octobre 2010
Stéphanie Malik-Cornut, présidente de ABANathalie Getz, membre
L’histoire de l’association a débuté il y a dix-huit ans déjà. À l’époque, les troubles du comportement alimentaire n’étaient pas encore très connus. Démunis, des parents d’enfants souffrant d’anorexie et de boulimie ont décidé de se rencontrer afin de partager leurs expériences, leurs angoisses et leur sentiment d’impuissance tout en cherchant des solutions ensemble. Constatant un grand manque en matière d’information et de prise en charge concernant ces troubles du comportement alimentaire, ils ont décidé d’agir en fondant l’Association Boulimie Anorexie (ABA).
Depuis, l’association n’a jamais cessé de se développer. Aujourd’hui, elle fonctionne grâce à une équipe de professionnel(le)s et de bénévoles qui s’engagent activement pour proposer un soutien aux personnes qui souffrent d’un trouble du comportement alimentaire et pour mieux faire connaître ces maladies.
Aujourd’hui, l’association constate que ces maladies sont de plus en plus médiatisées et que les structures de prises en charge médicale adaptées s’étoffent en Suisse romande. Cependant, elles restent souvent mal comprises et empreintes de nombreux préjugés. Pour ceux et celles qui en souffrent, oser en parler et faire le pas de demander de l’aide demande beaucoup de courage. ABA leur offre un lieu d’écoute et d’accueil qui peut parfois sembler plus rassurant qu’une structure médicale. Si l’association ne propose pas de suivi thérapeutique, elle offre une série de prestations pour soutenir les malades et leurs proches, leur permettre de faire le point et d’être orientés au besoin auprès d’un thérapeute ou d’un médecin.
L’échange et le soutien entre pairs constituent des éléments précieux dans le parcours de guérison d’un trouble alimentaire. Simona Grassi Alexandre est responsable des groupes de parole à ABA. Elle nous apporte son éclairage sur cette prestation centrale de l’association.
À quoi servent les groupes de parole?
Ces groupes ont pour objectifs de proposer un lieu de soutien et de partage pour les personnes qui souffrent d’un trouble alimentaire et pour leurs proches. Le cadre associatif permet d’offrir un espace différent que les groupes organisés dans un contexte hospitalier.
Il n’est pas rare que ABA accueille des personnes qui font leurs toutes premières démarches de demande d’aide. Quant aux personnes qui suivent une thérapie, elles peuvent y trouver de nouvelles pistes à travailler.
À qui sont-ils destinés?
Ils sont destinés aussi bien aux malades qu’aux proches au sens large: parents, frères ou sœurs, conjoints, amis… Parmi les personnes touchées par la maladie figurent une majorité de femmes mais depuis quelques années, nous observons que les hommes viennent aussi.
Qui sont les animateurs?
Les groupes de parole sont animés par des psychologues ainsi qu’une personne formée à la relation d’aide. Selon la taille des groupes, il y a une ou deux animatrices.
Nous invitons également régulièrement une personne qui s’est sortie de la maladie pour qu’elle puisse venir témoigner de son expérience. Les participants apprécient beaucoup cela. Voir quelqu’un qui a traversé la maladie et qui s’en est sorti leur donne de l’espoir.
Quelles sont les demandes, préoccupations ou sujets qui reviennent fréquemment dans ces groupes?
Les gens qui viennent dans ces groupes recherchent avant tout des pistes pour se sortir de la maladie et des informations sur les différentes formes de traitements existantes.
Elles ont besoin de voir aussi qu’elles ne sont pas seules à traverser ces difficultés: partager ce vécu peut être aidant.
Les proches sont eux aussi souvent démunis et épuisés: ils viennent pour essayer de mieux comprendre la maladie, chercher des pistes pour savoir comment réagir et échanger leurs expériences avec d’autres parents.
En quoi participer à un groupe de parole peut-il être aidant pour les proches?
Dans le groupe ouvert aux malades et aux proches, lorsque ces derniers entendent une personne inconnue parler de sa maladie, ils peuvent entendre cette souffrance autrement que lorsqu’ils sont directement concernés. Cela leur permet de porter un regard différent et parfois de mieux comprendre la maladie. Je constate aussi que le soutien entre les participants peut être très aidant.
