avril 2002
Bruno Boudier (Fondation Bartimée)
L’étude s’est déroulée à l’Unité de Recherche et de Traitement de la Dépendance (URTD) de l’Hôpital psychiatrique de Perreux, (dans le canton de Neuchâtel), service hospitalier de 13 à 18 lits destiné à l’accueil et au traitement de personnes adultes (18 à 65 ans) souffrant de dépendance. Ce service est en activité depuis 1994.
Jusqu’à présent, à l’URTD, nous n’évaluions pas systématiquement la satisfaction des bénéficiaires et ne disposons, de toute façon, pas encore d’instrument pour ce faire. Ainsi, après huit années de pratique, l’équipe de soins en est venue à se poser la question de l’efficacité et de l’utilité des traitements proposés aux personnes toxicodépendantes et alcooliques. Les sevrages, l’aide à l’abstinence ou les traitements des maladies associées nommées comorbidités ont fait l’objet de réflexions et de remises en question. Les rechutes, les critiques, les revendications comme les appréciations positives de notre travail ont conduit les collaborateurs de l’URTD. à considérer l’avis des clients et de leur famille comme un indicateur potentiellement valable de la qualité de notre efficience. Cette prise de conscience de l’équipe de soins se joint à une préoccupation plus globale de la gestion des hôpitaux qui exigent la mise en place d’une démarche qualité.
La prise en charge s’organise autour de quatre axes interdépendants. L’équipe de soins les développe dans sa pratique quotidienne, en collaboration avec le corps médical:
Pendant longtemps, en Europe du moins, seuls des critères d’efficacité ont été pris en compte dans l’évaluation des soins en psychiatrie. Mais depuis quelques années, et probablement en relation avec l’apparition et le développement des programmes de gestion de la qualité, on commence à s’intéresser également à la satisfaction des patients 2, à ce qu’ils considèrent comme aidant ou non dans les traitements qui leur sont proposés, aux aspects du traitement qui sont importants à leurs yeux. Kovess, V, (1994, p.290) définit la satisfaction comme un sentiment qui procède plutôt d’un processus cognitif, d’un jugement de comparaison entre possessions et aspirations. «S’il y a congruence, il y a satisfaction; s’il y a divergence, il y a insatisfaction». Cette notion est intégrée directement dans le concept de démarche de qualité. Cette dernière peut se définir comme «l’ensemble des caractéristiques d’une entité qui lui confère l’aptitude à satisfaire des besoins implicites ou explicites» (Normes ISO 9000). Le client est généralement identifié comme le patient, mais ses proches pourraient l’être aussi puisqu’ils bénéficient aussi du traitement, de même que son médecin traitant, son assurance maladie, son employeur…
C’est le patient et sa famille, qui dans cette étude, ont retenu notre intérêt.
Les américains ont été les précurseurs en matière de mesure de la satisfaction des patients en commençant à s’intéresser à la question dès les années 50 3. Ils ont ainsi développé un certain nombre d’instruments standardisés et validés pour mesurer cette satisfaction. Certains de ces instruments ont été traduits en français, par exemple le Client Satisfaction Questionnaire (CSQ) (Perreault et al., 1992) et le Mac Lean Perception of Care (PoC-18) (Lorenz, 2000), mais leur traduction n’a pas encore été validée dans nos contrées. D’autres instruments ont vu le jour en Europe, comme le Verona Service Satisfaction Scale (VSSS) (Ruggeri & Dall’Agnola, 1993). Ce dernier a même été adapté, traduit et validé en plusieurs langues dans le cadre d’un projet européen pour permettre des comparaisons internationales, mais il n’y avait pas de pays francophone impliqué dans le projet (Becker et al., 2000, 1999; Ruggeri et al., 2000) et la traduction française n’a pas encore été validée.
Les instruments de mesure standardisés et validés sont certes importants si l’on veut pouvoir procéder à des comparaisons transversales (interinstitutionnelles, internationales…) ou longitudinales, mais ils ne résolvent de loin pas tous les problèmes liés à l’évaluation de la satisfaction des patients, qui reste une dimension difficile à appréhender. En effet, les niveaux de satisfaction exprimés par les patients sont généralement et de façon consistante élevés, quel que soit l’instrument utilisé, ce qui met en question la validité de ce mode d’investigation (Elbeck & Fecteau, 1990).
