décembre 2016
Jacques Cornuz (PMU), Rodrigo Tango (UNIGE), Isabelle Jacot-Sadowski (PMU), Carole Clair (PMU) et Jean-Paul Humair (CIPRET-Genève)
La cigarette électronique comprend une batterie produisant de l’énergie pour activer une résistance qui chauffe un liquide pour produire de la vapeur (Figure 1). Elle a été conçue pour fournir de la nicotine sans combustion de tabac, évitant ainsi les substances nocives de la cigarette de tabac « traditionnelle », donc combustibles, tels que les hydrocarbures (goudron) et métaux lourds à l’origine des cancers, le monoxyde carbone et les particules fines, qui causent notamment certaines maladies pulmonaires 12.
Les principales substances contenues dans le liquide et la vapeur sont le propylène-glycol et/ou la glycérine, qui représentent 95% du contenu, des arômes (tels que menthol, cannelle, fruits, café, vanille, chocolat et bien-sûr tabac) et de la nicotine pour la quasi-totalité des usagers. On y trouve également des impuretés du tabac dues au processus de fabrication, telles que nitrosamines, formaldéhyde, acroléine, mais dont les taux sont très inférieurs à ceux de la fumée des cigarettes de tabac.
La cigarette électronique permet de fournir de la nicotine avec une concentration sanguine généralement plus élevée que ceux obtenus par les substituts nicotiniques. Certains utilisateurs des nouvelles générations de cigarette électronique parviennent même à obtenir un taux similaire à celui qu’ils obtenaient avec leur cigarette de tabac 3. La cigarette électronique permet également de réduire en quelques minutes l’envie de fumer et reproduit le « hit nicotinique », qui est une sensation agréable au fond de la gorge lors d‘inhalation de la fumée.
Deux tiers à trois quart des utilisateurs, dénommés par le néologisme « vapoteur », estiment que la cigarette électronique les aide à réduire leur consommation de cigarettes combustibles et améliore leur sentiment d’efficacité personnelle pour contrôler le tabagisme. Parmi les vapoteurs qui ont arrêté de fumer, la majorité estime que la cigarette électronique les a aidés ((Humair JP, Tango R, Jacot-sadowski I, Clair C. Cornuz J. La cigarette électronique : le point en 2015. Rev Med Suisse 2015 ; 11 :1270-5)).
Les données présentées proviennent d’études qui utilisaient des cigarettes électroniques de 1ère génération (cigalikes). Elles ont des batteries plus faibles, des réservoirs plus petits et délivrent la nicotine moins vite et avec des pics plasmatiques plus bas que les modèles de 2ème génération (pen type ou tank type). Les nouveaux modèles pourraient donc être plus efficaces que les anciens modèles, vu la pharmacocinétique plus rapide de la nicotine.
Dans une analyse combinant les deux seuls essais cliniques publiés à ce jour, la cigarette électronique avec nicotine augmente significativement le taux d’arrêt du tabac à 6 mois, par rapport à la cigarette électronique sans nicotine, mais pas face au patch de nicotine 4. Elle avait par contre un effet significativement supérieur sur la réduction du tabagisme, en comparaison non seulement à la cigarette électronique sans nicotine, mais également au patch de nicotine.
Dans une étude observationnelle d’un an (donc comportant certaines limites méthodologiques), 46% des sujets qui étaient initialement vapoteurs et fumeurs avaient cessé de fumer, alors que seulement 6% des ex-fumeurs vapoteurs avaient rechuté dans le tabagisme 5.
Ces résultats suggèrent mais ne permettent pas de conclure avec certitude à l’efficacité de la cigarette électronique sur l’arrêt et la réduction du tabagisme. En effet, les données disponibles actuelles n’apportent qu’un bas niveau de preuve scientifique en raison du petit nombre d’études et leurs limites méthodologiques.
Chez les fumeurs qui n’ont pas l’intention d’arrêter de fumer, les cigarettes électroniques favorisent la réduction validée biologiquement d’au moins 50% de la consommation sur une période de 24 mois 6. Il est possible qu’une partie de l’effet favorable vienne de l’amélioration du sentiment d’efficacité personnelle. Comme ces vapoteurs inhalent approximativement la même quantité de nicotine mais nettement moins de substances toxiques, la cigarette électronique apparaît comme un moyen intéressant de réduction des risques.
Les études prospectives n’ont rapporté aucun effet indésirable sévère lié à l’usage de la cigarette électronique 78((Benowitz NL. Pharmacology of nicotine: addiction, smoking-induced disease, and therapeutics. Annual Rev Pharmacol Toxicol 2009;49:57-71.)). Les effets rapportés sont légers ou modérés et incluent une irritation buccale et pharyngée, une toux et des palpitations. Les données à disposition suggèrent que les risques liés à l’exposition au propylène glycol et à la glycérine sont faibles. Cependant, on ne peut exclure un risque à long terme dû à l’usage répété et prolongé par inhalation.
