juin 2021
Lucia Galgano (Infodrog)
Le processus de digitalisation en cours n’a pas épargné le domaine des addictions et a connu une accélération depuis le printemps 2020 avec la pandémie. Les institutions spécialisées dans les addictions ont ainsi été confrontées à une croissance des demandes d’aide parvenant par des canaux digitaux.
En 2012, alors que plusieurs initiatives locales commençaient à répondre à cette demande, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), en réponse à une sollicitation du terrain, entamait les premières réflexions pour développer une offre de consultation en ligne coordonnée au niveau national. Celle-ci devait permettre des synergies entre les institutions du domaine des addictions afin d’optimiser les ressources investies et mettre à disposition des canaux de communication sécurisés ainsi qu’une garantie de qualité. Un sondage auprès des institutions révélait un fort intérêt pour une plateforme de consultation en ligne nationale 1.
Aujourd’hui, à travers une collaboration entre Confédération, cantons et institutions, la consultation en ligne est réalisée avec l’engagement de 22 institutions spécialisées dans les addictions, présentes dans 17 cantons couvrant les trois régions linguistiques, et qui mettent à disposition 41 professionnel·le·s au total 2. SafeZone.ch est une prestation de l’OFSP dont la réalisation et la coordination ont été confiées à Infodrog, la Centrale nationale de coordination des addictions.
SafeZone.ch s’adresse aux personnes concernées, à leurs proches, aux professionnel·le·s confronté·e·s de manière ponctuelle à la problématique des addictions ainsi qu’à toutes les personnes intéressées. La plateforme permet l’accès en ligne à une aide professionnelle équivalente à celle offerte par les institutions ambulatoires. Les consultations sont gratuites et anonymes. L’intégration de la base de données Indexaddictions.ch permet aussi de trouver les adresses des institutions spécialisées en Suisse et des tests d’auto-évaluation de faire le point sur sa propre situation.
Les professionnel·le·s qui interviennent sur SafeZone.ch possèdent une solide expérience dans la consultation en face à face dans le domaine des addictions (substances légales, illégales ou addictions sans substances). Ces personnes ont aussi suivi une formation les introduisant aux spécificités de la consultation en ligne et du logiciel prévu à cet effet.
L’objectif principal de SafeZone.ch est d’atteindre des personnes qui, pour différentes raisons, ne s’adressent pas aux institutions ambulatoires. Il s’agit donc d’une offre complémentaire à celles des services spécialisés. Le public qui y a recours est très hétérogène en matière de niveau de consommation ou d’expériences avec les services spécialisés. Certaines personnes, ayant peur d’être stigmatisées, d’aborder des sujets délicats en face à face ou ayant des horaires de travail incompatibles avec ceux des services, optent pour les consultations en ligne. D’autres personnes préfèrent communiquer par écrit laissant ainsi plus de temps à la réflexion.
Pour répondre à la peur récurrente de la stigmatisation ou du partage d’informations délicates, SafeZone.ch garantit l’anonymat : les seules informations nécessaires pour l’inscription, et donc pour l’accès à une consultation en ligne personnalisée, sont un pseudonyme et une année de naissance. Il n’y a ensuite aucun échange de courriels : la communication se déroule dans le compte utilisateur de la plateforme qui garantit la protection des données.
SafeZone.ch constitue souvent le premier contact avec un·e professionnel·le qui peut alors entreprendre un travail d’encouragement pour que l’utilisateur/-trice s’adresse à une offre ambulatoire. Il y a toutefois des personnes qui ne feront jamais ce pas et le/la consultant·e de SafeZone. ch demeurera leur seul contact avec un·e professionnel·le.
Les consultations sont de nature très différente dans leur contenu : elles vont de questions ponctuelles comme la recherche d’une institution près de chez soi jusqu’à une prise en charge articulée et structurée, pouvant durer plusieurs mois, voire parfois des années. Les deux parties définissent l’objectif de la consultation lors des premiers échanges.
En 2020, la plateforme a été visitée 150’000 fois et environ 1000 personnes ont eu recours à une consultation en ligne. En moyenne six messages par jour sont reçus, incluant trois nouvelles demandes et trois demandes de suivi.
Les personnes qui consultent sont en majorité des femmes (54.2 %), des personnes directement concernées par une addiction (50.3 %) et ont dans plus que 80 % des cas entre 18 et 54 ans. L’objet des consultations concerne le plus souvent des problèmes émotionnels, des difficultés relationnelles ou des problèmes de santé psychiques.
Après sept ans d’activité, la plateforme a fait peau neuve en février 2021 pour mieux répondre aux besoins des utilisateurs/-trices et aux résultats d’une enquête menée auprès des parties prenantes 3. Un développement était nécessaire afin de moderniser les fonctions de communication, d’améliorer l’utilisation pour les personnes à la recherche d’aide et les liens entre l’autogestion, la consultation en ligne et la prise en charge en institution. De nouveaux contenus ont aussi été insérés, tels que des informations spécifiques pour les proches. Un nouveau logiciel pour la consultation en ligne, plus simple et ergonomique, a été programmé pour répondre à de nouvelles exigences techniques, améliorer la sécurité en termes de protection des données, permettre de nouvelles fonctionnalités et favoriser la consultation mixte avec, entre autres, l’intégration d’une application permettant des appels vidéo sécurisés.
