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  3. Dépendances 48
  4. Marginalité urbaine, espace public et usage de drogues : Lausanne, automne 2012

Pour préserver la sécurité dans l’espace public, il va falloir abandonner le modèle de la prohibition !
Olivier Guéniat (Police jurassienne)
Marginalité urbaine, espace public et usage de drogues : Lausanne, automne 2012
Géraldine Morel (Centre de recherche en Ethnologie)
Le modèle des « quatre piliers » : une belle réussite politique
Erich Fehr (Maire de Bienne)
Traitement et réinsertion des personnes dépendantes ; la question du « entre-entre »
Bruno Boudier (Fondation Bartimée)
Entrer dans la substitution : de l’épreuve à l’appropriation
Emmanuel Langlois (entre Emile Durkheim (UMR 5116))
Aspects juridiques du traitement de substitution
Olivier Guillod (directeur de l’Institut de droit de la santé, Université de Neuchâtel)
Les droits de l’homme au chevet des TDO : enseignements et lendemains d’un jugement de la Cour suprême du Canada sur la légalité des services d’injection surpervisée
Louis Letellier de St-Just (Cactus)

Dépendances 48 - Limites actuelles de la politique drogue: Marginalité urbaine, espace public et usage de drogues : Lausanne, automne 2012

décembre 2012

Marginalité urbaine, espace public et usage de drogues : Lausanne, automne 2012

Géraldine Morel (Centre de recherche en Ethnologie)

L’auteur nous propose un regard ethnologique sur la scène lausannoise de la drogue. Par la récolte de regards croisés sur la question, elle dresse un portrait tout en nuances de ce qui se joue sur le terrain, bien au-delà des représentations caricaturales qu’en fait le débat actuel, politisé à l’extrême.

Il est midi et les badauds traversent, parcourent, occupent par endroits la place, se posent sur les bancs pour profiter des derniers rayons de soleil automnaux et avaler à la va-vite un sandwich avant de vaquer à leurs occupations. Près du kiosque, un groupe d’une dizaine d’individus s’est formé et échange à voix haute. Les interactions sont animées, deux agents de police s’entretiennent en aparté avec un homme d’une trentaine d’années. « Celui-là il doit balancer », commente discrètement un jeune à son voisin, lui aussi toxicomane.

De l’autre côté de la place, près du Café du Musée, un autre groupe, peut-être un peu plus âgé se réunit. « Moi je bois des bières et je fume quelques joints, c’est tout…Je ne suis plus dans la consommation, je viens ici voir des amis. Mais l’ambiance a bien changé avec ces nouveaux dealers, c’est plus violent, plus tendu » affirme un quadragénaire. Selon le patron du café, ce petit monde cohabite toutefois en bonne intelligence et tente de maintenir des relations cordiales malgré les tensions quotidiennes. Ce dernier reconnaît toutefois que la proximité d’un groupe de marginaux n’est pas idéale pour son commerce mais admet qu’ « ils font l’effort de ne pas trop embêter le voisinage ».

A la terrasse du café, c’est l’heure de la pause de midi et la serveuse s’active alors qu’au-dessus, sur l’esplanade, des individus vont et viennent, se déplaçant selon la loi de l’offre et de la demande qui régit ce que policiers, journalistes, usagers et intervenants sociaux qualifient de « deal de rue ».

Place de la Riponne, 18 octobre 2012

La présence en plein cœur de la capitale vaudoise d’acteurs sociaux identifiés tour à tour comme « drogués », « dealers » ou encore « toxicomanes » exacerbe les interactions sociales quotidiennes et questionne de plein fouet la place qu’occupe la marginalité et donc la toxicomanie dans l’espace public. Exaspérés par cet état de fait, les riverains de Riant-Mont et du Tunnel ont lancé une pétition faisant état d’une dégradation croissante des lieux d’habitation, théâtre de toutes sortes de transactions liées au marché de la drogue et à sa consommation et demandant à la Municipalité « qu’elle prenne le problème au sérieux et trouve des solutions rapidement pour que les habitants et leurs enfants retrouvent une bonne qualité de vie et la sécurité dans leur quartier 1 ». La visibilité des pratiques liées à la toxicomanie (vente et consommation de drogue) mettent en relief la difficile cohabitation des individus dans l’espace public ainsi que leurs droits et devoirs respectifs sur ces mêmes endroits. Pourtant, comme le relève Lionel Wandel de Rel’Aids : « les espaces utilisés peuvent avoir des usages positifs pour les personnes marginales. Ce sont des espaces de socialisation qui leur permettent de faire partie de la vie de la ville ». Dès lors, quelles solutions peuvent être apportées pour qu’une cohabitation harmonieuse entre commerçants, passants, forces de l’ordre et toxicomanes puisse avoir lieu ?

