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  4. Les droits de l’homme au chevet des TDO : enseignements et lendemains d’un jugement de la Cour suprême du Canada sur la légalité des services d’injection surpervisée

Pour préserver la sécurité dans l’espace public, il va falloir abandonner le modèle de la prohibition !
Olivier Guéniat (Police jurassienne)
Marginalité urbaine, espace public et usage de drogues : Lausanne, automne 2012
Géraldine Morel (Centre de recherche en Ethnologie)
Le modèle des « quatre piliers » : une belle réussite politique
Erich Fehr (Maire de Bienne)
Traitement et réinsertion des personnes dépendantes ; la question du « entre-entre »
Bruno Boudier (Fondation Bartimée)
Entrer dans la substitution : de l’épreuve à l’appropriation
Emmanuel Langlois (entre Emile Durkheim (UMR 5116))
Aspects juridiques du traitement de substitution
Olivier Guillod (directeur de l’Institut de droit de la santé, Université de Neuchâtel)
Les droits de l’homme au chevet des TDO : enseignements et lendemains d’un jugement de la Cour suprême du Canada sur la légalité des services d’injection surpervisée
Louis Letellier de St-Just (Cactus)

Dépendances 48 - Limites actuelles de la politique drogue: Les droits de l’homme au chevet des TDO : enseignements et lendemains d’un jugement de la Cour suprême du Canada sur la légalité des services d’injection surpervisée

décembre 2012

Les droits de l’homme au chevet des TDO : enseignements et lendemains d’un jugement de la Cour suprême du Canada sur la légalité des services d’injection surpervisée

Louis Letellier de St-Just (Cactus)

Me Louis Letellier de St-Just retrace dans cet article l’histoire de l’implantation du premier site d’injection supervisée au Canada, et surtout son difficile maintien suivant l’orientation du gouvernement en place. L’affaire a été portée devant la justice jusqu’à une décision favorable de la Cour suprême du Canada, en mai 2011, au nom du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité. Récit. (réd.)

Les grands bouleversements sociaux qui viennent happer le temps, qu’ils soient révolutions ou épidémies, malgré les heurts qu’ils laissent dans leurs sillons, ne sont pas sans provoquer des réflexions utiles et les réformes nécessaires.

L’épidémie du sida est de ceux-là. Les réponses et les actions posées pour reconnaître et en affronter l’ampleur, quant à elles, varieront d’un continent à un autre. Courants politiques, enjeux sociaux, économiques et culturels en décideront.

Dans sa foulée, l’épidémie aura tôt fait de faire ressurgir les valeurs de solidarité et d’entraide au sein des communautés les plus touchées. Bafoués et trop souvent ignorés, les droits de la personne deviendront au fil des ans des incontournables pour soutenir les changements et les façons d’agir. Avec elle, c’est une redéfinition complète de la santé publique et de son langage qui prendra place. La réduction des risques ou des méfaits en sera l’un des plus vaillants exemples.

Parmi les communautés heurtées par l’épidémie, celle des utilisateurs de drogues illégales ou injectables (UDI) s’avère l’une des plus vulnérables et surtout, l’une pour laquelle le soutien politique et public ne sera jamais aisé. La dualité entre la réponse à la criminalité reliée au trafic et à la possession de drogues et celle à donner aux besoins de santé de populations ou de groupes concernés, en est assurément la cause.

Au Canada, « l’affaire INSITE » 1, dont l’aboutissement fut une décision judiciaire de septembre 2011 rendue par le plus haut tribunal canadien, illustre parfaitement ces dernières affirmations.

Bras de fer entre militants pour le respect des droits de l’homme et le gouvernement canadien d’allégeance conservatrice, cette saga d’intérêt national aura mis en relief le décalage politique qu’affiche le Canada quant à son ouverture envers des objectifs adaptés de réductions des risques. L’implantation et la reconnaissance de services d’injection supervisée (SIS), font partie de ceux-ci, alors qu’ils sont déjà en place dans plusieurs pays dont la Suisse depuis 1986 et dont la pertinence est reconnue 2.

Cette décision dont l’article s’attardera à décrire la portée, aura eu l’effet d’une gifle pour un gouvernement qui ne semble avoir de honte à afficher son arrogance et son mépris face aux plus démunis et victimes de sa politique prohibitionniste en matière de lutte contre la drogue, les UDI.