Participer à un groupe de parole, est-ce suffisant pour se sortir de la maladie?
Non certainement pas. Le groupe peut être motivant pour entreprendre une démarche thérapeutique ou apporter un soutien pour ceux qui sont déjà en traitement. Mais dans tous les cas, un traitement plus large est nécessaire pour se sortir d’un trouble alimentaire!
Claude 1 est le père d’une fille qui a été malade durant quatre ans et demi. Durant cette période, il a fait appel à l’Association Boulimie Anorexie pour chercher un soutien. Il témoigne ici de son expérience.
Dans la maladie de ma fille, je me suis senti mis hors jeu. J’ai beaucoup de souvenirs douloureux. Lorsqu’elle faisait 35 kilos, par exemple, et que les médecins la laissaient sortir des urgences. Quel message pour elle qui avait déjà l’impression de ne pas être malade! Mais quand nous lui faisions des remarques, elle pensait que nous n’étions pas normaux, alors que les gens autour de nous avaient l’impression que nous la laissions mourir.
Nous ne nous sentions pas compris, pas écoutés. Quand ma fille a commencé à faire des démarches pour chercher de l’aide, elle voulait les faire avec sa mère, sans moi. À l’hôpital, c’était elle qui était au centre. Nous, parents, y allions pour aider les soignants à l’aider. Pendant les rendez-vous médicaux, nous nous sentions vite coupables.
Nos rencontres dans le cadre des groupes de ABA nous ont permis de nous occuper de nous. J’y allais en tant que père, sans ma fille, pour échanger avec d’autres parents. Auprès de l’association, je pouvais poser des questions précises sur la maladie, trouver des conseils, des adresses… mais surtout, je me sentais compris. C’était rassurant de se dire que ces gens avaient vécu la même chose que nous, avant nous, et qu’ils s’en étaient sortis.
Le fait que ce soit confidentiel nous donnait beaucoup de liberté dans ce que nous pouvions dire. Nous avions enfin une place, en tant que parents, alors que dans le domaine médical, nous nous sentions un peu mis à l’écart. Cette distance a certainement aidé notre fille à guérir: c’était important pour elle que nous soyons en retrait, qu’elle puisse prendre de la distance et que nous lâchions prise. Mais nous, nous avions aussi besoin d’aide!
À ABA, nous avons compris que certaines de ses attitudes faisaient partie de la maladie et que nous avions fait, de notre côté, du mieux que nous pouvions. Avant, nous la ménagions beaucoup: nous avons enfin appris à lui mettre des limites.
Notre fille est sortie grandie de la maladie. Quant à moi, ce que j’ai trouvé à ABA m’a permis de retrouver une place aux yeux de ma fille. Et ça nous a guéris, en tant que couple.
Répondre aux mails, assurer la permanence téléphonique, mener les entretiens, s’assurer de la mise à jour et du suivi du réseau… autant dire que les journées des deux psychologues qui travaillent pour ABA sont intenses. Engagée en 2001, Romana Chiappini a été rejointe en 2009 par Marie Leuba Bosisio, cumulant ensemble un temps de travail de 105%. Rencontre avec Romana Chiappini qui nous éclaire sur cette fonction.
Que font les psychologues au sein de l’association ?
Nous proposons un service d’écoute, de soutien et d’information aux usagers de l’association. Nous le faisons par l’intermédiaire de la permanence téléphonique, des emails, ou des entretiens.
Qui sont les personnes qui peuvent contacter l’association ?
Nos services sont aussi bien destinés aux personnes souffrant de troubles alimentaires qu’à leurs proches. Nous n’avons pas de critères pour accueillir les gens. On peut venir à ABA quel que soit son degré de souffrance, à tout moment de la maladie, même quand on n’est pas sûr de souffrir d’un trouble alimentaire ou quand on a déjà suivi un traitement.
Nous recevons des demandes de jeunes adolescents qui nous contactent le plus souvent par email, mais aussi d’adultes de tous âges. Beaucoup de demandes proviennent de proches (parents, conjoint, enfants, collègues, amis, etc.). Il arrive aussi que des professionnels fassent appel à l’association pour demander des conseils pour une situation précise.
Quels sont les moyens de vous contacter ?
