octobre 2018
Ann Tharin (maître d’enseignement HES et responsable de formations postgrades à l’unité de formation continue de l’éésp, membre de la COPED de la Fordd, Lausanne) et Gabriel Thorens (psychiatre, HUG, président de la FORDD, Genève)
Si l’acronyme de la FORDD reste une énigme non résolue (Fédération romande des organismes de formation dans le domaine des dépendances, qu’il aurait logiquement fallu appeler la « FROFDD »), son existence en revanche n’est plus remise en question. Fondée en 1998, elle offre depuis ses débuts une formation destinées aux professionnels des domaines de la santé et du social souhaitant se spécialiser dans l’accompagnement de personnes en situation d’addiction. En partenariat avec les Hautes écoles des domaines concernés et en lien avec l’évolution des formations postgrades dispensées dans le cadre de la HES·SO, la Fordd propose aujourd’hui un Certificate of Advanced Studies (CAS) et, depuis 2011, un Diploma of Advanced Studies (DAS).
Née de la volonté d’intégrer et d’impliquer le maximum de partenaires romands concernés, la FORDD a pour mission de proposer une formation postgrade certifiante permettant aux apprenants d’acquérir une vision globale de l’addiction ; cette thématique complexe impliquant de considérer les aspects sociaux comme aussi prégnants que les aspects biomédicaux auxquels le tout public a peut-être davantage l’habitude de se référer. Ainsi, l’implication de l’ensemble des disciplines et des réseaux concernés est en quelque sorte la marque de fabrique de la FORDD, soulignant ainsi l’idée fondamentale qu’une vision interdisciplinaire, mais aussi intercantonale et interpiliers de la loi sur les stupéfiants (LStup) est indispensable à promouvoir une formation certifiante et de qualité.
Depuis les débuts de la FORDD, le paysage et les enjeux liés à la formation en Suisse romande se sont beaucoup modifiés. Dans le contexte actuel de plus grande restriction économique, la tendance est à la réduction des budgets alloués à la formation, ceci pouvant aller jusqu’à l’injonction d’autofinancement des formations postgrades. Cet état de fait entraîne de nombreuses conséquences et ce à différents niveaux. Premièrement, la diminution des budgets dévolus, en institutions, à la formation des employés, ce qui implique soit la diminution du nombre de formations longues pouvant être conjointement réalisées au sein d’une équipe de travail, soit une réduction de la durée des formations pouvant être poursuivies annuellement par chaque employé. Une autre conséquence est le fait que les employés concernés sont davantage que par le passé sollicités pour financer eux-mêmes tout ou partie des formations postgrades retenues. Sur un autre plan, le développement de formations courtes, organisées sur mandat à l’interne des institutions, est en augmentation. Si cette formule présente l’avantage d’être moins onéreuse et de former, sur une thématique particulière, l’ensemble d’une équipe de travail, elle ne favorise néanmoins pas les échanges interstructures et n’est pas sanctionnée, pour l’employé, par un titre postgrade.
Sensible à ces contraintes mais surtout soucieuse que le CAS et le DAS proposés continuent à répondre au mieux aux besoins des institutions et des collaborateurs, la FORDD a réalisé une enquête auprès d’anciens étudiants et de représentants des institutions. Nous présentons ici les résultats les plus significatifs de l’enquête, ainsi qu’une discussion sur les enjeux qui en découlent.
Un groupe de réflexion comprenant des directeurs d’institutions, des membres du comité de pilotage et de la commission pédagogique de la FORDD ont proposé que le questionnaire utilisé porte sur les attentes et les besoins de formation des institutions, mais aussi ceux des collaborateurs intéressés à participer à la formation. L’enquête effectuée en ligne auprès des apprenants et anciens apprenants (288 personnes au total) a reçu un taux de réponse de 34 %, alors que celle réalisée auprès des institutions du réseau suisse romand impliqué dans l’accompagnement des personnes souffrant d’addiction (288 personnes au total) a obtenu un taux de réponse de 7 % (20 % si les questionnaires incomplets sont pris en compte). Bien que le taux de réponse soit relativement bas, surtout pour les répondants institutionnels, des résultats intéressants se dégagent.
Dix étudiants seulement ayant eu l’occasion de participer au DAS, les éléments présentés dans les sous-chapitres ci-après relèvent essentiellement de la formation CAS.
