mars 2016
Lydia Schneider Hausser (Grand Conseil Genève)
En Suisse, le travail du sexe est reconnu comme une activité légale pour les personnes majeures. A l’instar de Genève, plusieurs cantons ont édicté leur loi afin de définir et réglementer la prostitution. A Genève, la réduction des risques en matière de drogues est apparue assez rapidement dans le dispositif socio-sanitaire (distribution de seringues en 1991, lieu d’injection en 2001). De ce fait le concept d’ « outreach » (aller vers, faire avec des populations cibles) incluant prostitution et drogues s’est construit depuis longtemps.
Si une collaboration est à l’œuvre entre les entités travaillant dans le domaine des drogues et de la prostitution, le champ des addictions liées au domaine du travail du sexe est néanmoins à appréhender d’une manière plus globale.
Trois associations sont directement en lien avec le travail du sexe. Aspasie défend, dans une attitude de non jugement, les droits des personnes qui exercent le travail du sexe. SOS Femmes offre une (ré)insertion sociale et professionnelle aux travailleuses-eurs du sexe désirant quitter cette profession. De cet environnement est issu Bus Boulevards, créé en 1996 dans le contexte de l’arrivée du VIH-SIDA. Géré conjointement entre Aspasie et le Groupe Sida Genève (relayé ensuite par Première Ligne, structure de réduction des risques), son but était d’offrir une présence sur une des places importantes où se pratiquait la prostitution de rue de personnes toxico-dépendantes. L’association Bus Boulevards est toujours active sur le boulevard Helvétique où elle offre un accueil de nuit aux travailleuses-eurs du sexe. Le projet Don Juan, action de réduction des risques destinée aux clients (1996 à 2009), relève tout particulièrement la collaboration entre Première Ligne, Aspasie et Boulevards. Le Syndicat des travailleurs-euses du sexe, créé ces dernières années (2012) constitue un acteur central des mobilisations collectives pour la défense des droits de ces personnes.
Des collaborations se réalisent régulièrement entre ces associations et le réseau médico-social lié aux addictions. Le processus d’ « outreach » dans le domaine des drogues et de la prostitution pourrait donc être considéré comme intégré.
Mais la problématique drogue n’est souvent pas l’unique centre du sujet sur les addictions dans le champ prostitutionnel. Le champ des drogues est lui-même englobé dans un faisceau beaucoup plus large des addictions comportementales qui réveillent des notions de parcours personnels et familiaux, des environnements professionnels particuliers, de la souffrance, de la perte d’autonomie. Vu sous cet angle, « l’aller vers » dans le domaine du travail du sexe est dès lors plus complexe.
« L’absence du couple prostitutionnel qui se caractérise par la relation sociale entre la prostituée et le client, crée une dissymétrie qui occulte les symptômes de la souffrance des hommes en mettant sur un piédestal la virilité masculine, amenant à effacer « la complémentarité des figures du désir » et à « handicaper lourdement l’histoire de la femme » 1.
Les clients-es apportent avec eux ou dans leurs échanges avec les travailleuses-eurs du sexe différents champs liés aux addictions.
En effet, faut-il parler des difficultés sexuelles rencontrées par les clients consommateurs (à haute dose) de médicaments, d’alcool, de nicotine, de drogues ? Pourquoi ne parlerions-nous pas de l’addiction au sexe, des hommes et des femmes souffrant d’hypersexualité ? Pourquoi ne parlerions-nous pas des clients souffrant de problèmes sexuels chroniques ? De ceux qui entraînent des risques sanitaires liés aux demandes de rapports particuliers, sans protection ?
A l’instar de la drogue qui calme l’angoisse, de la dépendance qui masque une fragilité trop importante ou douloureuse à un moment de la vie, oserions-nous dire que la relation sexuelle est un acte qui, pour de nombreux clients-es, vient satisfaire un besoin d’auto-médication sexuelle face à des difficultés liées au stress, au manque de confiance ? Faut-il prendre en compte ces questions qui relèvent des « outils métier » du travail du sexe ? Faut-il parler de ces rapports particuliers à la relation interpersonnelle dans un acte tarifé ?
Les personnes travailleuses du sexe vivent en phase, en prise avec cette population de clients-es…Et quelles seraient donc les résonances possibles ?
« La prostitution, comme la toxico-dépendance, est caractérisée par l’appartenance à des milieux assez bien cantonnés et difficiles à quitter… incitations personnelles et pressions de l’entourage s’exercent dans un monde à part qui a ses propres lois, son mode de vie, son style de relations interpersonnelles, son climat, son rapport à l’argent, etc. » 2
L’ « aller vers » consistant à entrer en relation avec des travailleuses-eurs du sexe rencontrant des difficultés en lien avec les drogues existe déjà à Genève. Il est évidemment toujours améliorable. Par contre, dans le champ plus large des addictions liées aux drogues ou aux comportements sexuels addictifs ou problématiques des clients-es, tout un domaine reste à explorer. Le contenu de cette activité débordant souvent de leur zone professionnelle, il n’est pas aisé pour les intervenants sociaux-ales d’entrer dans cet univers. C’est au fil des récits, des témoignages que ce champ s’anime; nul doute que pour aller rapidement à l’essentiel, l’intégration des (ex) travailleuses et travailleurs du sexe dans les équipes ou dans les groupes de réflexion est important.
Dans cette logique, à Aspasie, l’équipe réalisant l’action prévention migrantes-es (visite des bars, des salons) est en partie composée par des médiatrices culturelles, (ex) travailleuses du sexe. L’équipe de Bus Boulevards qui assure les permanences est également constituée des collaboratrices socio-sanitaires, qui sont des (ex) travailleuses du sexe.
Et la constitution du Syndicat des travailleuses et travailleurs du sexe est et sera un stimulus certain à travailler de plus en plus directement, en co-construction d’actions avec les professionnels du milieu prostitutionnel.