Cet article, loin d’apporter une réponse à cette question complexe, rend compte d’observations in situ et d’entretiens réalisés avec les acteurs sociaux concernés : intervenants sociaux, marginaux, toxicomanes, commerçants et représentants des forces de l’ordre. Sans proposer de solutions, il fournit des pistes de réflexion pour une analyse plus vaste de l’insertion de la population toxicomane dans l’espace urbain et les conséquences des événements récents survenus à Lausanne sur cette dernière.

Toxicomanie, marginalité et conduites à risques

Notre société occidentale, marquée par un individualisme exacerbé, peine à prendre en charge les laissés-pour-compte du rêve capitaliste, toujours plus nombreux et désinsérés. A une situation économique critique qui précarise des catégories de population étendues (chômeurs, working poors, marginaux, etc.) s’ajoute une structure sociale et étatique complexe, souvent inaccessible aux plus démunis. Pourtant, loin d’être chaotiques et anarchiques, les marges de notre société sont des univers de sens, vecteurs d’identité pour ceux qui y adhèrent.

A ce titre, la toxicomanie et ses multiples sous-groupes (injecteurs, cocaïnomanes, consommateurs festifs, etc.) agissent à leur tour comme autant de sous-cultures dont les codes sont transmis et partagés 2. Ces groupes, en dépit de leur marginalité, deviennent des lieux de socialisation. En ce sens, et selon le bon vieux questionnement de la primauté de l’œuf sur la poule ou vice versa il semblerait que l’addiction mène aux marges mais que les marges mènent aussi à l’addiction. « Quand on voit certains parcours de vie, des enfants abusés…Je n’excuse pas tout mais la toxicomanie aide à survivre, c’est une automédication pour la survie » affirme Denis Burri, intervenant social au Passage, structure d’accueil en bas seuil pour toxicomanes, située dans le quartier du Vallon.

Ainsi, dans une perspective qui considère la toxicomanie comme un moyen de survie, l’objectif d’une société nettoyée de toute consommation de stupéfiants est illusoire. En effet, la répression et sanction du consommateur, loin de mettre un terme au trafic, précarise encore davantage une population déjà affaiblie et stigmatisée et tend à augmenter les conduites à risque selon les observations menées en ce sens par les professionnels de terrain. Matériel usagé abandonné en pleine nature, injection rapide et sans précaution ou encore tendance à réutiliser plusieurs fois la même seringue témoignent d’un mal-être grandissant et d’un facteur de stress croissant au sein de la population toxicomane de la capitale vaudoise.

Lausanne, état des lieux

Lausanne, en tant que chef-lieu du canton de Vaud, est un lieu privilégié pour observer dans un espace réduit les modalités du trafic de drogue et l’occupation des lieux publics par une population toxicomane. En ce sens et au vu du débat public suscité, « Lausanne est devenue caricaturale » remarque Roselyne Righetti, pasteure de rue. De fait, cette situation est amplement commentée par les médias qui mettent l’emphase sur la répression policière et l’exaspération des riverains. Toutefois, il serait faux de considérer cette situation comme totalement alarmante et nouvelle. En effet, en juillet 1998, L’illustré (no28) articulait déjà un dossier sur le sujet au titre évocateur de « Lausanne, carrefour de la drogue ». Mais, comme le relève Nicolas Pythoud, directeur de la fondation ABS « le capital sympathie du Letten est parti en fumée, aujourd’hui, il y a moins de tolérance ». Actuellement, on assiste à une redistribution du marché de la drogue au centre de Lausanne. D’une part, le marché de la cocaïne et du cannabis, principalement aux mains de ressortissants de l’Afrique de l’Ouest dont le centre est à la place Chauderon, semble s’être disséminé dans toute la ville (place de l’Europe, gare, etc.) mais s’accompagne rarement d’autres délits tels que vols ou encore agressions.