Insite et le downtown eastside de Vancouver responsables de l’affrontement : une visite des lieux

En 1997 à Vancouver, dans la province canadienne de la Colombie-Britannique, les autorités provinciales de santé publique, confrontées à une situation sans précédent dans l’un des plus vieux quartiers de la ville, se voient contraintes d’y déclarer un état d’urgence sanitaire.

Extrême pauvreté, addiction et itinérance presque endémique, ravage de l’épidémie du sida chez les UDI, décès par surdose d’un niveau extravagant et prolifération de maladies chroniques toutes en lien avec la consommation de drogues injectables, seront les désolants constats qui supporteront cette décision.

Malgré cette orientation, la route pour rétablir une certaine dignité humaine dans le quartier n’était pas tracée pour autant, tant celui-ci semblait avoir pris un visage dont les traits resteraient à jamais marqués dans les ombres de ses ruelles.

Une seule statistique réussit à maintenir la stupéfaction, celle d’une prévalence du VIH et du VHC chez les UDI dans ce quartier de Downtown Eastside (DTES), l’une des plus élevées parmi les populations des grandes capitales du monde développé 3.

Pour des décennies, le DTES de Vancouver sera le plus pauvre au pays. Y vivre était considéré come vivre dans un pays du Tiers-Monde, y mourir était considéré mourir dans un pays du Tiers-Monde.

Diverses initiatives seront donc envisagées et mises de l’avant sous l’égide de l’autorité régionale de santé, la Vancouver Coastal Health Authority, pour éviter pire chaos. Un plan d’action proposant diverses stratégies de réduction des risques sera adopté. Parmi elles, la mise en place d’un SIS sera priorisé, alors que déjà en Europe, la Suisse, l’Espagne et les Pays-Bas les avaient intégrés dans leur politique d’intervention en matière d’addiction.

Alors que la santé publique cherche encore ses ancrages dans l’univers de la consommation de drogues illicites, que la reconnaissance des droits fondamentaux de la personne comme base des politiques de santé publique dans ce même univers tarde à se faire reconnaître, le gouvernement d’alors, d’allégeance libérale, reconnaîtra en 2003 la nécessité d’aller de l’avant avec l’ouverture d’un SIS à Vancouver dans le DTES.

Le geste ne passera pas inaperçu chez le voisin américain, puisque défiant sa politique prohibitionniste en matière de lutte contre la drogue. INSITE verra donc le jour le 21 septembre 2003 et sera le premier SIS en Amérique du Nord, le seul encore à ce jour.

INSITE, un organisme communautaire soutenu financièrement par les seules autorités provinciales qui ont milité pour sa création, de concert notamment avec la municipalité et d’autres organismes locaux dont ceux regroupant des UDI, se verra donc octroyé par le ministre de la Santé du Canada, une exemption de 3 ans pour des raisons scientifiques et de recherche, en vertu de la législation canadienne sur les drogues 4.

En chiffres, DTES aujourd’hui c’est :

  • 16’500 personnes qui y vivent;
  • de l’héroïne consommée à 51 %;
  • une prévalence de l’hépatite C de 87 % chez les UDI;
  • un taux de prostitution de 38 %;
  • 80 % des personnes UDI auraient déjà été incarcérées;
  • 51 % des personnes UDI auraient vécu un épisode de surdose.

Ces statistiques sont tirées d’un sondage effectué auprès de la population du quartier DTES et ont été déposées au ministre de la Santé du Canada en 2008, dans un rapport rédigé à son attention. Il faut penser, sans trop se tromper, qu’elles n’auront jamais su convaincre le ministre de l’époque de croire autre chose que les UDI consommaient par choix personnel, puisqu’il refusera, la même année, de reconduire l’exemption légale permettant à INSITE de poursuivre les activités de son SIS.

Rappel historique de l’affrontement judiciaire avec le gouvernement canadien

Fruit d’un long parcours de recherche et de planification, tissé par la collaboration d’acteurs gouvernementaux, municipaux, communautaires et d’individus, INSITE et son SIS ouvrira ses portes en septembre 2003.

À l’enthousiasme de ce départ singulier, dans la chevauchée des efforts de santé publique pour contrer les contrecoups de la situation, succédera rapidement les inquiétudes et les frustrations issues de l’élection d’un nouveau gouvernement en 2005. La philosophie de ce dernier sur le traitement de la dépendance aux drogues, tablera davantage sur une application rigoureuse des lois sur les drogues et leurs interdits, plutôt que de favoriser une approche raisonnée et objective telle que le propose celle de la réduction des risques. Il restera de glace devant les études scientifiques disponibles sur l’impact positif de l’implantation de SIS et plus particulièrement sur celui de Vancouver, qu’il refusera d’appuyer par l’octroi, par le ministre de la Santé, d’une exemption à la Loi canadienne sur les drogues (la Loi).

