juin 2013
Barbara Broers (HUG)
Une étude récente française 1 suggère qu’une dose de 13 g d’alcool par jour (donc un peu plus qu’un verre standard) augmente le risque de mortalité globale. Les effets bénéfiques seraient dépassés par les effets négatifs, même avec à peine un verre et demi d’alcool par jour. Entre « deux verres de vin rouge par jour c’est bon pour le cœur », « un verre d’alcool par jour est bon pour le cœur », « ne buvez pas tous les jours », « un verre par jour augmente le risque de cancer »… quel conseil croire, quel conseil suivre ?
Comment savoir ce qui convient à sa situation personnelle, faute de recommandations claires ?
Dans cet article, nous vous proposons un résumé des raisons de la discorde, ainsi qu’une présentation des recommandations diverses qui existent par rapport à la consommation d’alcool. Pour plus de détails, nous vous prions de vous référer à un article paru dans la Revue Médicale Suisse, l’année dernière 2 .
Discordances entre les recommandations : pourquoi ?
Comme annoncé ci-dessus, il n’y a pas de consensus international concernant les recommandations en matière de consommation d’alcool. Il y a des discordances sur les définitions précises des catégories de consommation, sur la quantité et la fréquence de consommations, et enfin sur les groupes cibles 2.
Une raison de ces discordances est l’absence d’uniformité internationale sur la quantité d’alcool pur contenu dans un verre, ou dans ce qu’on appelle souvent « une unité standard ». En Suisse, il est accepté qu’un verre standard d’alcool contienne 10 g d’alcool pur, tandis que dans d’autres pays cette quantité peut varier entre 8 et 14 g.
Une deuxième raison provient du fait que les recommandations se basent sur l’interprétation d’études d’observation. Il est évident que pour des raisons éthiques et pratiques, on ne peut pas faire d’essai randomisé contrôlé où l’on propose à un groupe une certaine quantité d’alcool par jour et à un autre groupe un placebo (avec le même goût), cela durant une période suffisamment longue pour estimer les effets sur les maladies cardiovasculaires, les cancers, etc.. Du coup, il faut se baser sur des études d’observation qui se déroulent de la manière suivante : on suit dans le temps des personnes qui ont décidé, par elles-mêmes, de boire de l’alcool, beaucoup, un peu ou pas du tout. Ensuite, les groupes de non consommateurs sont comparés avec ceux des consommateurs, considérant les différents « niveaux » de consommation. Les participants à ces études ont évidemment aussi d’autres comportements de santé (nutrition, tabagisme, activité physique) qui peuvent avoir un lien avec leur consommation d’alcool et avec les résultats étudiés. Il n’est pas toujours possible de corriger, dans l’analyse, l’influence de ces différents facteurs. Les études d’observation ont donc souvent des erreurs ou des biais : de sélection (de certains groupes ou individus), de déclaration par rapport aux quantités d’alcool prises, etc.. L’interprétation des résultats de ces études peut donc être difficile et source de différences, aboutissant à une discrépance entre les avis des « experts » qui énoncent des recommandations.
D’autres raisons de discordances incluent des différences d’âges dans les groupes étudiés, dans le type d’alcool (vin versus tout alcool) consommé, dans les maladies observées (mortalité liée à une maladie isolée comme maladie cardiovasculaire versus mortalité globale) et dans la durée d’observation.
Finalement, il est important de ne pas confondre consommation « à faible risque » et consommation « bénéfique » pour la santé. On doit veiller à ce que les recommandations de ne pas dépasser une certaine quantité d’alcool (par exemple, la recommandation de consommation à faible risque de l’Organisation Mondiale de la Santé est de ne pas dépasser 2 verres standard par jour pour une femme) ne se transforment pas dans le langage courant en une recommandation consistant à boire cette quantité.
Toute recommandation devrait idéalement être individualisée, en prenant en compte des particularités, maladies et facteurs de risque personnels. Il est important de rappeler que les recommandations « générales » (comme celles de l’OMS(2) ou d’Addiction Suisse 3) s’adressent à des individus adultes en bonne santé et sans facteurs de risque.
Zéro alcool
Tout d’abord, il est important de souligner que, basé sur les connaissances actuelles, nous ne pouvons JAMAIS recommander de boire de l’alcool à une personne qui n’en boit pas. Si une personne abstinente désire diminuer ses risques cardiovasculaires, il convient de conseiller l’activité physique (au moins 30 minutes 3 fois par semaines), une alimentation saine (fruits, légumes, céréales complètes, poisson), l’arrêt du tabac ou la perte de poids, et non un verre d’alcool.
Il y a des situations où la consommation d’alcool est proscrite ou déconseillée : la conduite automobile, tout travail nécessitant une vigilance ou un bon équilibre, des activités scolaires ou sportives.