Par contre, selon les informations fournies par Jean-Yves Lavanchy, chef de la brigade des stupéfiants, le marché de l’héroïne (centré autour de la Riponne) a été bouleversé par l’arrivée massive de jeunes hommes fuyant les heurts du Printemps arabe. Cette nouvelle population a repris les rênes du commerce de l’héroïne dans la rue et cette transition ne s’est pas effectuée sans frictions 3. Aux dires de la police et de certains intervenants sociaux, les actes de violence se sont multipliés et les tensions entre usagers et dealers sont palpables, contribuant ainsi largement au sentiment général d’insécurité ressenti par la population. Deux constatations sont faites à ce sujet par les forces de l’ordre : l’augmentation d’une certaine criminalité urbaine liée directement à ce trafic (vols de portables, recels, agressions, etc.) et une baisse de qualité du produit 4, souvent coupé avec des substances toxiques, incitant ainsi le consommateur à augmenter les doses. Parallèlement à cet état de fait, la police a multiplié les contrôles et mené de front plusieurs opérations massives spectaculaires, notamment à la Riponne ou encore à Chauderon afin de vider momentanément les lieux de tous ces occupants indésirables. Les consommateurs, se sentant traqués, s’injectent dès lors dans des conditions de plus en plus précaires et abandonnent rapidement leur matériel une fois utilisé, se débarrassant ainsi au plus vite de la preuve du délit. En effet, le consommateur est souvent intercepté afin qu’il dénonce son dealer, son produit est confisqué et au final, il est amendé. Selon un usager : « Je ne comprends pas la police, ils courent après quelques paumés, ils se trompent de cible, la Riponne, ça reste des paquets à 17,5 francs. Après, t’es déjà à l’aide sociale, tu peux pas payer ton amende et tu finis en prison alors que c’est déjà bondé. Pour certains jeunes en révolte qui finissent à la Colonie 5…c’est l’école du crime ! A la sortie, le mec, il a son carnet d’adresse bien rempli ». Pour leur part, les forces de l’ordre, contraintes d’appliquer des lois qui ne leur permettent en aucun cas de faire face au deal de rue, croulent sous la paperasse et les situations kafkaïennes. Ainsi, selon l’un de ses représentants, l’arrestation d’un petit dealer, relâché quelques heures plus tard 6, pénalise par conséquent le policier qui se retrouve avec une quantité considérable de paperasse à remplir.

Répression et réduction des risques

Selon les statistiques avancées par le Passage, le Distribus – dispositif mobile destiné à la distribution de matériel stérile auprès de la population toxicomane – connaît une nette baisse de fréquentation depuis 2011, date de la mise en place de mesures policières plus drastiques faisant suite à un remaniement de la scène de la drogue. Pour quelques usagers réguliers, acteurs sociaux de la place de la Riponne, les contrôles ne les empêchent nullement de fréquenter la place et le Distribus. « Moi, malgré les contrôles, je suis obligé, je continue à venir, cela ne m’empêche pas » affirme Edmond, héroïnomane. Toutefois, certains consommateurs, plus discrets et mieux insérés dans la société, ne veulent pas risquer l’interpellation. « Ils ont peur d’être stigmatisés, de perdre leur job et de voir leur statut de toxicomane étalé au grand jour » relève une assistante sociale.

Pour les professionnels du champ des addictions, la précarisation intense des usagers rend encore plus difficile la situation de la population toxicomane à Lausanne. Ainsi, le dernier sondage mené au Distribus et au Passage fait état de 60 % d’usagers sans domicile fixe contre 25 % en 2006 et 40 % en 2008. Ainsi, pour ces personnes, il n’existe pas d’autre alternative à l’injection ou consommation dans des lieux publics. Cette marginalisation croissante est relayée par un climat général plus violent dans la rue. Les lieux d’injection sauvage font souvent l’objet d’une surveillance policière qui rend plus difficile l’intervention des travailleurs sociaux. Les liens de confiance 7, pourtant fondamentaux pour la réduction des risques, s’en trouvent mis à mal et les intervenants de terrain se plaignent d’être « pris pour des balances » à cause de la proximité de la voiture de police aux alentours du bus. La scène de la drogue, auparavant condensée au centre ville, risque de s’éclater en périphérie, rendant difficile tout contrôle et surtout toute intervention sociale. En échappant au regard du quidam et en s’éloignant, on peut imaginer que le trafic de rue se durcisse et que les incidents se multiplient.