Le problème est encore compliqué en psychiatrie par le fait que le niveau de satisfaction exprimé semble étroitement lié à la pathologie psychiatrique elle-même. Certains auteurs ont ainsi démontré que les patients présentant une pathologie psychiatrique se disent en général moins satisfaits des soins reçus que les patients somatiques, qu’ils soient traités en milieu de soins généraux ou en milieu psychiatrique (Hermann et al., 1998; Hoff et al., 1999). Par exemple, les patients ayant un diagnostic double d’abus de substances toxiques et de comorbidité psychiatrique, en particulier un diagnostic de schizophrénie, se montrent moins satisfaits de leur traitement que les patients présentant une pathologie mentale seule (Primm et al., 2000a, 2000b). Les patients en traitement involontaire se disent moins satisfaits que les patients en traitement volontaire (Smolka et al., 1997; Svensson & Hansson, 1994). On a pu encore observer des corrélations entre le niveau de satisfaction exprimé et certains traits de personnalité, en particulier chez des patients en traitement pour une dépendance aux toxiques.
Un autre problème évoqué à propos des enquêtes de satisfaction réside dans le fait que les questionnaires sont souvent construits à partir de dimensions prédéfinies par les professionnels en fonction de ce qu’ils considèrent comme important dans les soins alors qu’il s’agirait de partir du point de vue des patients, d’investiguer d’abord quels sont les aspects des soins importants à leurs yeux (Elbeck & Fecteau, 1990; Hansson et al., 1993).
À notre connaissance, quelques articles seulement font état d’une investigation des aspects importants des soins du point de vue des patients dans le cadre de programmes de traitement de la dépendance. Lovejoy et al. (1995), par exemple, se sont intéressés au point de vue de patients dépendants à la cocaïne, sous traitement substitutif de méthadone, et inclus dans un programme de prévention des rechutes. Pour ceux-ci, les composantes déterminantes d’un tel traitement, celles qui leur ont permis de réduire leur consommation de cocaïne, sont les interventions de renforcement positif, la nature très structurée du programme, les techniques cognitivo-comportementales en général et l’approche cognitivo-comportementale de leurs problèmes psychologiques sous-jacents. Conners & Franklin (2000) ont investigué le point de vue de patientes ayant suivi un programme résidentiel de traitement de l’abus de substances destiné spécifiquement aux jeunes mères toxicodépendantes et à leurs enfants. Les aspects essentiels d’un tel programme sont, selon elles, les groupes éducationnels centrés sur les problèmes de dépendance et la prévention des rechutes; la psychothérapie individuelle, groupale, et familiale; les compétences et attitudes des professionnels (qualifications, professionnalisme, capacités relationnelles, empathie, soutien,…); la structure précise du programme; les dépistages systématiques urinaires de toxiques et l’aide à la réinsertion professionnelle. Ces différentes composantes permettent aux mères toxicodépendantes de faire des apprentissages fondamentaux pour le cheminement vers l’abstinence, à savoir une meilleure connaissance de soi, une augmentation de l’estime de soi, l’identification et la gestion de ses émotions, de même que l’acquisition d’habiletés nouvelles.
D’autres études menées auprès de patients psychiatriques, en milieu hospitalier ou ambulatoire, ont mis en évidence d’autres aspects des soins importants du point de vue des patients.
Dans ce contexte, nous avons décidé d’explorer la satisfaction des patients envers le traitement suivi à l’U.R.T.D., mais aussi de leur famille, vu l’orientation systémique de l’unité.
Le nombre de personnes interrogées (7 patients et leur famille) avait été fixé non pas en fonction des exigences d’un échantillon représentatif, mais de manière à ce que les dimensions liées au problème investigué puissent apparaître, comme cela se pratique couramment en sciences humaines et lors de recherches qualitatives exploratoires en médecine (Blanchet, 1987; Britten, 1995; Mays & Pope, 1995), tout en prenant en compte les conditions de réalisation de ce mémoire. Nous avons donc tenté d’en extraire des critères de base qui permettent à l’équipe de réfléchir sur l’évolution de leurs pratiques, disposant ainsi d’un premier bilan.
