décembre 2016
Michela Canevascini, Claudia Véron, Karin Zürcher et Myriam Pasche (CIPRET-VAUD)
Afin de mieux clarifier ce débat nous avons choisi de nous intéresser aux publicités et aux promotions des cigarettes électroniques dans le contexte suisse romand afin d’explorer cette problématique et d’enrichir le débat à l’aide d’éléments issus du terrain.
Au niveau législatif, la commercialisation des cigarettes électroniques avec nicotine est interdite en Suisse. Les cigarettes électroniques sans nicotine ont le statut juridique de « produits usuels » et sont soumises à la Loi sur les denrées alimentaires (LDAI) 1. Les publicités sont ainsi autorisées et seule la tromperie concernant la présentation et l’emballage du produit est interdite (Art. 18.2). Le projet de Loi sur les produits du tabac (LPTab) actuellement en préparation propose d’assimiler la cigarette électronique contenant de la nicotine aux produits du tabac 2. Les publicités pour les cigarettes électroniques avec nicotine seraient ainsi soumises aux interdictions prévues pour les cigarettes classiques. Aucune mesure n’est pour l’instant envisagée pour réglementer les cigarettes électroniques sans nicotine. Il est fort probable que celles-ci soient également soumises aux mêmes réglementations que les cigarettes électroniques avec nicotine. L’entrée en vigueur de la LPTab devrait se faire en 2019.
La nouvelle directive européenne sur les produits du tabac (TPD), approuvée en mai 2014, laisse la liberté aux pays de classer les cigarettes électroniques soit comme des produits pharmaceutiques, soit comme des produits du tabac. Dans l’attente de sa mise en vigueur (prévue pour mai 2016), plusieurs pays ont émis des directives temporaires régulant la publicité pour les cigarettes électroniques.
En France, une circulaire de septembre 2014 3 précise que les publicités pour les cigarettes électroniques sont interdites si une référence au tabac est faite (cigarettes ayant la forme d’une cigarette classique, liquide ou recharge au goût de tabac ou encore slogan, logo ou dénomination faisant référence au tabac ou au fait de fumer), en raison de l’interdiction de la publicité indirecte pour les produits du tabac. De même, toute référence au sevrage tabagique est interdite car elle tomberait sous le coup de la loi interdisant la publicité pour les médicaments (voir aussi l’article page 15). Au Royaume Uni, les publicités pour les cigarettes électroniques adressées aux jeunes ou mettant en scène des jeunes en dessous de 25 ans sont interdites 4.
Entre mai 2013 et juin 2014, l’étude Observatoire des stratégies marketing pour les produits du tabac 5, réalisée par le CIPRET-Vaud en collaboration avec Addiction Suisse et le CIPRET Fribourg, s’est intéressée à toute forme de publicité, de promotion et de parrainage en faveur du tabac. Dans le cadre de cette recherche, la publicité et la promotion des cigarettes électroniques ont été étudiées de manière exploratoire afin de documenter les stratégies marketing utilisées pour promouvoir de tels produits dans un marché en développement. L’étude a plus particulièrement porté sur les points de vente de cigarettes électroniques à Lausanne ainsi que sur les sites internet proposant ces produits. L’objectif était également d’étudier les similitudes et les différences entre la publicité pour les cigarettes électroniques et celle pour les produits du tabac.
En avril 2014, 48 points de vente de cigarettes électroniques ont été observés dans le centre-ville de Lausanne (20 kiosques, 18 pharmacies, 4 magasins spécialisés dans les cigarettes électroniques, 2 magasins spécialisés dans les produits du tabac et 4 autres types de magasins). Une grille d’observation a été conçue afin de récolter des données sur la présence de publicité et promotion de cigarettes électroniques dans ces points de vente. De plus, à partir d’une recherche par mot-clé « cigarette électronique suisse » sur le moteur de recherche google.ch, les premiers 20 sites internet de vente de cigarettes électroniques ont été observés et analysés à l’aide d’une grille de recherche entre avril et mai 2014 6.
Points de vente
Les types de points de vente qui proposent les cigarettes électroniques donnent une indication sur la manière dont ce produit est présenté et rendu disponible aux potentiels consommateurs. Parmi les 48 points de vente visités, 20 étaient des kiosques, dans lesquels les cigarettes électroniques étaient souvent exposées près des friandises (n=12) et des cigarettes classiques (n=7), et 18 des pharmacies, dans lesquelles les cigarettes électroniques se trouvaient au contraire près des médicaments (n=7).
37.5% (n=18) des points de vente observés affichaient de la publicité pour les cigarettes électroniques à l’intérieur et/ou à l’extérieur du point de vente. De la publicité était présente dans trois des quatre points de vente spécialisés dans la cigarette électronique, dans la moitié des kiosques observés (n=10) et dans seulement deux pharmacies. Les supports publicitaires étaient principalement des affiches, des présentoirs ou des autocollants.