La nicotine de la cigarette électronique n’entraîne probablement aucune toxicité importante notamment sur le système cardio-vasculaire, par extrapolation des études et de la pharmacovigilance ont démontré que les substituts nicotiniques étaient des produits sûrs. De rares cas de pneumonie lipidique chez des vapoteurs ont été rapportés et pourraient être causés par l’inhalation d’huile qui ne devrait pas se trouver dans les liquides de remplissage 9. Ce risque pourrait être plus important pour certains consommateurs qui fabriquent leurs propres mélanges de liquides en utilisant des huiles.
Un risque potentiel de la cigarette électronique est l’intoxication à la nicotine par ingestion des liquides de remplissage, qui peut être accidentelle, notamment par des enfants, ou intentionnel à but suicidaire 10. Même s’ils ont augmenté depuis l’avènement de la cigarette électronique, ces événements sont très rares, n’ont presque jamais eu de conséquences majeures même à des doses très élevées, avec un seul rapport de cas mortel.
Chez des individus dits « sensation seekers », qui recherchent plus de sensations que la moyenne des individus, il existe plus d’expérimentation de cigarettes combustibles dans l’adolescence 11. Par extrapolation, il est plausible que ces adolescents expérimentent davantage de cigarettes électroniques que les autres. On ignore si l’expérimentation de cigarettes électroniques détournerait ces adolescents d’autres consommations toxiques ou si elle s’ajouterait à ces consommations. L’usage expérimental de cigarettes électroniques est documenté chez les adolescents depuis quelques années déjà et il a augmenté progressivement 12.
La question de l’impact de la cigarette électronique sur le développement du tabagisme fait l’objet d’un âpre débat. Alors que certaines données montrent que plus de 80% des adolescents utilisant la cigarette électronique sont déjà des fumeurs de cigarettes combustibles, une nouvelle étude réalisée aux USA suggère qu’elle pourrait être la porte d’entrée vers la consommation de tabac ((Leventhal AM, Strong DR, Kirkpatrick MG, et al. Asso- ciation of electronic cigarette use with initiation of combus- tible tobacco product smoking in early adolescence JAMA 2015 ; 314:700-7.)). Le débat n’est pas prêt de se clore !
Enfin, l’exposition passive à la cigarette électronique pourrait augmenter significativement l’envie chez des ex-fumeurs et favoriser la rechute dans la consommation de cigarettes combustibles 9.
Au cours des dernières années, on a observé un parallélisme entre la chute des ventes de tabac et l’augmentation de la consommation de cigarettes électroniques, notamment celles de deuxième génération. Cette observation ne suffit pas à prouver un lien de causalité, mais il est plausible que la cigarette électronique puisse accélérer le déclin de la consommation des cigarettes combustibles, ce qui serait un gain majeur de santé publique. En Suisse, la cigarette électronique se trouve dans un vide juridique sans législation, ni régulation. Utilisant la méthode Delphi, nous avons interrogé un groupe d’experts suisses en 2014 13 ; leurs recommandations sont résumées dans le tableau 1.
Tout conseil sur la cigarette électronique par un soignant devrait se faire avec les mêmes précautions que le conseil d’un traitement pour lequel il n’y a pas d’indication officiellement reconnue (« traitements hors indication », « hors liste » ou « off-label »). Dans cette situation, le médecin est censé informer qu’il ne s’agit pas d’un traitement reconnu pour l’arrêt du tabac, qu’il existe des incertitudes quant à ses effets secondaires et que son efficacité n’a pas été démontrée. Les recommandations du tableau 2 permettent aux soignants de répondre dans les situations cliniques les plus fréquentes 9.
La cigarette électronique est un nouveau dispositif produisant de la vapeur inhalée. Elle contient du propylène-glycol et/ou de la glycérine, des arômes et, dans la plupart des cas, de la nicotine délivrée plus lentement que dans la cigarette mais plus vite qu’avec les substituts nicotiniques. Elle ne comporte aucune combustion de tabac, ce processus à l’origine de substances nocives, notamment cancérigènes, des cigarettes « traditionnelles » de tabac. En 2013, environ un quart des fumeurs avaient expérimenté la cigarette électronique et 6% l’avaient utilisée dans les 30 derniers jours. Les études suggèrent que la cigarette électronique pourrait permettre de cesser de fumer et de réduire la consommation de tabac. La sécurité à court terme de la cigarette électronique est démontrée mais pas encore à long terme ; si elle existe, sa toxicité devrait être très largement inférieure à celle du tabac. Si la cigarette électronique est utilisée par les adolescents, les données actuelles sur son rôle comme porte d’entrée vers le tabagisme ne sont pas conclusives. La recherche sur la cigarette électronique est une priorité pour mieux définir sa place dans la prévention du tabagisme et son utilité pour l’arrêt du tabac.
Des mesures de santé publique sont cependant déjà nécessaires et recommandées par des experts : régulation du produit avec contrôle de qualité, interdiction d’usage dans les lieux publics, de vente aux mineurs et de publicité.