décembre 2024
Nathalie Jacquard, Dr Didier Delessert, Nadia Fucina, (Service de médecine et psychiatrie pénitentiaire SMPP, CHUV) et Christiane Sauvageat (SPEN).
Depuis mars 2021, un PRogramme d’Échange de Matériel d’Injection Stérile (PREMIS) a été déployé sur tous les établissements de détention pour adultes du Canton de Vaud. Si le principe de Réduction des Risques (RDR) de la politique des quatre piliers, adoptée en Suisse en 2008, est reconnu et approuvé par les collaborateur·rice·s du Service Pénitentiaire (SPEN) comme du Service de Médecine et Psychiatrie Pénitentiaires (SMPP), la mise en œuvre d’un tel programme a soulevé de nombreux questionnements. Comment accepter que des personnes détenues puissent consommer dans un lieu privé de liberté où toute consommation de substances est proscrite ? N’est-ce pas paradoxal qu’elles puissent posséder du matériel d’injection en cellule ? Comment assurer la sécurité du personnel et celle des autres personnes détenues ? Ces inquiétudes sont légitimes et méritent d’être entendues et réfléchies. En s’appuyant sur une enquête de satisfaction menée par le Centre universitaire de médecine générale et santé publique (ESOPE), des pistes d’amélioration ont pu être proposées pour faciliter l’acceptation du PREMIS. Cet article relate les différentes étapes de l’implémentation de ce programme cantonal.
Le milieu de détention est considéré comme un lieu propice à la transmission de maladies infectieuses. Selon l’enquête ESSPRI 1réalisée par l’Observatoire Français des Drogues et des Tendances addictives (OFDT) en 2023, 52% des détenus hommes interrogés déclarent consommer au moins une substance psychoactive illicite ou interdite en prison (voir également l’article de Spilka, Simioni et Protais, dans ce numéro]. Cette proportion correspond à celle relevée par le Service de Médecine et Psychiatrie Pénitentiaires (SMPP) dans les prisons du canton de Vaud.
Selon une étude réalisée à la prison de Champ-Dollon, la forte prévalence des personnes détenues consommatrices de substances psychoactives illicites (dont 15,4% par injection), leur état de santé général souvent précaire (prévalence pour le virus de l’immunodéficience humaine, le virus de l’hépatite B et le virus de l’hépatite C variant entre 4 et 9,5%), leur vulnérabilité psychique péjorée par la promiscuité induite par la surpopulation carcérale et le manque de moyens de prévention, créent des conditions à risque de transmission des maladies infectieuses à l’intérieur de la prison 2.
Outre l’adoption de la politique des quatre piliers en 2008, la Suisse a adopté en janvier 2016 la nouvelle Loi sur les épidémies (LEp) et son ordonnance d’application (OEp). L’article 30 de l’ordonnance « Mesures de prévention dans les établissements de privation de liberté » stipule que : « les établissements de privation de liberté doivent veiller en particulier à ce que les personnes dont ils ont la charge (…) aient accès, selon les besoins et la situation, aux moyens permettant de prévenir et traiter les maladies sexuellement transmissibles ou transmissibles par le sang, en particulier à des préservatifs, à du matériel d’injection stérile et à un traitement à base de stupéfiants ».
En septembre 2017, les directions respectives du SPEN et du SMPP décident de créer un groupe de travail (GT) composé de professionnel·le·s du SMPP, de Unisanté, du SPEN et de la Direction générale de la santé. Le GT était mandaté pour réfléchir à la mise en application de la Loi sur les épidémies dans les établissements pénitentiaires du canton de Vaud et de proposer un projet pilote de remise de matériel d’injection stérile aux personnes détenues dans ces établissements.
En s’appuyant sur le rapport 3 de 2016 réalisé par l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive (IUMSP) « Inventaire et description des modalités de remise de matériel d’injection stérile en milieu carcéral suisse », et sur l’expérience de la prison de Champ-Dollon, un Programme d’Échange de Matériel d’Injection Stérile (PREMIS) a été réfléchi et validé.
Le GT a dû se positionner sur le mode d’échange de matériel d’injection stérile. En effet, plusieurs possibilités existent :
C’est ce dernier modèle qui a été choisi pour le PREMIS dans le canton de Vaud.
Le repérage des personnes s’effectue lors de la visite d’entrée infirmière qui est systématiquement effectuée dans les 24 heures qui suivent l’arrivée de la personne en détention. Les consommations de substances psychoactives et le mode de consommation sont évalués. Les personnes indiquant une consommation injectée sont informées du PREMIS. Si elles manifestent un intérêt pour la mise en place de ce programme, un entretien médico infirmier est planifié pour signer le contrat de soin qui précise le mode d’échange, le lieu où le matériel doit être stocké hors consommation, les recommandations de consommation à moindre risque et les motifs de suspension du PREMIS (menaces hétéro agressives, partage de matériel, non-respect des règles de sécurité, perte ou disparition du matériel…). Il est rappelé que les consommations de substances psychoactives non prescrites sont interdites et qu’elles sont effectuées sous leur entière responsabilité. Un contrat de collaboration SPEN/SMPP est établi, informant notamment de la présence de matériel médical en cellule.
Le matériel d’injection stérile est remis quotidiennement à la personne détenue par le personnel soignant ainsi qu’un contenant transparent permettant de restituer l’aiguille usagée en toute sécurité. Le matériel d’injection est conditionné dans des boîtes réalisées par l’intermédiaire de la fondation Le Relais via des structures partenaires de l’antenne REL‘IER. Un relevé mensuel du nombre de seringues échangés est effectué.
En cas d’incidents, le contrat est suspendu et peut donner lieu à des sanctions disciplinaires prononcées par le SPEN. Des fouilles de cellule ou des contrôles urinaires aléatoires sont possibles, comme pour toutes autres personnes détenues, mais ne sont en aucun cas associés au fait du PREMIS.
Afin d’expérimenter le PREMIS, la prison de La Croisée à Orbe a été choisie comme site pilote. Une des étapes essentielles à la réussite de ce programme était d’obtenir l’adhésion et l’implication de l’ensemble du personnel pénitentiaire et soignant. Pour cela, des sessions de formation obligatoire destinées à l’ensemble des collaborateur·rice·s ont été organisées.
La phase pilote a démarré en août 2020. Sur six mois, deux personnes ont intégré le PREMIS. Elles ont été respectueuses du cadre proposé. Le personnel soignant a constaté une amélioration de l’alliance avec les patients concernés. Tout au long de la phase pilote, des supervisions cliniques ont été proposées à quinzaine aux équipes ainsi qu’une disponibilité permanente des cadres. Deux incidents en lien avec le déroulement du programme ont été relevés (aiguilles non rendues) mais ont démontré une collaboration efficace avec le SPEN et une restitution du matériel usagé.
À l’issue de la phase pilote, un questionnaire anonyme a été transmis par voie électronique à l’ensemble du personnel soignant et pénitentiaire afin d’évaluer leur vécu du PREMIS. