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  4. Les états modifiés de conscience

Les états modifiés de conscience
Jean-Dominique Michel (anthropologue de la santé, formateur, Genève)
Et si les drogues étaient en réalité bien moins addictives qu’on ne le pense ?
Interview de Carl Hart par François Roulet
Place des thérapies basées sur « un état de conscience modifié » dans le champ des addictions
Jean-Marie Coste (responsable thérapeutique au Drop-in, Neuchâtel)
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Dr Gérard Salem ( directeur et formateur à Consyl, Lausanne)
L’application des interventions basées sur la pleine conscience dans le domaine des addictions
Daniela Dunker Scheuner et Valérie Rossier (DP-CHUV, Lausanne)
Psychothérapie et médication psychotrope : qu’est-ce qui fait que nous ne sommes pas des dealers ?
Jeorge M. Riesen (superviseur DAS en TCC)
Les hallucinogènes dans la thérapie des addictions
Dr. med. Robert Hämmig (Société Suisse de Médecine de l’Addiction)

Dépendances 52 - Les états « modifiés » de consciences: Les états modifiés de conscience

juin 2014

Les états modifiés de conscience

Jean-Dominique Michel (anthropologue de la santé, formateur, Genève)

Les questionnements autour des « états modifiés de conscience » ont émergé au sein de notre culture au cours des dernières décennies, portés principalement par les domaines de la psychologie et de l’anthropologie. Les avancées récentes des neurosciences permettent d’affiner la cartographie des modulations de notre état de conscience, et de repérer les lieux somatiques des processus qui leur correspondent.

Conscience et « trajet anthropologique »

Nous sommes ici au cœur de ce fameux « trajet anthropologique », fondamental à notre espèce, qui voit s’entrelacer la dimension matérielle de notre expérience de vie et sa dimension immatérielle. La conscience est évidemment une réalité immatérielle. Son déploiement en revanche sollicite un ensemble de dispositifs matériels à l’intérieur de notre cerveau. Si la question n’est pas tranchée à ce jour de savoir si la pensée est un produit du fonctionnement du cerveau ou au contraire informe celui-ci (auquel cas elle en serait au moins en partie indépendante), le fait est qu’il y a une interrelation entre les contenus dynamiques de notre psychisme et le corps par et à travers lequel nous les vivons.

Parler d’états modifiés de conscience, c’est reconnaître que notre conscience se module et se modifie. Certaines considérations liminaires sont nécessaires pour entrer de plain-pied dans cette question.

La première consiste à observer que nous sommes, dans l’usage de notre conscience, dans cette double intimation du matériel et de l’imaginaire. Notre biologie est une donnée dure, son appareillage est arrêté au sein du programme de l’espèce, et nous ne pouvons redessiner l’architecture de notre cerveau, de notre système nerveux ou de nos organes. Tout un ensemble de fonctions sont prévues à l’intérieur de notre organisme, et lorsque nous naissons et nous développons, nous prenons possession d’un véhicule corporel et de conscience qui est arrêté à bien des égards.

L’usage du système nerveux n’est cependant ni donné, ni clos. Sa configuration concrète (qui prédéterminera les manières dont nous vivrons nos expériences de vie) s’effectue à travers tout un bain d’affects et de représentations qui nous proviennent de l’environnement humain au sein duquel nous nous développons. Ce codage, implicite et explicite, nous permet d’acquérir un sens de la réalité coordonné au groupe humain qui nous entoure.

Nous disposons donc d’un système nerveux apte à l’encodage, qui nous permet de percevoir le monde d’une manière partiellement objective, mais à travers des inflexions et des connotations, des représentations que nous assimilons en provenance de notre milieu psychoaffectif.

D’une certaine manière (et ce n’est pas pour flatter notre narcissisme national qui s’estime expert en la matière) la réalité – ce que nous tenons comme telle collectivement – est toujours le fruit d’un consensus. Ce dernier terme étant à entendre au sens étymologique : soit le fruit d’un réglage culturellement normé de l’usage de nos sens et de notre conscience.

