décembre 2017
Nessim Ben Salah (Régie fédérale des alcools)
Si, d’un point de vue chimique, l’alcool est le même quelle que soit la boisson, il existe en Suisse des cadres légaux différents régissant chacun des trois types de boissons alcooliques : la bière (cidre, boissons mélangées, etc.), les vins et les spiritueux. Loin d’être anecdotique, cet état de fait structure en partie le marché de l’alcool, ainsi que la représentation qu’en ont ses acteurs. Ces cadres légaux influencent aussi la répartition des tâches en matière de prévention au niveau fédéral. Ainsi, pour comprendre le marché et sa structure, il faut séparer les trois types de boissons alcooliques.
Pour comprendre le marché de l’alcool en Suisse, il faut tout d’abord s’intéresser à la consommation de cette substance. La Régie fédérale des alcools publie chaque année des chiffres sur ce sujet. Pour l’année 2016, la consommation globale d’alcool pur par habitant était de 7,9 litres. Depuis désormais 20 ans, on constate une légère baisse de cette consommation (de 9,2 litres en 1997 à 7,9 litres en 2016). En termes d’alcool pur, les habitants de ce pays consomment plus de vin (3,7 litres d’alcool pur, soit 33,8 litres effectifs de vin) que de bière (2,7 litres d’alcool pur, soit 54,9 litres effectifs de bière). Les spiritueux viennent ensuite, puisque ce sont 1 litre d’alcool pur, soit en moyenne 3,6 litres effectifs de spiritueux, qui sont consommés annuellement par habitant 1.
S’agissant de la provenance, on constate de grandes différences selon le type d’alcool auquel on s’intéresse. Pour la bière, un quart des produits consommés environ provient de l’étranger, alors que, pour le vin et les spiritueux, les importations dominent largement le marché. En effet, près des deux tiers du vin consommé en Suisse vient de l’étranger, tandis qu’environ 80% des spiritueux consommés en Suisse sont importés.
Le marché de la bière en Suisse a connu d’importantes transformations ces dernières années, avec l’avènement des microbrasseries depuis le début du XXIème siècle. Un chiffre illustre parfaitement ce développement : en 1996, 32 brasseries étaient recensées en Suisse contre 753 20 ans plus tard !
Ces nouvelles brasseries se démarquent en particulier avec leurs gammes de bières spéciales, de haute fermentation, de type ale ou stout, saisonnières ou encore des bières aromatisées ou contenant un volume d’alcool plus élevé que la classique lager. Cependant, malgré l’avènement des microbrasseries, le marché est encore largement dominé par quelques brasseries de grande taille. Ainsi, les vingt plus grandes brasseries de Suisse concentrent environ 98% de la production indigène ! Si l’on ne considère que les cinq plus grandes, celles-ci occupent 88,5% du marché indigène (statistique 2015). Dans le même ordre d’idées, seules environ quarante brasseries produisent plus de 1000 hectolitres par an.
Si le nombre de brasserie produisant de la bière a augmenté de manière exponentielle ces dernières années en Suisse, qu’en est-il de la consommation ? Au vu de la stagnation générale de la consommation d’alcool par habitant en Suisse depuis plusieurs années, ce n’est pas une surprise de constater que la consommation de bière n’a pas suivi la même courbe de croissance que le nombre de brasseries. Cette consommation est un peu plus élevée qu’au début des années 2000 (4587 hl en 2015 contre 4117 en 2000), mais elle a légèrement fléchi si l’on se réfère à l’année 1990 (4738 hl). Il s’agit de la consommation totale de bière en Suisse, sans compter les boissons mélangées comme la bière-limonade 2.
En Suisse, 253 millions de litres de vin ont été consommés en 2016 (-3,8% par rapport à 2015), soit 2,76 millions de moins que l’année précédente. La consommation de vins suisses a, quant à elle, diminué de 9,6 millions de litres entre 2015 et 2016 pour s’établir à 89 millions de litres. Sur 185 millions de litres de vins importés, 164 millions ont été consommés en 2016. La part de marché des vins suisses a ainsi chuté au fil des ans pour atteindre 35%.
Le marché des spiritueux est structuré de manière particulière, puisqu’il est très largement dominé par les importations (environ 80%). En 2016, en Suisse, des concessions ont été délivrées pour la production indigène de spiritueux à 191 producteurs professionnels, à 337 distillateurs à façon et à 7 270 agriculteurs, qui peuvent produire eux-mêmes des spiritueux. Les autres agriculteurs enregistrés, ils sont 40 850 recensés (incluant aussi ceux qui disposent d’une concession de distillation), se contentent de faire distiller une partie de leur récolte chez un distillateur à façon.