Tant les apprenants que les employeurs plébiscitent les points suivants :
En revanche les éléments nommés comme manquants ou pouvant être améliorés sont :
De manière peu surprenante, c’est le bouche à oreille qui est cité comme meilleur moyen de promouvoir la formation. Ce canal de publicité est suivi par le mandat posé par l’employeur, puis l’information diffusée par courrier papier ou encore le site internet de la Fordd.
Relativement au mode de financement de la formation, l’employeur semble encore jouer un rôle déterminant en finançant la grande majorité des formations effectuées jusqu’ici. La plupart des étudiants stipulent en effet qu’ils n’auraient pas eu la possibilité de financer seuls – en terme de temps et d’argent – leur formation. Dans ce cadre défini, le prix de la formation est jugé adéquat par la majorité des interrogés, collaborateurs ou institution. Par ailleurs, la flexibilité permettant de suivre la formation par modules, ceux-ci étant ainsi répartis sur plusieurs années, est mise en avant comme moyen d’alléger le coût pour l’employeur ou les participants.
De manière encourageante, les résultats montrent clairement que les objectifs de base, les contenus ou encore la durée et le prix de la formation, correspondent, dans l’ensemble, aux attentes des participants et des répondants institutionnels. Quelques points nous semblent toutefois intéressants à discuter.
Si les résultats indiquent comme point positif le développement des échanges interprofessionnels rendus possibles par la mixité disciplinaire des participants (travailleurs sociaux, infirmiers ou, plus ponctuellement, médecins, psychologues ou encore autres intervenants spécialisés dans les domaines du social ou de la santé), mais aussi la provenance variée des participants issus de différentes structures (résidentielles, ambulatoires, hospitalières spécialisées en addictologie ou d’autres services d’aide sociale), paradoxalement, une limitation mise en avant est le manque de création, suite à la formation, d’un nouveau réseau professionnel. Cet état de fait ne relève pas uniquement d’un manque dans la formation, mais pose la question plus large du manque de coordination ou de coopération entre les structures et les professionnels spécialisés en addictologie, en Suisse romande. Selon nous, une meilleure coordination ou coopération devrait pouvoir garantir l’articulation sans concurrence, non seulement des différentes disciplines impliquées dans l’accompagnement ou le soin des personnes concernées, mais aussi de l’ensemble des structures médicales ou sociales relatives aux différents piliers de la LStup.
Les enjeux relatifs à ces manques peuvent être intéprétés de manières multiples, par exemple en questionnant la dimension politique relative au financement/ subventionnement des prestations offertes par les différentes structures ou piliers de la LStup. Il nous apparaît ainsi clairement que les décisions politiques favorisent ou nuisent à la reconnaissance et/ou à la légitimité des différentes disciplines ou structures en jeu et qu’il n’existe pas, au niveau suisse romand, de plan stratégique intercantonal. Nous constatons ainsi une inégalité des offres et prestations selon les régions; inégalités davantage relatives au choix du financement des prestations offertes par les structures plutôt qu’en lien avec les besoins des personnes qui bénéficient de leurs prestations.
Nous dressons également le constat que, si l’interdisciplinarité et la coopération semblent plutôt fonctionner à l’interne des structures elles-mêmes, des querelles de chapelle substistent encore entre les structures de types socio-éducatives et médicalisées. Conscients que ces querelles prennent corps dans des écueils multiples, qu’ils soient épistémologiques, personnels, disciplinaires, structurels ou encore politiques, il nous semblerait urgent que ces écueils puissent être pensés, malaxés, éprouvés, tant dans le cursus de formation que sur le terrain clinique de l’addictologie pour enfin être levés, favorisant l’intervention intégrative et partenariale.
Au sein même du cursus de formation CAS ou DAS, les éléments garantissant le financement de la formation continue nous semblent également renforcer ce clivage entre institutions à dominante médicale ou sociale. Chacune des filières bénéficient effectivement d’une forme de subventionnement différente, celle des institutions socio-éducatives étant, comme nous l’avons vu en introduction, beaucoup plus restreinte que par le passé et du ressort des villes ou des cantons. Ce n’est pas le cas des institutions médicalisées, mais elles voient également les ressources allouées aux formations longues diminuer.