Les entretiens se sont déroulés en deux temps. D’abord l’entretien de famille, suivi de l’entretien individuel. Cette séquence a été choisie dans le but de préserver la marge de manœuvre du patient et de lui offrir les conditions d’une plus grande liberté d’expression.
Sept personnes, sortie de l’unité ont été interviewées avec leur famille et individuellement par la suite.
Une jeune femme de 21 ans, vivant chez ses parents. Diagnostic: toxicomanie et trouble bipolaire;
Un jeune homme de 23 ans, célibataire. Diagnostic: toxicomanie et état dépressif;
Une femme de 50 ans, divorcée. Diagnostic: alcoolisme et trouble bipolaire ;
Un jeune homme de 23 ans, célibataire..Diagnostic: toxicomanie, état dépressif et trouble anxieux;
Un homme âgé de 56 ans, marié, 2 enfants. Diagnostic: alcoolisme et état dépressif;
Un homme de 44 ans, marié, sans enfants. Diagnostic: alcoolisme et état dépressif.
Un homme de 26 ans, célibataire. Diagnostic: dépendance à l’héroïne et état dépressif.
Nous devons signaler que les personnes interviewées, dans leur ensemble, nous ont montré dans la récolte des données combien elles peuvent être attentives aux lieux, aux personnes et aux soins qui les ont concernées durant le séjour du patient.
Synthèse des thèmes abordés par les familles
Suivant les témoignages recueillis, les compétences spécifiques de l’équipe soignante rassurent et les aident à reprendre courage après les situations de crise. Les familles apprécient un cadre de soins vigilant, qui donne une impression de sécurité pour les personnes prises en charge dans le service. Le respect de l’intimité des patients est bien considéré.
Les familles regrettent par contre, même si l’approche systémique leur paraît pertinente, le manque de transparence dans les procédures mises en œuvre dans les entretiens. Leurs aspects importants dans les soins sont l’absence de jugement et de culpabilisation de la part des soignants, des informations données par des experts, des entretiens de famille réguliers comme setting thérapeutique. Elles demandent que l’on prenne en compte leurs particularités aussi bien émotionnelles que structurelles dans le cadre de la prise en charge systémique, et souhaitent qu’on leur explique les concepts et les objectifs des entretiens de famille. Elles proposent par ailleurs la mise sur pied d’un groupe de rencontre pour les familles animé par un soignant de l’URTD.
Elles souhaitent, par ailleurs, un délai d’attente d’hospitalisation plus court surtout pour les patients toxicomanes et une véritable continuité du réseau thérapeutique qui serait ainsi plus stabilisant pour leur proche.
Elles pensent aussi important qu’on leur laisse la possibilité de prendre du recul lors de l’hospitalisation de leur proche qui doit, quant à lui, assumer la responsabilité de ses actes et de sa dépendance. Les limites et règles sont considérées incontournables et rassurent les familles. Elles estimeraient judicieux que le service dispose d’un médecin et/ou d’un infirmier somaticien(s) de manière à pouvoir assurer une offre en soins globale.
Elles suggèrent que la réception dispose de moyens techniques propres à faciliter l’accueil et que la cafétéria offre des possibilités d’activités ludiques et conviviales. La cafétéria semble représenter un lieu important.
Synthèse des thèmes abordés par les patients
En ce qui concerne les patients interrogés, ils jugent très important que leur séjour à l’URTD soit l’occasion de chercher à rétablir des relations familiales satisfaisantes, et dans un contexte où ils se sentent protégés. Ils revendiquent, par contre, le droit de refuser un entretien de famille, tout comme un traitement médicamenteux.
Ils estiment indispensable le travail d’acceptation de la maladie de la dépendance et les limites imposées par un cadre strict, mais souhaiteraient que ne soient hospitalisés à l’URTD. que des patients compatibles en termes de pathologie psychiatrique. Ils attendent des soignants qu’ils manifestent de réelles compétences relationnelles et qu’ils soient des modèles auxquels ils peuvent s’identifier. Ils considèrent les activités physiques comme un pôle essentiel de soins, d’une importance primordiale pour leur équilibre psychologique.
