décembre 2016
Hervé Kuendig (GREA) et Luca Notari (Addiction Suisse, Lausanne)
Le Monitorage suisse des addictions, ou plus précisément la partie modulaire de l’enquête CoRolAR dédiée aux thématiques en lien au tabagisme, documente depuis peu l’usage de la cigarette électronique – ou e-cigarette – dans la population générale. Les premières données nationales disponibles concernant l’e-cigarette datent de 2013. 1 Les données les plus récentes ont quant à elles été récoltées à cheval sur les années 2014 et 2015. 2 L’état des lieux épidémiologique que nous proposons ici se fonde sur les données extraites de ces deux vagues d’enquêtes. Environ 5’000 personnes âgées de 15 ans et plus ont pris part à chacune des deux vagues d’enquêtes en question. Un tel nombre de répondant·e·s assure un haut niveau de fiabilité pour les estimations au niveau de la population générale. Toutefois, certains des résultats présentés doivent être interprétés avec précaution de par le relativement faible nombre de répondant·e·s dans plusieurs sous-groupes de population. De plus amples informations sur la méthodologie employée dans le cadre de l’enquête CoRolAR sont disponibles dans les rapports dédiés 3 4 ou sur le site du Monitorage (http://www. monitorage-addictions.ch/).
Selon les derniers chiffres disponibles (2014/2015), 14% de la population âgée de 15 ans et plus a « expérimenté » la cigarette électronique ; ce chiffre incluant les utilisateurs réguliers (Figure 1). Cette même proportion atteignait 6.7% en 2013, année durant laquelle le phénomène « e-cigarette » était en pleine expansion en Suisse. Quant à l’usage au cours des 30 derniers jours, il concernait 1.9% de la population en 2014/2015, contre 1.1% en 2013.
En 2014/2015, comme déjà en 2013, l’usage ou la simple expérimentation de la cigarette électronique touchait en priorité les fumeurs et fumeuses de tabac : 45.1% des fumeurs quotidiens et 28.3% des fumeurs occasionnels disaient avoir essayé au moins une fois la cigarette électronique.
Ils étaient respectivement 6.5% (fumeurs quotidiens) et 5.2% (fumeurs occasionnels) à rapporter avoir vapoté au cours des 30 derniers jours. Alors qu’en 2013 la prévalence d’usage d’e-cigarette durant les 30 derniers jours dépassait déjà les 5% parmi les fumeurs quotidiens, cette proportion n’atteignait que 1.5% chez les fumeurs occasionnels. Ainsi, en comparaison aux fumeurs quotidiens, les fumeurs occasionnels ont comblé en peu de temps une part importante de leur retard tant en terme d’initiation que d’usage dans les 30 derniers jours. De plus, alors qu’en 2013 l’usage ou initiation d’e-cigarettes concernait typiquement les fumeurs et fumeuses, les données récoltées en 2014/2015 montrent qu’une part non négligeable des non-fumeurs – ex-fumeurs ou jamais fumeurs – a également déjà fait usage d’une e-cigarette : environ un ex-fumeur sur dix et une personne sur vingt n’ayant jamais été fumeuse de tabac (à vie) rapportaient en avoir déjà essayé une. Néanmoins, seule une très faible part de ces non-fumeurs – entre 0.5% et 1.1% – rapportaient un usage au cours des 30 derniers jours.
Dans une perspective inverse, les données collectées montrent que les utilisateurs réguliers de cigarettes électroniques sont principalement des personnes qui fument du tabac quotidiennement. Plus de la moitié (53%) des utilisateurs d’e-cigarettes au cours des 30 derniers jours rapportaient une consommation quotidienne de tabac. La part de fumeurs quotidiens de tabac atteignait même 71% parmi les répondant·e·s rapportant faire usage au moins une fois par semaine d’une e-cigarette.
Cependant, le nombre de répondant·e·s qui fument quotidiennement et qui font usage au moins hebdomadairement de cigarettes électroniques est trop faible pour tirer des conclusions quant à l’effet de l’usage régulier de la cigarette électronique – ou de la consommation duale – sur le niveau de consommation de tabac des fumeurs.
C’est tout particulièrement chez les 15-19 ans et 20-24 ans, ainsi qu’en région romande (20.7%), que l’expérimentation de l’e-cigarette était la plus répandue en 2014/2015 (Figure 2). La part d’utilisateurs dans les 30 derniers jours apparaît quant à elle sensiblement plus élevée chez les 15-19 ans (4.7%) et en Suisse romande (3.9%) que dans les autres sous-groupes de population. Aussi, le fait d’avoir « fait l’expérience » de la cigarette électronique est sensiblement plus fréquent chez les personnes en formation (30.2%), ce qui peut être perçu comme peu surprenant au vu des données en lien la distribution de l’usage d’e-cigarettes en fonction de l’âge, et chez les personnes sans emploi (29.7%).
En s’intéressant plus particulièrement à la fréquence de l’usage des cigarettes électroniques (Figure 3), il est estimé qu’au total 0.3% de la population vapote quotidiennement (0.1% en 2013). Au total, moins d’un pourcent de la population vapote hebdomadairement (0.7% ; contre 0.4% en 2013).