Les écueils financiers relatifs au CAS et au DAS sont aujourd’hui partiellement compensés par la contribution, très importantes en heures de travail, engagée par les structures fondatrices de la FORDD. Ces dernières renouvellent pour l’instant chaque année, parfois de manière quasi bénévole, leur engagement dans ce cursus en dégageant du temps pour leurs employés ou cadres, ces derniers pouvant être membres des différents comités (de pilotage ou pédagogique) qui chapeautent et décident des contenus de la formation. Ces derniers sont aussi responsables ou enseignants des différents modules de cours, tout en étant professionnels ou cliniciens des terrains suisses romands ou encore membres du corps enseignants des HES santé/social ou d’autres universités partenaires.
Si la FORDD favorise le renforcement des compétences des équipes, l’ouverture à l’interdisciplinarité ou encore réussit à tisser davantage de liens entre théories et pratiques, il manque néanmoins une forme de leadership dans la coordination des structures et de nouvelles sources d’inspiration dans le champ de l’addictologie en Suisse romande. Comment la FORDD pourrait-elle contribuer à ce manque? Le fait d’asseoir le cursus DAS pourrait-il favoriser le développement de cette perspective ?
En effet, si le CAS répond bien aux besoins de spécialisation et de renforcement des compétences de l’ensemble des collaborateurs, le DAS devrait permettre d’asseoir les compétences nécessaires à penser les innovations institutionnelles et à soutenir les changements nécessaires, à promouvoir un accompagnement adapté aux besoins des personnes concernées par les conduites addictives. Pour ce faire, les contenus acquis en formation devraient pouvoir être ramenés et discutés au sein des équipes avec la participation de la direction, qui devrait être consciente de la plus-value du cursus, non seulement pour le collaborateur ayant participé à la formation, mais pour l’ensemble de son équipe. Les employeurs devraient également veiller à ne pas favoriser uniquement l’engagement, dans la formation, des nouveaux collaborateurs, mais également à soutenir le processus d’inscription de ceux, plus expérimentés, capables de s’appuyer sur un cursus comme celui du DAS pour penser l’innovation. Idéalement, le DAS devrait aussi accueillir des étudiants ayant un objectif précis, discuté et légitimé par l’institution qui finance la formation.
Sur un autre plan, les structures membres de la FORDD et notamment les centres universitaires, les HES et l’ensemble des structures de terrain devraient continuer à soutenir cette formation en favorisant le fait que leurs collaborateurs – cadres ou employés – puissent investir leur temps comme membres des comités ou enseignants FORDD, ces collaborations favorisant notamment la coordination et la coopération intercantonale.
Cumulées, ces différentes pistes devraient permettre de pallier le manque de développement d’un réseau professionnel suisse romand, nécessitant les collaborations concrètes entre participants au sein de l’ensemble du cursus de formation.
L’étude effectuée confirme le besoin de maintenir, en Suisse romande, la formation pluridisciplinaire telle que proposée par la FORDD, mais aussi d’avoir les moyens de continuer à l’adapter aux besoins émergeants du terrain. Le faible taux de réponse des institutions souligne la nécessité de s’intéresser à leurs besoins et contraintes en terme de formation. Comme nous l’avons vu, la tendance actuelle est à la diminution des budgets alloués à formation, ce qui représente une double menace pour les structures spécialisées en addictologie : la difficulté de continuer à garantir l’entrée en formations postgrade des collaborateurs, mais aussi la possibilité de disposer de suffisamment de temps pour s’impliquer dans les différentes instances de la FORDD. Au niveau institutionnel, l’engagement des directions et des cadres sera nécessaire pour assurer le partage des réflexions issues de la formation et le partenariat entre les différentes disciplines, les structures institutionnelles et le niveau politique. Sans cette coopération, nous ne pourrons qu’assister au développement d’une concurrence de plus en plus accrue entre les structures et à un repli sur des modèles de rentabilité à court terme, y compris pour la formation.
Aujourd’hui, la FORDD joue un rôle clé dans les liens qu’elle propose entre les différents acteurs pour s’accorder autour d’une vision commune des bonnes pratiques et, dans le cadre du DAS que nous souhaitons voir se développer, participer à promouvoir l’innovation dans le domaine des addictions. Ainsi, nous ne pouvons donc que souhaiter à la FORDD de garder sa part de mystère concernant son acronyme, mais de continuer à avoir les moyens d’exister en étant à l’écoute des besoins dans le champ des addictions.