Les personnes interviewées jugent les groupes «prévention de la rechute» et «coping-skills» très satisfaisants, mais regrettent la répétitivité des thèmes et l’hétérogénéité des groupes. La musicothérapie ne leur semble pas un groupe thérapeutique adéquat car trop anxiogène. Les activités physiques leur semblent prioritaires, et les prestations du programme sont insuffisantes à leurs yeux. Ils souhaitent la création d’un poste de moniteur d’activités physiques et avoir plus les moyens de s’aérer.
La relation entre référents et patients leur paraît primordiale. Aussi regrettent-ils les ruptures relationnelles dues sans doute à des compétences en termes de savoir-faire et de savoir-être qui restent à développer chez les soignants.
Les patients suggèrent la présence au sein de l’équipe de l’URTD. d’une personne dépendante stabilisée qui pourrait leur servir de modèle.
Le fumoir n’est pas assez contrôlé, le cadre et les limites dans le service doivent être plus stricts et contenants au niveau des envies de toxiques. Le service et ses installations de confort sont appréciés par l’ensemble des personnes interviewées.
Au niveau de l’architecture, une personne propose de modifier l’installation des chambres de sevrage, de manière qu’elles soient plus respectueuses de l’intimité des patients et plus accueillantes, propositions surprenantes car personne dans l’équipe de l’URTD n’avait pris conscience de ce besoin…
Nous avons cherché dans l’analyse thématique, à déterminer les aspects des soins importants aux yeux des bénéficiaires et de leurs proches, de même que leurs sources de satisfaction et d’insatisfaction lors de leur prise en charge à l’URTD., comme prévu dans la question initiale de notre recherche. Nous n’allons pas reprendre ici l’entier de nos résultats, mais uniquement ceux qui ouvrent à une réflexion plus globale sur les besoins de ces personnes.
Nous avons établi, dans l’analyse, combien il est satisfaisant pour les patients d’avoir pu rétablir ou améliorer leurs relations avec leurs proches. Ils témoignent combien ces changements ont modifié également leur estime d’eux-mêmes et leur trajectoire de vie.
Les familles, quant à elles, soulignent leurs progrès au niveau de la communication, qui devient moins symétrique. Le rapprochement entre proches reste le critère de satisfaction le plus évoqué dans les interviews de cette recherche. Le dialogue permet de poser des mots sur l’incompréhensible, et d’élaborer ensemble un sens commun à la famille des comportements addictifs. Les jeunes mères toxicomanes interrogées par Conners & Franklin (2000) considèrent que la thérapie familiale est un des aspects du programme du traitement. La prise en charge familiale à l’URTD n’est pas une thérapie au sens strict du terme, mais elle s’en rapproche. Ainsi, notre étude aussi bien que celle de Conners & Franklin montrent qu’un aspect des soins important aux yeux des patients et de leurs proches réside dans l’alliance thérapeutique établie avec la famille. Un des moyens d’intervention relevé par les familles est d’ailleurs leur participation aux prises de décisions concernant les traitements dispensés. L’étude de Wallace et al. (1999) va aussi dans ce sens: le partenariat entre soignants, familles et patients est mentionné par leurs interviewés comme un critère important pour la réussite du traitement. Les personnes interrogées dans le cadre de notre étude souhaiteraient plus de transparence dans les soins. Elles voudraient notamment être mieux informées à propos des stratégies de prise en charge familiale mises en œuvre à l’URTD. Il s’agit de pondérer la pertinence de cette demande. En effet, la thérapie familiale, entre autres, se dote de stratégies 4 communicationnelles qui pourraient perdre de leur efficacité quand elles sont explicitées avant d’être mises en pratique dans le setting familial. Le désir de la famille concernant l’explicitation des habiletés des thérapeutes ne pourrait-il pas, finalement, se montrer contre thérapeutique?
En ce qui concerne la transmission d’informations aux patients et à leurs proches, les personnes interviewées semblent attendre des professionnels qu’ils soient capables de communiquer leurs connaissances. Dans le même registre, Glass (1995) a démontré que la satisfaction des patients est directement liée à la capacité qu’ont les soignants d’expliquer leur traitement à des patients psychiatriques.