Un Amérindien de la forêt amazonienne, par exemple, aura grandi au sein d’une communauté qui, par nécessité, a développé une disposition particulièrement efficace dans l’usage de l’audition, là où notre propre culture est à très haute prédominance visuelle. Si nous nous retrouvions en sa compagnie dans un même espace, nous serions dans des espaces sensoriels différents et vivrions des expériences qui le seraient à la mesure du différentiel de nos aptitudes sensorielles et de cette hiérarchie des sens. Nous passerions, quant à nous, à côté de tout un ensemble d’informations que nous serions au moins en partie inaptes à percevoir.

Il en est ici comme des aptitudes langagières. Chaque jeune enfant est capable de produire tous les sons existant dans l’ensemble des systèmes de langage, présents et passés, de l’humanité. Chaque langue sélectionne dans ce répertoire immense un certain nombre de phonèmes dont elle fait usage. Dans le « bain de langage » de notre enfance, nos organes de la phonation se spécialisent et se configurent d’une manière qui nous donne la maîtrise de ce répertoire de sons, et notre oreille voit s’atrophier en proportion l’aptitude à entendre les phonèmes extérieurs à notre « bande passante », que nous devenons progressivement inaptes à reproduire.

Et c’est ainsi la matrice de nos expériences psychiques (ce vaste répertoire de sensations, d’affect, d’émotions, de pensées, de narrations et de sentiments) qui nous est en quelque sorte donnée par le processus d’enculturation, par lequel nous apprenons à synchroniser notre système nerveux avec celui des autres (de l’environnement familial proche aux grandes imprégnations relevant de la vision du monde sociétale – Weltanschauung).

Nos expériences psychiques sont ainsi en partie naturelles (on retrouve ainsi les mêmes grandes émotions dans toutes les cultures) et en partie culturelles, puisque la manière dont on va les vivre et le regard qu’on va porter sur elles connaissent une variabilité importante d’un contexte à l’autre.

Nous pouvons donc observer qu’il y a tout un conditionnement dont nous sommes inévitablement porteurs, et qui va participer à notre sentiment d’identité, à partir de ce qui est consensuellement considéré comme « normal » dans les cercles de notre environnement humain.

Notre conscience se modifie en permanence !

La seconde considération est celle de remarquer que notre état de conscience se modifie en permanence tout au long de nos journées. On a certes identifié certaines grandes catégories d’états de conscience. La classification la plus courante distingue l’état de veille, l’état de rêverie éveillée, l’état de rêve (sommeil paradoxal) et l’état de sommeil profond. On observe que dans ces différents états le cerveau fonctionne selon des rythmes cérébraux différenciés, repérables à l’électro-encéphalogramme.

Les rythmes appelés Delta et Thêta (inférieurs à 8 hertz) sont fréquents chez l’enfant là où ils correspondent à des états de sommeil ou de transe profonde chez l’adulte… On a également pu observer que certaines pratiques (comme la méditation) permettaient de produire des états de conscience caractéristiques du sommeil en état de veille.

Mais, au-delà de cette grande catégorisation, nous pouvons repérer qu’il existe toutes sortes d’états de conscience, et que celle-ci se modifie à vrai dire en continu. Nous passons par toutes sortes de mini « transes », plus ou moins marquées, tout au long de nos journées. La concentration intense du travail intellectuel est une forme de transe. L’état souvent pâteux qui s’étale du réveil au premier café le matin en est une autre. Les états émotionnels sont des formes de transe : vous arrivez au travail ou à la maison de bonne humeur, sifflotant (une forme de transe), un collègue ou votre conjoint vous adresse une remarque désobligeante et vous voilà contrarié, irrité, voire furieux : autant de transes.

Regarder la télévision plonge notre cerveau dans un état de transe léthargique, conduire notre voiture en étant absorbé dans nos pensées révèle que notre inconscient est capable de conduire à notre insu, l’intimité amoureuse constitue une transe que nous sommes nombreux à trouver délectable, etc.

La philosophie bouddhiste marque sans doute un point en relevant que les caractéristiques principales de notre état de conscience sont le changement et donc l’impermanence. Étant donné cette modulabilité, l’être humain, à travers l’espace et le temps, a cherché les moyens de mettre à profit certains types d’états modifiés de conscience à des fins particulières.

