juin 2014
Jeorge M. Riesen (superviseur DAS en TCC)
Est-ce qu’il y a une différence entre les prises en charge psychothérapeutiques des individus avec ou sans comportement addictif, lorsque s’ajoute pour certaines une prescription médicale de psychotrope ? Comment faut-il faire avec les patients qui sont déstructurés ou, mieux dit, structurés uniquement par leur addiction, centrés autour d’une substance ou d’un comportement addictif, avec des capacités cognitives réduites ou altérées ? Et s’il faut inclure des éventuels diagnostics psychiatriques comme des troubles de personnalité masqués par ces mêmes substances ou comportements addictifs, comment le faire ?
L’individu atteint de troubles issus de comportement addictif espère généralement d’un médicament un effet rapide (dans les minutes à venir) combiné avec un soulagement palpable donc efficace.
En plus, ces patients ont majoritairement des connaissances imprégnées des effets secondaires possibles, souhaités ou indésirables. Attendre plusieurs semaines sur un petit effet positif comme c’est courant pour un traitement antidépresseur présente souvent un effort trop important pour quelqu’un qui s’est habitué à chercher un effet puissant dans l’immédiat. La situation est semblable même pour un comportement addictif sans substances.
On doit alors s’attendre à des demandes de prescriptions de psychotropes forts, déposées par ces mêmes patients, malgré une psychothérapie en route. Comment faut-il les aborder et pourquoi risquer le lien thérapeutique ? Qu‘est-ce qui distingue un système médicalisé, dans un contexte de psychothérapie incluant des prescriptions de psychotropes, d’un marchand de rue vendant des produits similaires ? En effet, pour bon nombre de substances, les possibilités de prescriptions se chevauchent : elles se trouvent aussi au marché noir ou elles sont accessibles via des commandes sur internet. Des stimulants, des opiacés, des benzodiazépines – et leurs molécules apparentées dites somnifères – aux substances Z, des calmants jusqu’aux neuroleptiques, ce ne sont pas les substances en soit qui vont faire la différence.
Pour pouvoir comprendre les démarches de ces patients : une connaissance et une conscience des conditions d’utilisation des substances prescrites, potentiellement addictives (donc avec un effet psychotrope), leur abus ou leur mésusage (sniffer, injecter), leur prise décalée au moment de la journée, « mal adaptée » (somnifère le matin) ou avec des dosages « inhabituels », sont utiles, voire nécessaires.
Les fondements du contact, de la compréhension et des interactions thérapeutiques découlent d’une vérité plutôt banale, mais souvent pas si facile à se remémorer pour nous, les professionnels de la santé : c’est la perpétuelle considération et reconsidération que, avec son comportement (addictif), aussi aberrant qu’il puisse nous sembler, l’individu face à nous répète des tentatives de se tenir en équilibre, et même les seules raisonnablement faisables de son point de vue…
Donc, en intégrant ceci, on doit postuler que ce n’est pas la prise de substances, soit médicalement prescrites ou pas, qui vient déranger une psychothérapie, mais les questions mal adaptées concernant son équilibre actuel, qui dérangent les suites de la relation psychothérapeutique pour l’individu atteint d’un comportement addictif…
En ayant cela en perspective, finalement, le mot magique, c’est le planning d’un changement avec des gradations à longue – pour le dire – à très longue échelle temporelle. En restant proche du patient, pour choisir et l’accompagner avec un traitement adapté progressivement à ses moyens, évoqués et stimulés. Pour le suivre selon ses pas avec une attention bienveillante, une attitude d’entretien motivationnel thérapeutique.
C’est à nous, thérapeutes, de veiller que la proposition faite au patient, de s’imaginer une alternative est suffisamment adaptée pour qu’il arrive à saisir la perche qu’on lui tend. Donc veiller, avec notre attitude, à vraiment suivre ses possibilités, à croire en lui, à pouvoir élargir ses comportements de façon à ce qu’il puisse faire, à un moment donné, avec une autre substance – souvent encore addictive mais aussi éventuellement moins addictive – différente, qui offre vraiment des options, même si ce n’est qu’au microcosme des possibilités du patient.