Les offres qui avaient été développées en 2014 dans le but de partager les expériences entre utilisateurs/-trices et de favoriser l’entraide n’ont été que très peu utilisées. Le « Forum », qui n’existait qu’en allemand, n’a pas généré la dynamique attendue. Les chats de groupe (des groupes d’entraide en ligne modérés par un·e professionnel·le) ont également été très peu sollicités. La faible utilisation de ces deux offres reflète le besoin des utilisateurs/-trices d’échanger avec un·e professionnel·le afin de lui exposer leur situation. Les chats individuels sur réservation ont également connu une très faible utilisation : seule une minorité de ceux qui avaient été réservés ont été utilisés. Ces trois offres n’ont donc pas été reconduites dans le nouveau site.
Les proches, fortement sous-représenté·e·s dans les institutions spécialisées, constituent 38.2 % de toutes les personnes qui font appel à SafeZone.ch.
L’inscription sur la plateforme pour accéder à une consultation peut rebuter certaines personnes cherchant de l’aide. Pour permettre un accès aux personnes réticentes à la création d’un compte, une rubrique nommée « Questions-réponses publiques » a été intégrée dans la nouvelle plateforme. Il s’agit de réponses à des questions anonymes d’utilisateurs/-trices où l’on peut trouver des éléments de réponse à ses propres interrogations. Cette rubrique permet également l’envoi d’une demande publique sans inscription préalable. Cette offre peut permettre de baisser le seuil d’accès à l’obtention de réponses. La demande, après vérification du respect des règles, entre autres l’absence d’informations concernant l’identité de la personne, est ensuite publiée avec la réponse du/de la consultant·e.
Toujours dans l’idée d’abaisser le seuil d’accès et d’obtenir un feedback personnalisé sans inscription, la rubrique des tests d’auto-évaluation a été élargie. En complément à celui pour l’alcool, des tests sur le cannabis, le tabac et le stress ont été introduits. Accompagnée par un chatbot (un robot répondant sur la base d’algorithmes), la personne qui le complète peut faire le point sur sa situation et obtenir un feedback personnalisé contenant, le cas échéant, le conseil de consulter un·e professionnel·le. La personne peut alors prendre contact avec une institution de sa région ou initier une consultation en ligne sur la plateforme.
Parmi les barrières d’accès restantes à SafeZone.ch, on peut évidemment mentionner l’accès à Internet ainsi qu’une certaine aisance avec le fonctionnement de sites. Un autre obstacle majeur peut être lié à la rédaction pour des personnes ne se sentant pas à l’aise avec l’écriture. De plus, la plateforme n’est pas adaptée aux demandes envoyées en situation de crise, nécessitant une réaction rapide, voire immédiate. Les utilisateurs/-trices sont d’ailleurs informés que les réponses de la part d’un·e professionnel·le sont garanties dans les 72 heures ouvrables. Lors d’urgences dans le cadre d’une consultation, telles que des annonces de suicide, un protocole est appliqué par les professionnel·le·s qui peuvent aussi faire appel au soutien d’un coach externe. La plateforme n’est pas non plus adaptée aux personnes ayant besoin d’une aide à bas seuil dans une logique de réduction des risques, où la relation en face à face est particulièrement importante.
Depuis sa mise en ligne, l’utilisation de la plateforme a constamment augmenté. Cette hausse était particulièrement marquée en 2020 avec 50 % de consultations de plus qu’en 2019. La progression peut sans doute être expliquée par la crise du Coronavirus avec une aggravation possible de la situation des personnes souffrant déjà de problèmes d’addiction pendant le confinement (en particulier l’addiction à l’alcool, au cannabis, au tabac et aux jeux en ligne), mais aussi une utilisation plus importante des offres en ligne du fait de la restriction des contacts.
L’accès aux offres des institutions spécialisées peut être entravé par les engagements du quotidien, des horaires irréguliers ou alors, justement, une pandémie. C’est pourquoi un modèle de consultation mixte a été mis sur pied. Il s’agit de la combinaison d’une prise en charge en face à face « classique » avec d’autres canaux de communication digitaux. La consultation en ligne peut garantir la continuité de la prise en charge et la communication pendant des périodes où les rencontres ne sont pas possibles ou nécessaires, ou quand l’écriture peut être indiquée comme outil thérapeutique. Cette continuité dans l’accompagnement peut, entre autres, contribuer à réduire les risques de rechute.
Au printemps 2020, certaines institutions ont dû réduire considérablement leur offre, voire même fermer leur porte. SafeZone.ch a alors mis à disposition des institutions partenaires un accès au logiciel de la plateforme à travers de sous-pages portant l’identité visuelle (logo, couleurs) du site de l’institution et destinées à ses client-e-s. La nouvelle application pour appels vidéo sécurisés intégrée à l’outil de SafeZone.ch permet également aux deux parties de convenir de se voir en ligne.
Cet accès donne la possibilité aux institutions de maintenir le contact avec leurs bénéficiaires, mais aussi d’en acquérir de nouveaux, en facilitant un premier contact, l’accès à une prise en charge ou encore un suivi post-traitement en ligne. Cela permet de répondre de manière flexible aux besoins des client·e·s et en fonction des circonstances, même lorsque la situation sanitaire aura changé.