décembre 2012
Le 30 novembre 2008, le peuple acceptait la nouvelle loi sur les stupéfiants par 68 % des votants. Une année plus tard, le consensus international sur l’approche répressive promue par les Nations Unies volait en éclats lors du processus UNGASS, qui voyait de nombreux Etats (dont la Suisse) se distancer du modèle dominant. Cette même année, l’ancien président du Brésil, Fernando Henrique Cardoso lançait sa première commission internationale sur les drogues « Drogas y Democracia ». Composée de leaders d’Amérique latine, elle allait bientôt être remplacée par la « Global Commission on Drug Policy », que rejoindra notre ancienne présidente Ruth Dreifuss. Une dynamique irréssistible semblait porter un changement, où les faits triompheraient enfin de l’idéologie et où les anciennes recettes désastreuses de la guerre à la drogue seraient enfin définitivement rangées dans les placards de l’histoire. La Suisse, citée en exemple partout dans le monde pour sa politique pragmatique, devenait enfin un modèle. Quelle fierté, quel chemin parcouru.
Malheureusement, il nous faut bien constater qu’à peine quelques années après ce « momentum », l’espoir en Suisse est en train de changer de camp. Après l’allégresse viennent les doutes. Alors même que notre modèle des 4 piliers trouve enfin une base légale, après 20 ans d’application courageuse par le Conseil fédéral, il semblerait que ce modèle n’ait jamais été aussi fragile. Encore une fois, la Suisse semble avancer en sens inverse. Alors que les premières salles de consommation ouvrent en France et que deux Etats des Etats-Unis réglementent le marché du cannabis, la Suisse tend à revenir à une politique plus répressive, qui remet en question les avancées de ces dernières années. Le deal de rue et les amalgames de toutes sortes risquent d’avoir raison du consensus affiché. Aujourd’hui, la politique des 4 piliers tient toujours, mais les nuages s’amoncellent et le soutien du peuple diminue.
Est-ce le destin des acteurs du domaine de se battre, encore et toujours, pour expliquer leur travail ? Justifier leurs réponses ? On peut espérer que non. Mais un fait s’impose : le combat n’est pas terminé. Jamais une loi n’a suffi à protéger des populations vulnérables de la vindicte populaire. Les révisions récurrentes de la loi sur l’invalidité (4 révisions en 8 ans) ou des votations sur la migration nous montrent que c’est l’opinion publique qui gouverne dans une démocratie. Aucun dispositif législatif ne résiste à la pression du peuple, en Suisse encore plus qu’ailleurs. Ce fonctionnement démocratique, nous devons en être fiers. Mais il nous engage également. Sur un sujet aussi complexe que les drogues, il faut expliquer, convaincre, avancer, et surtout démontrer, autant par les faits que par la parole, la justesse des arguments professionnels. Sur le terrain, nous avons besoin de solutions qui répondent aux préoccupations de la population. Celles-ci sont changeantes et il faut donc s’y adapter. Avec courage, et sans complaisance, la mutation du système doit se poursuivre. De nombreux problèmes ne sont toujours pas résolus, de l’espace public à l’insertion sociale des personnes dépendantes. Ce n’est qu’en poursuivant le difficile chemin vers des politiques publiques qui répondent aux problèmes ressentis par nos concitoyens, que nous arriverons, enfin, à ancrer de manière durable notre modèle dans notre pays. En soulevant certains aspects encore problématiques, ce numéro de dépendances entend contribuer à ce débat.
Jean-Félix Savary (GREA)