La déconstruction de la réalité

Lorsque nous parlons aujourd’hui d’états modifiés de conscience, nous nous référons à des expériences plus vastes et plus intenses que la contrariété provoquée par une remarque désobligeante ou la conduite distraite de notre véhicule. Il existe en effet toute une gamme d’expériences, en lien avec le sacré, qui visent à produire des modifications extrêmes du fonctionnement de notre système nerveux.

Qu’il s’agisse de pratiques d’oraison, de prière ou de méditation afin de favoriser des états mystiques, ou d’états de transe ou d’ébriété, ce dont il est question ici relève fondamentalement de la possibilité « de déconstruire la réalité ».

Une autre caractéristique intrinsèque de notre condition humaine est que nous n’avons jamais du réel qu’une expérience indirecte. Parmi les subtilités lexicales utiles, on peut ainsi distinguer le réel (« ce qui est ») de la réalité (« la manière dont nous percevons et nous représentons le réel »). C’est par exemple une évidence que les couleurs n’existent pas dans le réel. Il y a simplement des vibrations lumineuses au sein des phénomènes macro physiques. Lorsque notre système visuel est stimulé par certaines de ces vibrations, une perception est créée en nous, sous forme de couleur.

C’est cependant toujours dans notre cerveau et notre conscience (couple matériel/immatériel) que la formalisation des phénomènes s’effectue. Un joli koan de la tradition zen peut illustrer notre propos : « Un drapeau flotte dans le vent. Qu’est-ce qui bouge, le drapeau ou le vent ? »

La réponse est : « ça bouge en toi »…

Cette réflexion n’induit évidemment en rien que le réel n’existerait pas. Mais qu’il ne peut être appréhendé avec objectivité sans que soit reconnu le jeu de la conscience qui s’en empare et le construit sous forme de « réalité ». Or cette construction, comme nous l’avons développé, résulte du fonctionnement de notre système nerveux tel qu’il a été configuré au cours de nos apprentissages, selon les codes en vigueur autour de nous.

Tant que nous sommes dans le fonctionnement consensuel de notre système nerveux, nous sommes dans la réalité habituelle. Les états modifiés de conscience extrêmes offrent de ce point de vue la particularité de permettre une « déconstruction » de la réalité, ce dont les poètes aussi bien que les mystiques ont de longue date eu l’intuition.

Le poète visionnaire anglais William Blake proposa dans un vers célèbre : « Si les portes de la perception étaient nettoyées, chaque chose apparaîtrait à l’homme telle qu’elle est, infinie ». Ce vers donna son titre à un ouvrage célèbre (« The Doors of Perception ») de Aldous Huxley, publié en 1954, qui posa les fondements philosophiques de la culture psychédélique et d’un renouveau de la spiritualité en Occident. Jim Morrison s’en inspira également pour nommer le groupe de musique dont il fut le chanteur et poète. Ce que Blake entendait par là concernait un accès direct au réel, non déformé par les filtres de notre construction habituelle de la réalité.

Arthur Rimbaud, dans une lettre célèbre à son professeur de littérature, proposait que « Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ». Cette intention ainsi exprimée par les poètes rejoint les pratiques psychophysiques des religions premières (mais que l’on retrouve également dans des formes religieuses ultérieures comme certains courants de l’Islam ou du Judaïsme).

L’historien des religions Mircea Eliade fut le premier à les étudier de manière systématique dans son fameux ouvrage « Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase », publié en 1950. Il y effectue un survol magistral de la littérature ethnographique au sujet des pratiques chamaniques (nom génériques donné aux rituels magico-religieux des sociétés premières, présentant un remarquable isomorphisme à travers l’espace et le temps).

Le chamane, dont la vocation est toujours signalée par une crise existentielle extrême à l’entrée de l’âge adulte, apprend à maîtriser les états modifiés de conscience extrêmes. À travers différentes initiations pouvant impliquer l’exposition à des conditions naturelles éprouvantes, le jeûne, ou encore la privation de sommeil, l’apprenti fait l’expérience de cette déconstruction de la réalité pour accéder à un univers parallèle, invisible, réservoir de ressources symboliques opérantes. Il va apprendre à y accéder, à s’y mouvoir et à y agir de sorte à pouvoir intervenir sur les champs mythiques et informationnels qui, selon ce système de pensée, surdéterminent les phénomènes observables dans le plan de la réalité ordinaire.

