avril 2006
Interview d'Olivier
Dépendances: Décrivez-nous votre parcours et votre expérience avec les jeux vidéo.
Olivier: J’ai 45 ans et travaille dans les arts graphiques. Je n’ai jamais été attiré par les jeux vidéo (trop vieux, génération «Pacman», c’est dire!). En 1995, j’ai alors 35 ans, je découvre chez un ami le jeu SimCity sur Mac et en deviens rapidement «accro», et ce pendant quatre mois. Enfin un jeu où il ne s’agit pas d’empiler des briques, de flinguer des extra-terrestres ou de rouler comme un «con», mais de construire un système qui se développe, qui évolue. Bref, avec ce truc, on peut se prendre pour Dieu.
Je suis bien conscient que j’ai eu de la chance car ce jeu n’est rien par rapport à ce qui se fait aujourd’hui, en termes de pouvoir de fascination (graphisme, fluidité, connectique). Par ailleurs, à 35 ans, on est plus «construit» donc moins susceptible de plonger avec un truc pareil. Mon expérience n’est donc pas représentative des drames que vivent pas mal d’ados aujourd’hui.
Comment décririez-vous le plaisir que vous avez ressenti au début de cette activité? S’est-il modifié dans le temps?
Ce jeu m’a très rapidement mis dans un état de dépendance. J’étais fasciné par ce qui se déroulait sous mes yeux. Quand je ne jouais pas, je réfléchissais à de nouvelles possibilités urbanistiques, à de nouveaux quartiers à développer, etc. Il m’arrivait même d’en rêver la nuit!
Quand j’avais complètement rempli l’espace de jeu, je commençais une autre ville, différente, en changeant la configuration du terrain, en changeant les règles. Quand j’arrivais à une situation équilibrée (économie croissante, gestion de la pollution, de la criminalité, etc.), je laissais tourner la bécane du bureau pendant le weekend et me réjouissais de la fortune que j’allais trouver le lundi, grâce à laquelle j’allais pouvoir faire des travaux titanesques!
Quand j’étais dedans, le temps ne comptait plus, ma famille non plus. Je ne vivais pratiquement que pour ce jeu et chaque occasion était bonne pour m’y replonger. J’avais des villes chez moi et à mon bureau. Je me suis mis à mentir à ma femme en lui disant que j’étais retenu au travail et il m’arrivait d’y passer la nuit…
Avez-vous ressenti des effets négatifs? Lesquels? A partir de quand ?
Au bout de quelques mois, je me suis mis à culpabiliser, à me rendre compte que cette situation n’était pas normale ni viable à long terme. Mais je ne savais pas trop comment mettre fin à tout ça.
Comment avez-vous réagi à cette prise de conscience?
J’ai commencé alors une démarche de «déprogrammation». A l’époque, je faisais de la dynamique mentale (technique d’autosuggestion proche de la sophrologie). En une seule séance de visualisation, j’ai pu «programmer» un désintérêt pour ce jeu et proposer un comportement de remplacement.
Durant cette période, avez-vous observé une modification dans votre manière d’être?
Non, je ne me souviens pas. Ce dont je me rappelle est ma surprise de découvrir avec quelle facilité je me suis débarrassé de mon addiction. Un mois après cette visualisation, sans avoir rejoué une seule fois, j’ai voulu tester la solidité de mon traitement. Je me suis réinstallé à mon ordinateur pour reprendre une partie en cours. Rien. Plus de sensation, plus de fascination et cette stupide musique qui me portait sur les nerfs.
Quelle a été la réaction de votre entourage?
J’ai caché mon vice à mon entourage; je ne leur en ai jamais parlé car j’avais honte de cette manie. Ils ne se sont rendu compte de rien. Si ce n’est que ma femme trouvait que je passais trop de temps au travail…
Ce n’est que bien plus tard – un an ou deux après tout ça – que je lui en ai parlé. Elle était à la fois furieuse rétrospectivement, par rapport à toutes ces soirées qu’elle a passées seule me croyant au travail, désolée de ce qui m’était arrivé et assez admirative que j’aie pu m’en sortir seul.
Quels sont les facteurs qui vous ont aidé à résoudre ce problème?
Plusieurs facteurs m’ont aidé: d’abord mon faible intérêt pour ces jeux, ensuite ma maturité et la relativement faible «toxicité» de ce jeu-là. Mais le facteur principal a sans doute été ma capacité à me mettre à la place d’un autre qui, en me voyant, pouvait se dire: «Quel crétin! Passer son temps et son énergie à s’exciter sur un simple jeu!» ou encore «En voilà un qui laisse sa femme toute seule.»
Selon vous, que devrait-on faire pour protéger efficacement les utilisateurs de jeux des conséquences dommageables?
Je ne sais pas. Peut-être introduire un temps limite de partie. Au bout d’une heure, le jeu se bloque jusqu’au lendemain, ou un truc comme ça. Ces programmes doivent être en mesure de calculer la fréquence d’utilisation et donc d’extrapoler un comportement de l’utilisateur. Mais il y aura sans doute toujours un petit malin qui trouvera le moyen de déplomber la sécurité…
Estimez-vous que l’industrie du jeu vidéo a une responsabilité sociale dans l’apparition de problèmes liés aux jeux?
Oui et non. Ayant des enfants, je pense que la famille est aussi responsable des valeurs qu’elle inculque à ses enfants. Cela dit, si on considère ces jeux comme n’importe quelle dope, alors c’est une affaire de rencontre. Ce jeu ou cette dope va procurer à l’ado exactement ce dont il pense avoir besoin à ce moment-là, un peu comme une forme déviante d’automédication. Dans ce cas, je ne vois que le dialogue et l’amour pour essayer de faire avancer les choses.