Mais, dans ce domaine, nous avons été particulièrement frappés par la remarque d’un patient: «Mon père a du mal à accepter mes rechutes», et par la réflexion de son père qui lui demandait de prendre la responsabilité de sa dépendance: «Je ne voulais pas qu’il se serve de ça [les entretiens de famille] pour excuser sa dépendance». Il apparaît, dans cette situation, que la satisfaction des familles, à l’égard des informations données, comprend deux facteurs essentiels: le désir des familles d’échanger des connaissances en rapport avec leurs représentations de la maladie et leur capacité d’accepter de changer ces représentations.
Si une personne concernée par un cas de dépendance considère la maladie comme un problème de «faiblesse de caractère» ou comme une habitude à paresser, les informations données par les soignants entrent en contradiction avec ces représentations. Le processus cognitif qui vise à modifier ces «théories subjectives» de la toxicomanie reste un processus long 5. Dans le cas particulier, ces représentations pourraient exercer une fonction de justification et donc de protection du père contre l’acceptation de la toxicomanie comme une maladie chronique et récidivante. Il apparaît donc difficile qu’il soit satisfait d’une information qui n’est pas celle qu’il veut ou peut recevoir, ou qui le mette en danger dans ses propres valeurs ou représentations mentales. Il se pourrait que ces représentations ou croyances soient partagées par d’autres familles concernées par la dépendance d’un des tiers. Le groupe de rencontre entre familles et soignants, proposé dans l’entretien, pourrait alors représenter un moyen de défense et/ou de soutien, face à des messages trop anxiogènes des soignants.
La satisfaction à l’égard des informations reçues dépendrait ainsi de la capacité des familles à accepter ou non les messages en rapport avec leur vécu. Il est important de reconnaître combien les soignants de l’unité doivent se montrer attentifs à la recevabilité de leurs informations et ont à développer des compétences particulières en ce sens 6. La capacité de recevoir ou non des informations de la part des patients, et peut-être même des parents, renvoie à la démarche que ces personnes doivent faire pour accepter la maladie. Les patients relèvent souvent dans les interviews le travail incessant que demande cette acceptation.Les résultats de West & Graham (1999) convergent avec cette observation puisqu’ils montrent, eux aussi, que l’acceptation de la dépendance comme maladie chronique est considérée comme une des clefs du programme de traitement pour les patients dépendants.
Les familles comme les patients dépendants à l’alcool ou aux toxiques demandent une gestion du cadre de soins avec des règles claires et des contrôles drastiques. Les interviewés les jugent au premier abord comme désagréables et choquants, mais les estiment finalement rassurants. Les études de Conners & Franklin (2000) et de Lovejoy et al. (1995), montrent, elles-aussi, que les patients toxicomanes en particulier, jugent essentielle la nature très structurée du programme.
L’étude de West & Graham (1999) paraît donner des résultats contradictoires dans la mesure où l’un des éléments clés du programme mentionné par les interviewés est sa flexibilité, mais il faut préciser que les personnes concernées étaient des adultes âgés.
Mon expérience clinique m’amène à penser que les patients dépendants demandent une cohérence explicitée, mais une certaine souplesse du cadre de soins et des règles institutionnelles. Dans le cas contraire, l’incompréhension provoque des sentiments d’injustice de la part des patients et même de leur famille, et génère des conflits fréquents avec les soignants, remettant en question les objectifs du traitement et les motivations des personnes en soins.
Il n’empêche que les résultats de cette étude devraient inviter l’équipe soignante à remettre en question certains aspects des prestations offertes dans le cadre du programme de traitement de l’URTD.
Un des objectifs de cette étude était de poser les fondements de l’élaboration de questionnaires de satisfaction destinés aux patients et à leur famille. Au terme de notre analyse, voici donc les dimensions qui nous paraîtraient importantes à prendre en compte du point de vue des patients et de leurs proches.