Une première catégorie de pratiques psychophysiques favorisant ce passage dans une autre dimension tient à l’utilisation de psalmodies, de chants, de percussions (le tambour est le véhicule chamanique par excellence), de danses ou de pratiques du souffle favorisant une entrée dans la transe. Ces rituels étant toujours collectifs, la coordination des inconscients des participants assure une intensité psychique apte à bouleverser le codage habituel du système nerveux.

C’est une occurrence fréquente – et amusante ! – dans la littérature ethnographique que celle où des observateurs profanes et incrédules se sont retrouvés dans des états de transe profonde, « chevauchés » par des entités invisibles. Et se retrouvaient à se comporter sans en garder la moindre conscience d’une manière rigoureusement fidèle à la description de ces entités, dont ils ignoraient tout au préalable…

Psychotropes

Les psychotropes, à travers l’espace et le temps, ont également intéressé les populations humaines précisément pour leur faculté de désorganiser le fonctionnement usuel du système nerveux, et donc de déconstruire la réalité. Car une telle déconstruction ne conduit pas nulle part : elle conduit ailleurs…

Sur les près de 15 000 cultures répertoriées dans la littérature ethnographique, on ne trouve qu’une poignée d’exceptions (pour les amateurs de curiosité, en Océanie) qui se soient abstenues de faire recours à des substances psychotropes à des fins rituelles. Partout ailleurs, de tout temps, les populations humaines ont mis à profit les ressources psychédéliques de certains psychotropes pour « voyager entre les mondes ».

De nos jours encore, nombreux sont les Occidentaux à se rendre aux quatre coins du globe pour y vivre des expériences sacrées en ingérant de l’ayahusca, de l’iboga, du jus de tabac ou du peyotl. Nous sommes ici dans une réalité postmoderne, avec toutes les médiations qu’implique le fait pour un Occidental de se retrouver dans une culture éloignée de la sienne, mais elle aussi aujourd’hui inévitablement influencée par notre propre mode de vie et nos représentations du réel…

L’intoxication psychotrope est vécue comme un moyen de « basculer » hors du champ de notre compréhension limitée de nous-mêmes et du monde. L’usage ayant été perdu chez nous (il en existait des formes anciennes en Europe mais qui ont été combattues avec la férocité que l’on connaît par l’Église qui y vit de la « sorcellerie »), c’est désormais dans le lointain (mais ces pratiques s’acclimatent aussi sur notre sol…) que ce recours est mis à profit par des personnes en recherche de dépassement.

La pharmaceutique s’y est également mise, on trouve des expériences de psychothérapie psychédélique conduite à l’aide du LSD (notamment celles menées par le Dr Stanislav Grof, un des fondateurs de la psychologie transpersonnelle) ou encore de l’ecstasy. La rigidité morale liée à la « lutte contre la drogue » a conduit à la cessation de telles expériences, parmi lesquelles figurait la « narco-analyse », utilisant des barbituriques pour favoriser l’accès à des souvenirs refoulés.

Du fait de l’intensité des effets des psychotropes, les pratiques sacrées traditionnelles qui en faisaient usage étaient très rigoureusement cadrées. Elles avaient lieu à certains moments du cycle cosmo-agraire et se déroulaient selon un rituel précis, sous la conduite de chamanes expérimentés. Un participant projeté dans d’autres niveaux de la réalité sans maîtrise aurait fait encourir au groupe le risque de désorganiser l’agencement des mondes…

Il reste sans doute quelque chose de cette recherche sacrée dans les modes de consommation profanes (problématiques ou non) que l’on observe aujourd’hui en Occident. L’accès aux substances illicites est un « rite de passage » pour nos adolescents qui vivent dans un monde dramatiquement indigent sur le plan symbolique et où, à part le remise d’un certificat d’études, du permis de conduire ou d’une carte d’électeur (ainsi que le droit de payer des impôts…), plus rien d’intelligible ne vient célébrer l’accès à l’âge adulte. Les transes induites et partagées par les jeunes, à l’écart du monde des adultes, et incluant nécessairement certaines prises de risque, sont comme des succédanés des confrontations héroïques prévues par les grands rites de passage traditionnels.