Les fumeurs quotidiens de tabac sont clairement parmi les utilisateurs les plus réguliers puisque 1.1% d’entre eux/ elles disent vapoter tous les jours. Il est également à souligner que les pics de parts d’utilisateurs « plus qu’hebdomadaires » sont observés chez les 25-34 ans (1.1%) et 35-44 ans (1%) ainsi qu’en Suisse romande et en Suisse italienne (1.3% dans chacune des deux régions linguistiques).
Nous notons que les variations observées entre groupes d’âge sont en décalage par rapport à celles observées concernant l’expérimentation et/ou de l’usage au cours des 30 derniers jours. Pour rappel, les moins de 25 ans étaient les personnes les plus fortement concernées par l’expérimentation et/ou de l’usage au cours des 30 derniers jours.
En privilégiant, vu le faible nombre de répondant·e·s aux questions concernées, une perspective de type « étude de cas » (et donc en considérant les données « non ajustées » à la structure réelle de la population), le nombre de répondant·e·s disant en 2014/2015 faire usage ou avoir fait usage de liquides contenant de la nicotine (62) était sensiblement inférieur au nombre de répondant·e·s rapportant ne jamais avoir fait usage de liquides avec nicotine (79 ; 9 répondant·e·s ne sachant pas quel type de liquide était ou avait été utilisé). L’usage de liquide avec nicotine dépassait celui de liquides sans nicotine dans les groupes d’âge entre 35 et 65 ans (au total 38 vs. 26) et chez les fumeurs quotidiens de tabac (52 vs. 46).
En suivant également une perspective « étude de cas », les raisons énoncées le plus fréquemment pour l’usage de la cigarette électronique par les personnes ayant vapoté au cours des 30 derniers jours (103 répondant·e·s ; données non pondérées ; réponses multiples possibles) étaient « pour réduire ma consommation dans la perspective d’une tentative d’arrêt » (cité 37 fois), « pour ne plus fumer / pour éviter de recommencer à fumer » (30), « pour réduire ma consommation de tabac SANS avoir l’intention d’arrêter de fumer » (29), « parce que j’aime ça » (29), « pour essayer » (29) et « pour faire face à mon besoin de tabac » (28).
Alors qu’en 2013 environ une personne sur quinze (6.7%) avait déjà « expérimenté » la cigarette électronique, cette proportion n’avait pas moins que doublé (une personne sur sept ; 14%) sur la base des données épidémiologiques les plus récentes collectées entre juillet 2014 et juin 2015. Cette augmentation, à première vue importante, reflète toutefois plus ou moins simplement l’évolution d’un phénomène émergent, n’ayant probablement pas encore atteint son pic épidémique. Aussi, bien qu’une tendance identique observable concernant la part d’usage « actifs » de cigarettes électroniques au cours des 30 derniers jours (pour rappel, passage de 1.1% en 2013 à 1.9% en 2014/2015), il est presque surprenant que la proportion de population pouvant éventuellement être qualifiée de « vapoteuse » – après exclusion des personnes qui ont simplement essayé la cigarette électronique sur ce laps de temps – demeure au final aussi restreinte : au maximum 0.7%, en considérant la part des personnes rapportant un usage au moins hebdomadaire au cours des 30 derniers jours. Il est toutefois aussi important de souligner qu’en Suisse du moins, alors que l’usage répété voir régulier de la cigarette électronique apparaît prioritairement comme un phénomène de fumeur de tabac (avec plus de 70% de fumeurs quotidiens parmi les personnes vapotant au moins hebdomadairement), environ une personne qui n’a jamais été fumeuse sur vingt, respectivement un·e ex-fumeur·se sur dix, a déjà tenté l’expérience de la cigarette électronique.
Un autre point à relever est qu’alors que la perspective de l’usage à vie (y inclus au cours des 30 derniers jours) apparaît sensiblement plus commune dans les groupes d’âge les plus jeunes (p.ex. plus d’un tiers des personnes de moins de 25 ans ont déjà essayé la cigarette électronique), ce sont très clairement les personnes entre 25 et 64 ans qui présentent les plus fortes proportions d’utilisateurs quotidiens d’e-cigarette. Finalement, dernier point clé à souligner, le fait que la consommation de liquide pour e-cigarette contenant de la nicotine soit régulièrement mentionné (notamment par les utilisateurs réguliers) peut être vu comme un aveu de la caducité des bases légales interdisant la distribution de tels liquides en Suisse et donc la pertinence d’inclure l’e-cigarette dans le processus actuel d’élaboration de la Loi sur les produits du tabac.
Comme pour toute enquête épidémiologique par téléphone, des biais de réponses sont possibles et d’importantes marges d’erreur peuvent exister pour les estimations basées sur un nombre restreint de répondant·e·s (p.ex. lorsque des petits sous-groupes de population ou des conditions spécifiques sont considérés). Des différences peuvent apparaître entre les chiffres présentés dans les différentes figures de par des effets d’arrondis.
Le Monitorage suisse des addictions est un projet mandaté et financé par l’Office fédéral de la santé publique, avec le soutien du Fonds de prévention du tabagisme.