Ensuite, il y a des personnes, ou groupes de personnes, pour qui toute consommation d’alcool est déconseillée : les femmes enceintes ou celles qui allaitent, les jeunes de moins de 16 (voire 18) ans, les personnes avec une atteinte hépatique significative, ayant certaines maladies ou prenant des médicaments incompatibles avec la prise d’alcool, et les personnes abstinentes qui ont eu une dépendance sévère à l’alcool.
Conseil de prudence en cas de facteurs de risque
On connaît bien les risques liés à l’alcool lors de surconsommation chronique ou aiguë pour le foie, le pancréas, l’estomac, le système nerveux. L’alcool a un rôle causal, surtout chez les fumeurs, pour les cancers de la bouche et de la gorge. Il a aussi été démontré que l’alcool est un facteur de risque pour d’autres cancers, comme le cancer du sein, le cancer du colon et rectum, le cancer de l’œsophage, le cancer hépatique (surtout en cas de cirrhose).
En cas de présence d’une atteinte d’organes, d’un cancer, ou d’une prédisposition génétique connue (famille) ou supposée pour un cancer, il est conseillé de limiter la consommation d’alcool à un usage occasionnel. Il est impossible de donner un conseil avec une quantité précise pour chaque situation, mais « un verre » pour des occasions (et pas tous les jours) semble un conseil justifié et prudent.
L’âge avancé peut aussi être considéré comme un « facteur de risque » dans ce contexte.
Conseil en l’absence de facteurs de risque
Pour des personnes en bonne santé, sans facteur de risque, qui désirent boire modérément, la proposition actuelle d’Addiction Suisse(3) est de ne pas dépasser 2 verres standard (20 g d’alcool) par jour pour un homme et 1 verre (10 g d’alcool) pour une femme. Pour une occasion de fête, il est recommandé de ne pas dépasser 4 verres standard, en faisant attention aux types d’activités lors de ces événements, et des limites légales en cas de conduite automobile.
Le conseil de ne pas boire tous les jours, mais d’observer un ou deux jours de pause par semaine, ne fait pas partie de toutes les recommandations, mais relève du bon sens clinique pour éviter l’installation d’une tolérance à l’effet et d’une dépendance. Par ailleurs, certaines recommandations (par exemple canadiennes http://www.sbir-diba.ca/docs/default-document-library/2012-canada-low-risk-alcohol-drinking-guidelines-brochure-en.pdf?sfvrsn=2 (accédé le 20/4/2013).) incluent une recommandation de consommation maximale par semaine (pour une femme maximum 2 unités par jour, maximum 10 unités par semaine) qui permet de déduire l’intérêt d’une pause. A noter que le verre standard au Canada est plus grand qu’en Suisse (14 vs 10 g). Les recommandations suisses semblent donc prudentes, mais sont un compromis justifié entre les nombreux risques et le bénéfice potentiel de l’alcool sur le système cardiovasculaire. Elles peuvent être considérées comme des quantités permettant un bénéfice possible pour un individu sans facteurs de risque, tandis que les recommandations canadiennes, comme plusieurs autres 2, semblent plutôt proposer des limites d’innocuité.
Pour s’y retrouver dans les recommandations du moment sur les consommations d’alcool, rappelez-vous surtout que les connaissances actuelles se basent sur des études d’observation et pas d’intervention. On ne peut donc pas recommander de boire de l’alcool, même pour des (probables) bénéfices cardiovasculaires. Fort certainement – même pour des buveurs modérés – l’activité physique, une alimentation saine, l’arrêt du tabac et un poids sain (indice de masse corporel entre 20 et 25) seraient des conseils plus appropriés pour diminuer ces risques.
L’étude (observationnelle) de Guérin, concluant qu’une consommation de 13 g d’alcool par jour augmente la mortalité globale, s’explique probablement par le fait que la cohorte inclut des personnes avec des facteurs de risque pour qui même un verre par jour est dangereux.
Les conseils de consommation doivent donc être individualisés et prendre en compte les divers facteurs de risque. En cas de comorbidités ou de risque particuliers (tabagisme, facteur de risque pour le cancer du sein, hépatopathies, polypose colique, prise de certains médicaments, etc.), les recommandations de consommation à faible risque ne s’appliquent pas.
Pour des raisons pratiques et de compréhension, il serait souhaitable d’avoir un message unique et simple sur la consommation conseillée d’alcool. Toutefois, pour qu’une recommandation soit juste et acceptable, elle doit d’abord être individualisée et cela doit être indiqué en préambule de toute recommandation ; ensuite, pour les personnes sans facteur de risque, une recommandation pourrait peut-être proposer des « limites » de consommation à moindre risque plutôt qu’un seuil de non dangerosité tel quel développé par l’OMS 4.
Voici notre proposition concernant ces limites :
Qui dit plus, qui dit moins ?