Même dans l’usage abusif chronique, il reste une part de quête mystique que les auteurs les plus pertinents, spécialistes du domaine ou poètes, ont su percevoir. On relèvera également l’utilité des approches thérapeutiques abordant la question de la spiritualité en lien avec les trajectoires d’addiction…

Modifions nos états de conscience, mais sainement !

Un autre courant observable à l’intérieur de notre société est la pratique d’états modifiés de conscience à des fins « vertueuses ». L’Occident reconnaît aujourd’hui que dans les pratiques psychospirituelles de l’Orient, comme d’ailleurs dans celles de certains de ses propres courants historiques, existe une clé intéressante pour l’harmonisation et la pacification de notre psychisme.

On assiste ainsi à l’émergence de « nouvelles » adaptations de pratiques méditatives, proposées dans différents contextes. La plus célèbre de celle-ci à l’heure actuelle est l’approche dite « de pleine conscience (Mindfulness) », inspirée des enseignements de la psychologie bouddhiste, concernant la maîtrise de notre attention et ses impacts sur la gestion des états de tension intérieure.

Un médecin lausannois, le docteur Roger Vittoz, avait été un précurseur en la matière. Contemporain de Freud, il proposa une méthode « de rééducation par le contrôle cérébral » visant à traiter, selon le vocabulaire de l’époque, les « psychonévroses », soit ce vagabondage cérébral anxieux et épuisant auquel tout névrosé qui se respecte (c’est-à-dire tout un chacun) est rudement soumis.

Vittoz considérait que la priorité pour une personne en désarroi face à ses émotions ou ses pensées était de trouver une maîtrise sur son fonctionnement cérébral. À l’inverse de la psychanalyse naissante, il tenait que l’analyse des contenus problématiques était de moindre priorité que la rééducation dans l’usage de sa conscience.

De nombreuses expériences en laboratoire ont montré l’effet, immédiat et durable, des pratiques de méditation dans le sens de calmer la réactivité émotionnelle de notre système limbique, et de développer des circuits cérébraux axés sur des valeurs de tolérance et de compassion.

À la confluence de la psychologie de la conscience et de la psychologie positive, de nombreuses propositions s’inscrivent aujourd’hui dans le paysage des pratiques de soins et de gestion du stress, décliné à l’intention des patients, mais aussi des milieux de la formation, des entreprises, et de l’industrie du bien-être.

Il est vrai que les bénéfices de telles approches sont avérés, et qu’il serait dès lors peu compréhensible de s’en priver. Certains auteurs (dont Fabrice Midal, philosophe et grand spécialiste de la méditation) mettent en garde contre le risque de transformer des pratiques méditatives considérées en Orient comme des véhicules de rencontre avec soi assez impitoyables en pommade anesthésiante. Dénonçant notre « matérialisme spirituel » ils soulignent que le sens de la méditation authentique est de nous confronter sans concessions au réel de qui nous sommes, dans toutes nos dimensions intérieures. En faire un consolateur à bon compte de nos misères risque de camoufler et de refouler plus encore le réel de notre détresse et en fin de compte de nous rendre un bien mauvais service.

Il est vrai que l’expérience de la méditation, sur la durée, est tout sauf l’ingurgitation d’un sirop de pseudo-bien-être. Elle nous conduit à entrer en relation de manière brute avec nous-mêmes et de l’entier de ce qui nous compose. Au passage, elle met en lumière dans sa nudité la souffrance qui nous habite. Les traditions spirituelles de l’Orient tiennent qu’il s’agit d’un passage obligé, et que l’aspirant sera éprouvé, ayant à trouver en lui les ressources de sa vaillance pour affronter ses propres démons.

Notre culture est aujourd’hui tellement en lutte avec cette zébrure fondamentale de l’humain, en dénégation de sa complexité existentielle et psychique, qu’on voit effectivement le risque que la pratique de la méditation soit (comme les médicaments psychotropes prescrits évidemment à l’excès dans notre société) des instruments supplémentaires pour nous maintenir coupés de nous-mêmes, en quelque sorte adaptés socialement à tout prix.