Aussi, en septembre 2006, le ministre fédéral de la Santé annoncera que l’exemption accordée par le gouvernement précédent ne sera renouvelée que pour une période de 15 mois. Ce geste, peu surprenant par ailleurs, sera le premier qui fera présager, qu’à court terme, la décision du retrait définitif de l’exemption accordée à INSITE tombera.

En octobre 2007, le ministre fédéral de la Santé, poursuivra la stratégie de la mort à petit feu, en prolongeant cette fois l’exemption pour une période additionnelle de 8 mois, soit jusqu’au 30 juin 2008.

Non dupe des intentions du ministre et du gouvernement en place, d’autant plus que les déclarations du ministre ne laissent aucune équivoque sur ses intentions à venir, en août 2007, l’organisme communautaire responsable des activités du SIS, deux UDI et usagers des services d’INSITE, ainsi qu’une association vancouvéroise d’usagers de drogues, saisiront un tribunal de première instance de la province.

Ils exigeront que soit déclarées inconstitutionnelles les dispositions de la Loi concernant la possession et le trafic de drogues, en plus de revendiquer que soit reconnue l’exclusivité de la juridiction provinciale sur les activités du SIS à l’exclusion de la compétence fédérale en matière de droit criminel.

En mai 2008, sans donner raison aux demandeurs sur l’ensemble de leurs revendications, le juge saisi de l’affaire déclarera inconstitutionnel les dispositions de la Loi canadienne sur les drogues en ce qui a trait aux infractions de possession et de trafic. Il justifiera sa décision en précisant que ces dispositions font entrave aux droits fondamentaux que sont les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité, lesquels sont garantis par la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), elle-même insérée dans la Constitution canadienne. Il soutiendra notamment son argumentation en traçant le portrait de DTES et de sa population d’UDI, cela avec le soutien de la preuve scientifique qui aura été déposée et accordera une année au gouvernement canadien pour modifier la Loi afin qu’elle soit en accord avec la Constitution canadienne et les principes de justice fondamentale. Les motifs au soutien de sa décision auront un caractère déterminant pour la suite des choses.

Le gouvernement canadien en appellera de la décision et la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, le 15 janvier 2010, rejettera l’appel du gouvernement dans une décision majoritaire prise par un banc de trois juges.

L’essentiel des motifs de la cour d’appel soutiennent l’incompatibilité des dispositions en cause de la Loi par rapport aux droits fondamentaux garantis par la Charte, en plus de considérer qu’INSITE devait être reconnu en tant « qu’entreprise provinciale de santé établie en vertu du pouvoir conféré à la législature provinciale » relativement à sa compétence en matière d’administration et d’organisation des services de santé.

Encore une fois repoussé dans ses prétentions, le gouvernement canadien fera appel de la décision, pour une ultime fois cette fois, devant le plus haut tribunal du pays, la Cour suprême du Canada (la Cour).

Le 12 mai 2011, les 9 juges de la Cour entendront les arguments des parties. À elles s’ajouteront celle du Procureur général de la Colombie-Britannique en plus de celles de 11 parties intervenantes autorisées par la Cour. Parmi elles, une seule aura un plaidoyer soutenant les prétentions du gouvernement.

Le 30 septembre 2011, dans une décision unanime, la Cour rejettera de manière définitive les arguments du gouvernement fédéral canadien.

Par cette décision tout aussi spectaculaire qu’inattendue, étant donné l’unanimité au sein de ses juges, la Cour ordonnera au ministre d’accorder sur-le-champ à INSITE l’exemption prévue à la Loi.

Dans les prochains paragraphes et comme dernier volet de cet article, seront identifiés les principaux éléments de la décision et en questionneront la portée véritable.

Les motifs de la cour suprême du Canada : une sensibilité rassurante face aux individus et aux changements sociaux

Des arguments de droit constitutionnel ou « de qui fait quoi »
Comme il l’a été souligné succinctement dans les paragraphes qui précèdent, à la base de l’affrontement et sans entrer dans le fin détail des arguments et des motifs du jugement, réside une bataille de philosophie concernant l’orientation des politiques de santé publique en matière de réduction des risques.

D’un côté, le gouvernement fédéral prétendra avoir raison d’appliquer sa loi sur les drogues à INSITE et dès lors de justifier l’interdiction de possession et de trafic de drogues illégales. Le ministre justifiera de la même manière sa décision de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire afin d’accorder une exemption à INSITE.

