de soi et abolit les barrières de la communication. Cette pilule, dite aussi «pilule de l’amour», peut favoriser une prise de risque par rapport au sida lors de rapports sexuels non protégés. L’ecstasy est aujourd’hui, après le cannabis, la drogue la plus répandue chez les jeunes d’Europe de l’Ouest.
Mais il faut aussi préciser que le mouvement techno n’est pas lié exclusivement à la prise de drogues. Si certaines personnes trouvent que la drogue est un apport supplémentaire pour percevoir la musique et pour tenir toute une nuit, pour d’autres jeunes, la danse et la musique suffisent.
Il est important de préciser que le présent projet est à prendre comme une proposition de travail et de réflexion.
Dans un premier temps, nous allons réunir différentes associations de promotion de la culture techno et des associations qui luttent dans le domaine de la promotion de la santé, en vue d’échanger nos idées et de définir une stratégie appropriée, correspondant à ce phénomène culturel et de mode.
Comme moyens, nous envisageons l’ animation de stands de prévention sida et promotion de la santé dans des espaces de repos (Chill out) lors des principales soirées à Genève.
Etant donné la particularité des soirées technos, il est important de permettre d’offrir des stands de prévention sida qui soient aussi des espaces d’accueil informels. Il doit être possible d’y venir en tout temps, sans formuler de demande précise; de simplement pouvoir s’arrêter quelques instants, mais aussi d’établir un contact, de trouver une écoute attentive. Ce projet vise prioritairement à informer les jeunes, là où ils se trouvent, sur les modes de transmission du virus VIH. De donner une information sur le «safer sex», distribuer des préservatifs, mais aussi de pouvoir informer les adolescents sur les risques liés à la consommation de l’ecstasy et de les orienter en fonction des besoins vers les autres structures d’aide. Afin d’atteindre nos objectifs, nous devons former des bénévoles à la spécificité de ces problématiques (sida et ecstasy) et travailler en collaboration avec des médiateurs issus de la culture techno.
La première stratégie vise à créer des actions de prévention lors des soirées, mais nous pouvons aussi envisager des actions dans des centres de loisirs et des magasins de disques. Nous pourrions éditer une feuille d’information sur le «safer sex» et spécifique à la prise de risques lors d’absorption de substances telles que l’ecstasy. Nous devons adapter nos messages en fonction de la population visée et ceci avec les conseils de membres des associations techno.
Il sera important d’évaluer le nombre de personnes bénévoles nécessaires pour animer ces actions de prévention. Nous devons pouvoir leur offrir une formation adéquate et spécifique à cette réalité.
Avec ce projet de prévention dans les soirées technos, nous souhaitons encourager le dialogue tout en transmettant des messages informatifs en faisant appel à la sensibilité et aux émotions des jeunes. Nous souhaitons à l’avenir impliquer des jeunes ou des groupes de jeunes dans nos actions, ceci afin de réaliser des projets avec eux et non plus seulement pour les jeunes.