Bien que nécessaire au maintien de l’ordre et à la protection des individus dans l’espace public, l’intervention policière est parfois comparée, comme le remarque cet intervenant social de rue « à une cocotte qui déborde dont on maintient le couvercle à deux mains tout en essuyant les rebords ». Bien conscient de cette problématique, Jean-Yves Lavanchy affirme pourtant que la population toxicomane marginale n’est pas la cible principale des policiers mais fait plutôt les frais d’un climat général qui ne cesse de se dégrader.

En guise de conclusion

La situation lausannoise et ses paradoxes questionnent au plus près l’application de la politique des quatre piliers et son application au quotidien. L’écart considérable entre les lois, leur application, les volontés politiques et la réalité du terrain semble affecter en premier lieu des personnes dont l’insertion dans la société reste précaire. La stigmatisation grandissante d’individus en marge procède d’une évolution sociétale plus générale qui tend à rendre les rapports sociaux de plus en plus normatifs. En ce sens, selon Nicolas Pythoud, les toxicomanes, au même titre d’ailleurs que les requérants d’asile, deviennent des groupes cibles de la colère populaire en temps de crise économique. Comme le relève justement ce toxicomane stabilisé : « J’ai l’impression qu’avant nous avions réussi à nous faire accepter, les gens avaient appris à cohabiter avec des marginaux. Maintenant tout est à refaire ». Au final, il ne s’agit pas de déterminer qui a tort ou raison, ni de minimiser les impacts d’une telle situation sur les riverains, encore moins de diaboliser ou victimiser certains groupes (méchants dealers/pauvres toxicomanes) mais plutôt de proposer une réflexion à plusieurs voix sur un sujet d’actualité. « Existe-t-il une véritable insécurité ou seulement un sentiment d’insécurité ? » comme le questionne Lionel Wandel. La place, tant symbolique que physique, occupée par des groupes sociaux considérés comme déviants au sein de notre société et leurs interactions avec d’autres acteurs sociaux (passants, commerçants ou encore forces de l’ordre) questionne le statut de ces derniers et leur droit d’exister publiquement et de manière visible. En cela, la toxicomanie est paradigmatique de notre rapport à la norme et à son contraire, la déviance. L’existence de groupes d’individus perturbateurs d’ordre public devrait justement nous amener à reconsidérer les modalités de cet ordre ainsi que ses limites.

L’importance d’un travail de proximité avec ce type de population est illustré par des exemples ponctuels faisant état de la gestion de la toxicomanie par les acteurs sociaux eux-mêmes, comme Patrick, responsable des statistiques au Passage : « En tant qu’ancien consommateur – je n’aime pas dire ancien, je n’ai jamais dit plus jamais – la politique de réduction des risques m’a sauvé la vie ». Ainsi, la mise en place d’une série de mesures d’accompagnement des personnes toxicomanes ne s’accorde guère d’un climat de méfiance et de tensions, comme nous le montre l’exemple de Lausanne.

48_2_Marginalite-urbaine-espace-public-et-usage-de-drogues-lausanne-automne-2012_Morel_Dependances2014.pdf
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  1. Extrait de la pétition « Défendons le Tunnel et Riant-Mont » (voir www.defendons-riant-mont.ch). Déposée le 24 septembre 2012 à la Municipalité[↑]
  2. Voir à ce titre l’ouvrage de Becker « Outsiders » (2005) qui traite de la déviance en s’appuyant sur l’étude de l’apprentissage de la consommation de marijuana.[↑]
  3. Toutefois, les rapports entre toxicomanes et dealers ne peuvent être analysés d’un point de vue de victime à bourreau, certains consommateurs vendant à leur tour pour assurer leur consommation sans prendre toujours garde de rembourser le dealer. Les interactions sociales qui en découlent sont complexes et ne sauraient être analysées par le biais de cet article.[↑]
  4. Jean-Yves Lavanchy parle de saisie d’héroïne coupée à 1 ou 2 % et du danger d’overdose que représenterait une augmentation de sa qualité à 15 ou 20 %.[↑]
  5. Prison lausannoise destinée aux détenus ayant commis des délits graves (18 mois et plus).[↑]
  6. Selon Jean-Yves Lavanchy, seul un procureur peut décider d’incarcérer un petit dealer surprésomption de récidive, ce qui ne se fait jamais.[↑]
  7. Comme le relève Roselyne Righetti : « Il n’y a pas de meilleure prévention que le lien, c’est fondamental. Il y a bien sûr la pauvreté matérielle mais surtout spirituelle. Il est important pour tout un chacun d’avoir du poids pour quelqu’un, pas seulement d’être un poids pour la société ».[↑]

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