Quant à la position opposée exprimée par les différentes parties soutenant les activités d’INSITE, elle sera fondée tantôt sur la compétence conférée aux législatures provinciales en matière de santé, puisque selon cet argument INSITE doit être reconnu comme un établissement de santé, tantôt sur l’atteinte aux droits fondamentaux consentis par la Charte, soit les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne ou sur les deux arguments principaux à la fois.

Tant pour le personnel qui œuvre au sein d’un SIS tel INSITE que pour ses usagers, les risques que comporte l’application rigoureuse de la loi réglementant les drogues sont patents. Sans exemption obtenue du ministre, les activités professionnelles des uns et la fréquentation du lieu par les autres ouvrent toute grande la porte à des accusations de possession et, en apparence seulement, à celles de trafic. La sentence maximum pour la première infraction est de 7 ans d’emprisonnement.

Il faut donc vraiment croire à la cause pour braver l’interdit, se rappelant que dans un système judiciaire tel celui du Canada, qu’il n’appartient pas aux tribunaux de légiférer mais bien aux gouvernements en place.

Dans les faits, considérant la situation exceptionnelle de détresse dans laquelle des personnes se trouvaient et se trouvent encore dans DTES, la mise à exécution de cette possibilité d’accusation par les instances de justice fédérale aurait fortement discrédité le gouvernement. Son entêtement, même maladroit, était sans doute calculé.

La bataille juridique était bien entendu cruciale pour ce dernier et d’aucun ne doute qu’il y tenait principalement à cause de sa politique en matière de lutte contre la drogue, calquée sur le modèle prohibitionniste du gouvernement américain.

Ce choix politique, faut-il le rappeler, est en porte-à-faux avec le courant mondial actuel qui clame le constat d’échec de l’approche basée sur la prohibition. Ce courant est plus particulièrement influencé par la réflexion récente (avril 2012) de quatre ex-présidents latino-américains, reprenant leurs déclarations antérieures sur le sujet, telles qu’ils les avaient exprimées dans le cadre de la Commission mondiale sur les drogues, quatre années plus tôt, en mars 2009 5.

Les questions auxquelles la Cour devait répondre
Au matin de la diffusion du jugement, l’unanimité des juges a tôt fait d’en surprendre plus d’un.

Par ailleurs, ce qui interpellera d’avantage le lecteur attentif et intéressé par la décision, c’est d’abord la grande sensibilité démontrée par la Cour quant à la réalité que doivent affronter des milliers de personnes, dans DTES et ailleurs au pays, au prise avec un problème de toxicomanie rattaché principalement à la consommation de drogue. À elle seule, la description précise et documentée du contexte du quartier DTES exprime la préoccupation de la Cour.

La Cour décidera donc de s’arrêter à trois seules questions pour disposer du litige. Les voici telles qu’énoncées :

  • INSITE, reconnu établissement de santé, est-il exempt de l’application de la Loi;
  • Les dispositions de la Loi traitant de la possession et le trafic, enfreignent-elles les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité garantis par la Charte canadienne des droits et libertés;
  • Le ministre fédéral de la Santé a-t-il exercé convenablement sa discrétion et sa décision, a-t-elle portée atteinte aux droits fondamentaux des usagers qui s’adressent à la Cour.

Les réponses de la cour ou les leçons et devrois données au ministre fédéral de la santé

La Cour disposera de la première question en reconnaissant que les interdictions criminelles de possession et de trafic établis par la Loi sont valides, tant d’un point de vue constitutionnel que d’une perspective de partage des compétences.

Bien que reconnaissant qu’un SIS, en l’occurrence INSITE, doit être reconnu comme un service de santé légitimement mis en place par les autorités provinciales, la Cour soutiendra que la protection de la santé et de la sécurité publiques contre les effets des drogues créant une dépendance est un objectif légitime du droit criminel.

Cette prise de position est difficilement critiquable compte tenu de la logique. En effet, il faut analyser la Loi dans son ensemble et tenir compte de l’objectif qu’elle poursuit. Or, la Loi se veut essentiellement une réponse du législateur canadien aux problèmes qu’engendre la consommation de drogues illégales au pays.

Il faut accepter de voir dans l’application des dispositions concernant la possession et le trafic, l’expression d’une interdiction somme toute générale, alors que la même Loi laisse une marge de manœuvre au ministre pour permettre l’utilisation de substances illicites dans certaines situations. C’est en quelque sorte la manière qu’a choisi le législateur pour contrer les orientations parfois conflictuelles de Santé publique et de Sécurité publique.