La consommation de spiritueux en Suisse s’élève en 2016 à 122 890 hectolitres d’alcool pur. Comme nous l’avons mentionné, plus de 80% de cette consommation provient des importations. En premier lieu de whisky (17 966 hl d’alcool pur), suivi par les divers apéritifs et bitters (15 401 hl), puis par la vodka (13 796 hl) et le rhum (7 254 hl). Le total des importations est légèrement plus élevé que les deux années précédentes. En effet, après avoir enregistré une baisse en 2015, les importations ont augmenté à nouveau de 4% en 2016 pour atteindre 85 970 hectolitres d’alcool pur. Quant aux exportations de boissons spiritueuses, celles-ci ont progressé de 5%en 2016. Elles n’ont cessé de croître ces huit dernières années avec un bond particulièrement spectaculaire pour celles de kirsch suisse (+ 65%)
Qu’en est-il de la vente ? Dans le cadre de la révision totale de la loi sur l’alcool (2008-2015), la RFA a tenté de répertorier le nombre de points de vente d’alcool, tous types confondus, sur le territoire suisse. En 2011, nous obtenions une estimation d’environ 40’000 points de vente et l’on peut raisonnablement penser que la situation n’a que peu évolué depuis. Cette estimation est bien sûr sujette à des fluctuations saisonnières importantes, puisque de nombreux points de vente temporaires ouvrent dès le printemps à l’occasion des kermesses, des fêtes communales, des festivals ou d’autres manifestations qui se déroulent à la belle saison.
L’organisation faîtière Gastrosuisse compte à elle seule 24’000 membres, mais tous ne distribuent pas de l’alcool. Si l’on y ajoute la grande distribution, les épiceries et autres kiosques, ainsi que les points de vente temporaires, on comprendra aisément que la Suisse regorge de possibilités de se procurer de l’alcool.
Comme toute corporation, les producteurs d’alcool sont structurés en organisations faîtières représentant leurs intérêts. En résonance avec les cadres légaux différents, on retrouve des organisations défendant les intérêts des producteurs de bière, d’autres pour les producteurs de vin et d’autres encore pour les producteurs et importateurs de spiritueux.
La corporation des brasseurs est représentée par plusieurs groupes, dont l’Association suisse des brasseries (www.bier.ch). Cette association regroupe 17 brasseries produisant un volume annuel minimal de 2000 hl. Toute brasserie ou groupement de brasseries de Suisse, qui produit au minimum un tel volume de bière peut adhérer à l’Association.
Les métiers du vin sont représentés quant à eux par un plus grand nombre d’associations. Nous ne les citerons pas toutes, sachant que nombre d’entre elles sont cantonales. On y trouve notamment la Fédération suisse des vignerons (www.swissfinewine.ch), l’Interprofession de la vigne et des vins suisses (www.swisswine.ch) et Swiss Wine Promotion, qui y est liée. Chacun de ces groupes a un domaine de compétence particulier : par exemple, la dernière citée est chargée de la promotion des vins suisses en termes d’image, tandis que la Fédération suisse des vignerons a pour mission d’entretenir des contacts étroits avec ses partenaires économiques et les autorités politiques. L’Interprofession met, quant à elle, l’accent sur la promotion du vin suisse, la défense de la consommation de vin suisse et de vin en général.
L’organisation principale représentant les intérêts des producteurs et commerçants de spiritueux est Spiritsuisse (www.spiritsuisse.ch). Cette organisation regroupe les plus grands producteurs et importateurs de spiritueux en Suisse, comme Diageo, Pernod Ricard, Appenzeller ou encore Lateltin. L’entreprise Diwisa (www.diwisa.ch), autre acteur de poids sur le marché des spiritueux suisse, ne fait quant à elle pas partie de l’organisation Spiritsuisse.
La faîtière a pour but non seulement de défendre les intérêts de ses membres au plan politique, mais également de proposer une bonne formation au personnel de vente et de promouvoir la consommation de spiritueux de qualité.
Nous terminerons cet article par quelques informations concernant le marketing, même si cette étape précède traditionnellement la consommation. Les chiffres concernant les dépenses en marketing ne sont généralement que peu disponibles. Cependant, l’on peut s’intéresser à quelques chiffres : selon une étude de 2011 réalisée par Addiction Suisse, dans le cadre du Alcohol marketing monitoring in Europe 3, ce sont plus de 2 millions de francs suisses par mois qui sont dépensés en moyenne pour la publicité pour l’alcool, avec de fortes variations selon les mois de l’année. Selon les résultats de cette étude, les dépenses concernant la publicité pour les spiritueux sont nettement moindres que les dépenses pour les autres types de boissons (pour le vin en particulier). Cela peut s’expliquer par un cadre légal beaucoup plus clair et restrictif concernant les boissons distillées, sans pour autant être prohibitif. Les projets de publicités pour les spiritueux sont contrôlés et validés chaque semaine par un service spécifique de la Régie fédérale des alcools. En 2018, plus de 1800 projets ont été contrôlés, corrigés, et validés. On le comprend donc, des dispositions légales claires et appliquées avec rigueur permettent de réduire les dépenses de marketing, auquel les mineurs sont particulièrement sensibles.