Satisfaction des familles
Les dimensions qui seraient à prendre en compte pour évaluer la satisfaction des familles à l’égard des soins dispensés dans un service comme l’URTD seront énoncées en fonction des thèmes de l’analyse:
Les procédures mises en pratique par l’équipe de soins
Prise en charge familiale
Compétences des soignants
Cadre de prise en charge
Résultats escomptés
Satisfaction des patients
Les dimensions qui nous paraissent pertinentes pour évaluer la satisfaction des patients à l’égard des soins dispensés à l’URTD seront énoncées en fonction des thèmes de l’analyse:
Les groupes thérapeutiques
Procédures mises en œuvre par l’équipe de soins
Résultats escomptés
Satisfaction des relations entre soignants et soignés
Procédures mises en œuvre par l’équipe de soins
Résultats escomptés
Les traitements et les protocoles de sevrage
Procédures mises en œuvre par l’équipe de soins
Résultats escomptés
Approche systémique
Procédures mises en œuvre par l’équipe de soins
Les critères des patients sont identiques à ceux énoncés par les familles.
Résultats escomptés
Confort et hôtellerie
Au terme de cette étude, malgré notre satisfaction quant à ses résultats et à son processus, nous éprouvons quelques doutes concernant sa validité.
Les enquêtes de satisfaction menées au moyen d’instruments de mesure standardisés et validés ont pour inconvénients majeurs que les niveaux de satisfaction exprimés sont généralement et de façon constante élevés, quel que soit l’instrument utilisé (Elbeck & Fecteau, 1990), et que les répondants se montrent souvent beaucoup plus critiques dans le cadre d’une approche qualitative. C’est l’impression que nous avons eue au cours des entretiens menés dans le cadre de cette étude. En effet, les interviewés ont exprimé avec beaucoup de force, quoique toujours avec tact et bienveillance, les critiques qu’ils avaient à formuler à l’égard de l’URTD. Les faits satisfaisants en revanche ont été évoqués de manière beaucoup plus discrète, un peu comme s’ils allaient de soi. Nous pouvons nous demander si nous ne nous trouvons pas là confrontés à un biais inverse, à savoir une hypertrophie des facteurs d’insatisfaction aux dépens des sources de satisfaction.
Une autre difficulté de cette étude réside dans les limites de l’évaluation de la qualité des soins par les bénéficiaires. Qu’il s’agisse de soins somatiques ou psychiatriques, les patients et leur famille ne peuvent légitimement se prononcer que sur certains aspects des soins. Ils ne peuvent en juger les caractéristiques techniques ou nécessitant un savoir spécialisé, comme par exemple en psychiatrie, les stratégies d’alliances du thérapeute visant à rééquilibrer le jeu des forces relationnelles dans le système familial, le recadrage d’un patient intolérant aux limites, la limitation du milieu de vie d’un patient déniant sa décompensation maniaque, … Les composantes de ces stratégies sont les outils du soignant ou du thérapeute et peuvent difficilement faire l’objet d’une évaluation par des non-professionnels. Pour avoir une vision plus globale de la qualité des soins dispensés à l’URTD., il s’agirait donc de compléter le point de vue des patients et de leur famille par une investigation du point de vue des professionnels.
Par ailleurs, patients et familles ne sont pas les seuls bénéficiaires d’une cure de désintoxication suivie à l’URTD. Employeurs, assureurs et voisinage des patients sont aussi concernés. Il serait donc judicieux de se donner les moyens d’explorer aussi leurs appréciations à l’égard de l’URTD. Ceci pourrait faire l’objet d’études ultérieures.
Quels que soient les biais de cette recherche, ses résultats sont similaires à ceux des rares études nord-américaines qui ont exploré la satisfaction des patients à l’égard de programmes de traitement de la dépendance par une approche qualitative, et ceci malgré les différences de culture et de système de santé. Ce constat tendrait à démontrer une certaine validité de nos résultats. Le matériau recueilli, particulièrement riche en contenu, montre à quel point les personnes interrogées se sont senties concernées par cette étude et nous a permis de mettre au jour des critères très précis qui mériteraient d’être pris en compte lors de l’élaboration de questionnaires de satisfaction destinés aux patients et à leur famille.
Comme nous l’avons évoqué dans l’introduction, on a longtemps mis en doute la capacité des patients psychiatriques à juger adéquatement de la qualité des soins qui leur sont donnés, du fait de leurs difficultés relationnelles. La pertinence des propos tenus lors des entretiens, eu égard à mon expérience de soins dispensés à l’URTD, m’incite à battre en brèche cette réticence.