À ce propos, la Loi précisera elle-même à son article 101 « …que le prononcé des peines prévues à la présente partie a pour objectif essentiel de contribuer au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre tout en favorisant la réinsertion sociale des délinquants et, dans les cas indiqués, leur traitement et en reconnaissant les torts causés aux victimes ou à la collectivité ».

Ceci étant dit, la Cour s’empressera par la suite de préciser que cette reconnaissance de la compétence fédérale de droit criminel en matière de contrôle des drogues ne compromettait en rien les prétentions adverses quant à l’atteinte aux droits fondamentaux garantis par la Charte.

Abordant la réflexion sur les deux autres questions, la Cour déclarera entre autre que « la dépendance est une maladie », « que ce ne sont pas les substances contrôlées qui sont la cause des infections que sont le VIH et le VHC » et « que le risque de morbidité et de mortalité associé à la dépendance diminue avec la présence de personnel qualifié ».

Que le plus haut tribunal d’un pays se commette de la sorte est d’une importance capitale pour la suite des choses en matière de réduction des risques et de respect des personnes touchées par l’addiction. Elle reconnaît du même coup l’importance des preuves scientifiques pour la reconnaissance des droits de la personne.

Si la Cour considérera que les dispositions de la Loi concernant la possession de drogue est conforme aux principes de justice fondamentale parce que le ministre de la Santé conserve une discrétion pour permettre certaines exemptions, elle reconnaîtra par ailleurs qu’elles mettent néanmoins en jeu les droits fondamentaux garantis par la Charte, dans la mesure où cette discrétion n’est pas exercée comme il se doit.

Placé devant une telle situation, les droits fondamentaux des employés du SIS seront compromis puisque le danger d’incarcération amènerait une rupture de services mettant en danger la vie et la sécurité des usagers d’INSITE. De la même manière, pour bénéficier de ce service de santé que constitue un SIS, les UDI doivent apporter leur drogue. Interdire en tout lieu la possession de drogue viendrait dès lors compromettre leur liberté de recevoir des services de santé et mettre en danger leur vie et leur sécurité, compte tenu des risques inhérents à l’injection sans supervision et en l’absence de matériel sécuritaire.

Fort des arguments des demandeurs et devant la faiblesse de ceux du gouvernement et du ministre, la Cour considérera que c’est l’exercice du pouvoir discrétionnaire de ce dernier qui contrevient aux libertés fondamentales garantis par la Charte des droits et libertés.

La discrétion du ministre fédéral de la Santé, en vertu de l’application de la Loi est précisée en ces termes à son article 56 :

« S’il estime que des raisons médicales, scientifiques ou d’intérêt public le justifient, le ministre peut, aux conditions qu’il fixe, soustraire à l’application de tout ou partie de la Loi…toute personne ou catégorie de personnes…ou de substance désignée ».

C’est donc inspiré de ces quelques lignes, que le ministre doit exercer son jugement afin d’assurer un juste équilibre entre la protection de la Santé publique et la Sécurité publique.

Il sera ici blâmé pour avoir exercé son jugement de manière erratique, compromettant du coup les droits des usagers et du personnel d’INSITE.

La Cour considérera que le ministre aura agi arbitrairement, puisqu’il disposait de toute l’information scientifique et factuelle probante pour rendre une décision structurée et respectueuse des droits en cause. Au passage, la Cour mentionnera que le ministre n’a même pas pris soin de considérer la documentation qui a servi aux renouvellements précédents, que les interventions traditionnelles ont peu fait pour diminuer la consommation de drogue dans DTES, qu’aucun décès par surdose n’est survenu depuis l’ouverture d’INSITE et que par surcroît, l’opinion publique supporte le maintien de ce service de santé.

De plus, la Cour qualifiera de disproportionnée la décision du ministre de ne pas renouveler l’exemption, car les services d’INSITE sauvent des vies, qu’en 8 ans d’existence, il y a absence d’incidence négative de sa présence dans le quartier et que priver la population de ces services ne tient pas compte des avantages que le Canada peut en tirer.

Voilà des reproches qui ébranlent la crédibilité d’un ministre et même de celle de son gouvernement, alors qu’aucune preuve scientifique valable ne soutiendra ses arguments, dont le plus désolant est celui de prétendre que les risques inhérents à la consommation de drogue ne découlent pas de l’interdiction de possession mais plutôt du seul choix des toxicomanes de consommer des drogues illégales. Navrant postulat s’il est un, qui démontre la méconnaissance inacceptable du contexte pour un ministre de la Santé.