Reprenons ces aspects avec deux exemples concrets de traitement :
Il est crucial pour le patient concerné par une addiction aux opiacés que le prescripteur et le thérapeute prennent en considération l’adéquation du traitement de substitution avec la phase ou situation respective du patient. Fort heureusement, il existe différentes molécules à choix pour non seulement trouver le bon matching au moment de la consultation actuelle, mais aussi pour pouvoir développer une perspective de traitement qui ouvre également sur un développement du patient dans son parcours psychothérapeutique. (voir graphique 1 : modèle d’adéquation d’une substitution avec la phase d’addiction)
Bien qu’avoir un accès tout court à une possibilité de traitement peut réduire les risques (harm reduction), ceci ne débouche guère automatiquement sur la perspective d’un développement ultérieur, raison pour laquelle les différentes options de traitement et leurs connaissances, les possibilités d’actualisations du progrès (ou recul) éventuel du patient sont si importantes pour pouvoir maintenir la motivation d’un travail psychothérapeutique.
1. les différentes substances des traitements de substitution d’opiacés peuvent offrir des possibilités de gradation variées selon les étapes du développement :
Voyons en deuxième exemple les possibilités avec les benzodiazépines :
Il est connu que des benzodiazépines, très variées, sont prescrites et utilisées pour calmer toutes sortes de troubles, néanmoins ces molécules sont scientifiquement plutôt mal investiguées. Ici, il ne s’agit pas d’ajouter des recommandations d’indication. En travaillant en thérapie avec les patients on découvre une autre réalité de ces molécules qui est si importante pour la psychothérapie : ces médicaments ont une variété de caractéristiques, déjà au niveau de la biodisponibilité qui a directement une influence sur leurs effets psychotropes (voir graphisme 2 : modèle de concentration sanguine avec temps d’action et demi-vie selon molécules).
Ceci pris en compte, la perspective s’ouvre sur un outil de gradation d’effet individualisé, fait sur mesure : les possibilités d’actualisations du progrès du patient sont ainsi réalisables et, avec ceci, la motivation pour un travail psychothérapeutique peut être maintenue ! Chaque différence d’un traitement à l’autre donne au patient et au thérapeute la possibilité de se mettre dans une perspective de temps et de développement, sur laquelle il est possible de continuer à travailler.
2. après les prises de substances : un changement plus vite en hausse indique souvent un effet psychotrope recherché plus fort, et un changement plus vite en baisse un effet de manque plus fort.
Donc le questionnement du prescripteur avec les patients souffrant d’une addiction ne peut pas s’arrêter au moment de l’installation d’un traitement et de son bon fonctionnement, même si – surtout aussi pour des raisons législatives pour certaines substances – cela a été ou est crucialement important d’avoir légalement un traitement (de substitution) à disposition. La réalité de ces patients fait que les substances même deviennent un outil de travail en psychothérapie pour ajuster les alternatives au comportement addictif. Cette réalité est longue, visqueuse, mais pas inchangeable.
Pensons à la métaphore d’un glacier qui semble si rigide mais qui coule et change considérablement avec le temps… Ceci doit aussi se représenter dans la prescription de substances psychoactives aux individus atteints d’addiction, pour éviter qu’un autre destin soit mis au placard.
Veillons alors qu’avec le suivi thérapeutique, en combinaison avec le traitement, nos patients ne se trouvent pas dans la situation correspondant au client idéal du dealer : un consommateur maximal, régulier, à long terme, sans dérapage, sans diminution, donc sans perspective de changement pour s’insérer dans la vie. Donnons une chance à nos patients de trouver des alternatives.
En conclusion, voici quelques pistes à suivre en thérapie avec un individu sous médication psychotrope voire en phase de consommation :