Les messages publicitaires autour de la cigarette électronique étaient véhiculés au travers des supports publicitaires, ainsi que par le biais du packaging des cigarettes électroniques et du nom du produit lui-même. Une image de cigarette électronique illustrait près d’un tiers des éléments publicitaires et promotionnels observés (29.5% ; n=13). Certains slogans publicitaires ou noms de marques de cigarettes électroniques mettaient en avant des avantages, parfois présumés, de la cigarette électronique par rapport à la cigarette classique. Le fait de pouvoir vapoter partout était notamment mis en avant, par exemple avec le slogan « Anywhere, Anytime » (« partout, à tout moment »). La thématique de la santé, ainsi que la qualité du produit se retrouvaient également dans les messages publicitaires. Certains slogans évoquaient également les potentielles économies faites en utilisant la cigarette électronique par rapport à la consommation des cigarettes classiques. Certains noms de marques faisaient référence à la sûreté du produit, comme « Playsure » (« jouer sûr ») ou encore « smoke quality » (« fumer qualité »). D’autres marques présentaient la cigarette électronique comme un moyen d’arrêter de fumer, comme « Break-cig » ou « no smokin » par exemple. Certains messages publicitaires mettaient en avant la cigarette électronique comme un objet « glamour ». Enfin, les observations ont montré que certains packagings imitaient les paquets de cigarettes classiques.
Sites internet de vente
Sur les 20 sites de vente en ligne observés (dont 19 avaient un nom de domaine en .ch), 7 proposaient directement l’achat de liquides avec nicotine (procédé autorisé à condition que le siège légal de l’entreprise ne soit pas basé en Suisse).
Différents arguments de vente étaient avancés sur les sites de vente en ligne. Les avantages de la cigarette électronique par rapport à la cigarette classique étaient surtout mis en avant (absence de fumée passive, possibilité de consommer partout, etc.) (n=15). Certains sites internet mettaient également en avant la qualité du produit (n=4) et faisaient référence à des études ou avis d’experts sur la cigarette électronique (n=4). Par ailleurs, les observations ont montré que certains sites internet utilisaient les logos ou référentiels associés aux grandes marques de tabac pour faire la promotion de leurs produits.
Le contenu des publicités pour les cigarettes électroniques observées joue avec les différences et les similitudes par rapport à la cigarette classique. Si, d’une part, les avantages présumés de la cigarette électronique par rapport à la cigarette classique sont soulignés (toxicité moindre, possibilité de fumer dans les endroits où la cigarette classique est interdite, plus large variété d’arômes et coûts inférieurs), les publicités pour les cigarettes électroniques s’appuient également, et paradoxalement, sur les références propres à la cigarette classique. Parmi les arômes de cigarettes électroniques les plus appréciés, se trouve par exemple celui au goût « tabac ».
De plus, l’apparence des cigarettes électroniques et le packaging sont parfois quasiment identiques à ceux de la cigarette classique. La publicité pour les cigarettes électroniques vient en outre défier les règles de protection contre le tabagisme passif en vigueur.
Le marché suisse se caractérise pour l’instant par la présence de petites entreprises de cigarettes électroniques, les multinationales de tabac attendant probablement la libéralisation de la vente de cigarettes électroniques avec nicotine pour investir le marché suisse (étant déjà présentes dans les autres pays européens). Cette situation explique probablement l’hétérogénéité des stratégies promotionnelles qui ont été observées. Les petites entreprises essaient, par ce jeu entre similitudes et différences, de profiter des référentiels propres aux cigarettes classiques afin d’attirer les fumeurs en mettant en avant les avantages financiers et les bénéfices pour la santé, tout en tâchant d’en faire une nouvelle tendance qui peut attirer également de nouveaux consommateurs.
La stratégie des multinationales de tabac vis-à-vis des cigarettes électroniques est différente. L’investissement dans ce nouveau marché constitue une occasion en or pour ces entreprises afin de redorer leur image qui a fortement souffert des scandales qui ont mis en évidence les pratiques douteuses de cette industrie 7. En mettant en avant le développement de produits « à risque réduit » (dont font partie les cigarettes électroniques), les industries entendent se présenter comme des entreprises socialement responsables, et gagner ainsi la confiance de l’opinion publique et des politiciens 8.
Compte tenu des similitudes entre ces produits, les publicités pour les cigarettes électroniques pourraient avoir un impact au niveau de la consommation de cigarettes classiques. Une étude a en effet révélé que les publicités montrant des cigarettes électroniques ou des personnes en train de vapoter donneraient envie de fumer aux fumeurs réguliers 9. Les publicités pour les cigarettes électroniques pourraient ainsi stimuler l’envie de fumer, au même titre que les publicités pour les cigarettes classiques.
Au-delà des adultes fumeurs, la cigarette électronique et ses produits attireraient un public jeune. La variété des arômes (barbe à papa, chocolat, fruits, boissons énergétiques, etc.), les modèles au design attractif, les chichas électroniques ou encore les publicités présentant la cigarette électronique comme un objet de séduction semblent plus particulièrement viser les jeunes.
A l’heure actuelle, le projet de loi sur les produits du tabac (LPTab) prévoit d’assimiler les cigarettes électroniques aux cigarettes classiques. La publicité pour les cigarettes électroniques serait alors réglementée comme celle pour les cigarettes classiques (interdiction de la publicité spécifiquement destinée aux mineurs, à la radio, à la télévision, dans les espaces publics, dans la presse, sur internet, etc.). Dans le cas où un statut juridique spécifique serait accordé aux cigarettes électroniques, la publicité pour ces produits serait alors réglementée de manière particulière, probablement moins restrictive. Finalement, si les cigarettes électroniques étaient considérées comme des produits pharmaceutiques, la publicité serait interdite pour les produits soumis à ordonnance médicale et admise pour les produits non soumis.
Pour plus d’informations sur l’Observatoire des stratégies marketing pour les produits du tabac vous pouvez consulter la page http://www.observatoire-marketing-tabac.ch/ où vous trouvez une brochure et une vidéo résumant les résultats de l’étude.