Le cadre de l’exercice de la discrétion ministérielle proposé par la Cour
Pour toute demande subséquente d’exemption déposée par un organisme ou une entité ayant l’intérêt pour le faire, la Cour encadre l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre de 4 pôles. Le ministre devra s’assurer que :

  • La demande s’inscrit dans les limites de la Loi et de la Charte;
  • Qu’il s’assurera de maintenir un juste équilibre entre la Santé publique et la Sécurité publique;
  • Que dans la perspective d’un refus de sa part, sa décision ne porte pas atteinte aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité des personnes;
  • Que la demande cadre bien avec la diminution des risques de décès par surdose et qu’elle ne saurait avoir d’incidence négative sur la Sécurité publique.

Le ministre devra donc considérer certains facteurs qu’identifie la Cour, dont l’incidence du SIS sur le taux de criminalité, s’assurer que les conditions locales militent en faveur de l’implantation d’un tel service, que la structure du SIS rencontre les exigences cliniques et règlementaires reconnues et des ressources disponibles pour ses opérations.

Un dernier facteur avancé par la Cour sera celui de tenir compte des appuis ou de l’opposition de la communauté quant à l’implantation d’un SIS.

Remarques finales

La décision de la Cour suprême du Canada marquera la jurisprudence canadienne en matière de respect des droits de la personne. Elle aura eu bien entendu un impact immédiat pour INSITE et ses usagers lui assurant la continuité de ses activités auprès de ces derniers.

Un de ses impacts les plus importants, sera celui d’ouvrir toute grande la porte aux autres provinces canadiennes qui connaissent désormais les règles du jeu et pourront aller de l’avant avec leurs intentions de mettre en place les services de SIS, comme c’est le cas pour la province du Québec qui identifie dans son Plan d’action nationale en Santé publique le recours au SIS dans le cadre de son approche de réduction des méfaits.

Le contexte de DTES ne peut se comparer à aucun autre endroit au Canada. Aussi, les demandes éventuelles d’exemption devront refléter avec soins le contexte particulier dans lequel la démarche d’implantation d’un SIS s’inscrit.

La communauté internationale préoccupée par la problématique de l’addiction doit également se réjouir de la décision, puisqu’elle lui donne les balises nécessaires pour influencer les autorités politiques afin d’aller de l’avant.

La Cour a rendu une décision juste et raisonnée. Elle l’a fait aussi avec une rapidité inattendue, ce qu’il faut applaudir. Mais dans son empressement, elle n’aura peut-être pas mesuré la portée de sa recommandation faite au ministre de tenir compte de l’appui ou de l’opposition manifestée à l’endroit d’un projet de SIS. Ce faisant, elle donne à des citoyens du secteur visé par le projet la possibilité d’exprimer sans nuance son désaccord. Alors comment faut-il mesurer cette variable? Comment le ministre la considérera-t-il? Ces questions n’ont pas de réponse pour l’instant. Il faudra attendre que les premières demandes d’exemption soient déposées, ce qui devrait se faire dans un avenir très proche.

Faudra-t-il retourner devant les tribunaux pour faire clarifier la décision de la Cour ou même pour attaquer à nouveau d’éventuelles décisions ministérielles? Ce même avenir nous le dira.

48_7_Les-droits-de-l-homme-au-chevet-des-tdo-enseignements-et-lendemains-d-un-jugement-de-la-cour-supreme-du-canada-sur-la-legalite-des-services-d-injection-supervisee_De-St-Just_Dependances2014.pdf
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  1. Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44;[↑][↑]
  2. Avis sur la pertinence des services d’injection supervisée : Analyse critique de la littérature, Lina Noël et autres, Institut national de santé publique du Québec, Montréal, 2009, p.17; Créer des lieux d’injection sécuritaires pour l’injection au Canada : questions juridiques et éthiques, Réseau juridique canadien VIH-SIDA, 2002, Toronto, 76 p.[↑]
  3. Vancouver’s Dowtown Eastside gets new lease on life, Maclean’s.ca, October 15, 2012;[↑]
  4. Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch.19;[↑]
  5. Drugs and Democracy : toward a paradigm shift, Statement by the Latin-Americain Commission on Drugs and Democracy, 2009, 46 p.; Courrier international, Constat d’échec pour la prohibition, dossier sur La drogue libre, édition du 14 au 20 juin 2012, p. 18.[↑]

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