Le psychiatre Yves Prigent proposait dans un ouvrage célèbre (« L’expérience dépressive ») que la dépression était une réaction salutaire sur le plan psychique à une coupure trop virulente d’avec soi-même. Et que sans en nier la souffrance ni refuser à en médiquer au besoin et temporairement l’excès, il importait de rencontrer à bras-le-corps ce qu’elle signale. Il décrit également la situation, bien plus tragique à ses yeux, de ces êtres « normosés » qui ne sont même plus suffisamment en bonne santé pour entrer en dépression et continuent de fonctionner, un peu comme des robots, soumis et suradaptés à des pressions professionnelles, sociétales, familiales malsaines.

Fabrice Midal insiste sur le fait que la méditation et la pratique des états modifiés de conscience ont à être préservées dans leur capacité d’ébranlement. On relèvera au passage qu’aucune culture traditionnelle n’a jamais proposé celles-ci comme une espèce de raccourci autoroutier vers un état de bonheur à bon compte.

Le paradigme techno scientiste qui régit notre monde contemporain commet des dégâts considérables par « aplatissement » des réalités existentielles et humaines. Les systèmes de soins sont entrés depuis une dizaine d’années, sous la double pression des systèmes dits « qualité » et des contraintes économétriques, dans de redoutables états de souffrance institutionnelle. Les principaux indicateurs reconnus en la matière sont actuellement en rouge dans la plupart des institutions soignantes.

La réponse habituelle face au stress des collaborateurs consiste précisément à proposer des formations visant à leur donner des outils individuels pour arriver à mieux le « gérer ». Alors que les stresseurs les plus impactants relèvent des niveaux structurel et fonctionnel dans l’organisation du travail. On voit donc la perversité qu’il y aurait à instrumentaliser à des fins « dopantes » des pratiques dont le sens est de mettre à nu le réel.

Il ne s’agit pas pour autant de se priver de ceux en quoi elles peuvent être utiles dans le sens de générer de l’apaisement. Mais de s’assurer que le complément indispensable, celle de la mise à nu et de l’amplification de la lucidité sur l’organisation et les relations humaines, particulièrement lorsqu’elles sont en souffrance, ne soient pas niées au passage.

Un moment passionnant

Nous nous trouvons aujourd’hui à un moment passionnant de l’évolution de notre espèce. Celle-ci s’est effectuée au cours des âges à travers un ensemble de transformations neurologiques. Le philosophe Michel Serres propose par exemple une lecture de la révolution numérique en cours à la lumière des grands chocs précédents : l’accès à la bipédie, le couplage cybernétique main/cerveau, le développement du langage, l’invention de l’écriture, le passage (vers le VIIIe siècle) à la lecture mentalisée puis la révolution de l’imprimerie : autant d’étapes qui auront bouleversé de manière fondamentale notre manière d’être et notre relation au monde.

Nous sommes aujourd’hui à un moment de l’histoire où se développe une nouvelle conscience collective réflexive sur l’usage de notre cerveau et de notre système nerveux. À la confluence des sagesses traditionnelles (qui ont défriché un territoire immense en la matière) et de nos connaissances actuelles dans les domaines de la psychologie, de la neurophysiologie et des sciences sociales, émerge une réflexion sans précédent sur nos possibilités de faire évoluer nos processus psychiques individuels et collectifs en développant une maîtrise quant à certains « codages ».

C’est une évidence que la médecine de demain puisera de manière beaucoup plus franche dans ce réservoir de possibilités pour aider les personnes en souffrance dans leur santé à mobiliser des ressources de résilience et d’autoguérison. Mais le champ évolutif dépasse de beaucoup la pratique médicale puisqu’il s’agit en définitive de comprendre comment nous sommes conditionnés dans notre biologie et selon nos héritages individuels et collectifs à percevoir le monde d’une manière partiellement biaisée.

L’exploration des états modifiés de conscience (et donc de la modulabilité de cette « conscience-qui-donne-forme-à-la-réalité ») est une pierre de touche fondamentale de cette construction nouvelle.

52_1_Les-etats-modifies-de-conscience_Michel_Dependances_2014.pdf
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