L’email est de plus en plus souvent utilisé: il permet d’entrer en contact de manière anonyme et sans contrainte horaire. Nous recevons aussi de nombreux téléphones. Quel que soit le moyen utilisé pour joindre ABA, nous essayons d’établir un lien, en évitant de nous arrêter à un échange simple, type question-réponse. Il arrive ainsi que ce premier contact débouche sur une rencontre dans les locaux de l’association.
Quelles sont les demandes qui reviennent le plus souvent ?
Elles sont très diversifiées: certaines personnes ont besoin de parler de leurs difficultés alimentaires quelles qu’elles soient, de partager leur vécu, ou de chercher de l’aide face à un retour des symptômes après une période d’amélioration, etc. D’autres encore sont déjà en traitement et souhaitent partager leur découragement du moment, ailleurs que dans le cadre de leur thérapie. D’autres enfin demandent de l’aide pour s’orienter dans les démarches de soin possibles.
Et de la part des proches ?
Ils veulent savoir comment encourager l’autre à aller consulter et se demandent quelle attitude adopter au moment des repas, face à la perte de poids et au déni de la personne malade.
Quant aux professionnels, ils cherchent souvent des adresses de thérapies complémentaires à proposer à leurs patients et des informations sur l’association. Enfin, nous recevons aussi des étudiants à la recherche d’informations et d’aide pour des travaux d’étude sur les troubles alimentaires ou sur le système associatif.
Que pouvez-vous leur proposer ?
Nous essayons de toujours personnaliser nos réponses: cela exige souvent de clarifier les demandes, de faire le point sur la situation dans le détail pour mieux comprendre où la personne en est et chercher quelle pourrait être la meilleure aide pour elle. Nous évitons de répondre en donnant simplement une adresse à quelqu’un qui nous fait cette demande.
Quand il s’agit d’un proche d’une personne malade adulte, nous l’encourageons à responsabiliser la personne touchée pour qu’elle fasse la demande d’aide elle-même. Cela permet de déculpabiliser et de réaliser que ce n’est pas à lui de faire la démarche à la place de l’autre, tout en l’aidant à mettre ses limites vis-à-vis de la personne malade.
Quelle est la différence entre « aller voir un psychologue » et « aller voir un psychologue à ABA » ?
Il est important de toujours préciser le cadre aux personnes qui nous contactent: nous sommes des psychologues, formées dans le domaine des troubles alimentaires, mais dans le contexte de l’association, nous n’assurons pas de suivi psychothérapeutique. En venant à ABA, les personnes s’adressent avant tout à l’association, créée par des personnes concernées par les TCA. De ce fait et de par sa dénomination même, les gens y viennent pour parler d’emblée de TCA.
Nous constatons que beaucoup de malades ne savent pas comment aborder leur trouble avec leur médecin ou leur thérapeute, ou craignent d’être tout de suite pris dans des démarches considérables, pour lesquelles ils ne se sentiraient pas encore prêts. À l’association, ils ont le sentiment de pouvoir en parler sans obligation d’engagement thérapeutique.
Travaillez-vous en commun avec les spécialistes de Suisse romande ?
Après plusieurs années au sein de l’association, nous connaissons une grande partie des thérapeutes spécialisés dans les TCA. Nous essayons d’échanger régulièrement avec les différents intervenants du réseau et les structures hospitalières ou ambulatoires. Depuis quelques années, nous organisons régulièrement des « Rencontres TCA »: ces moments permettent d’échanger nos expériences autour d’un thème entre professionnels du domaine.
Est-ce que ABA est seulement un lieu de parole ?
C’est effectivement surtout un lieu de rencontre autour du dialogue. Mais nous proposons aussi d’expérimenter d’autres choses: par exemple, ABA a organisé, il y a quelques années, des ateliers d’expression à médiation créatrice. Actuellement, nous proposons « les Mardis Midi chez ABA », un projet destiné aux personnes souffrant d’un trouble alimentaire, qui a pour but d’offrir un moment de partage dans les locaux de l’association à l’heure des repas. Les personnes intéressées viennent avec quelque chose à manger mais sans aucune contrainte quant à la quantité à avaler. Là encore, le but principal est de partager un moment souvent difficile quand on souffre d’un TCA.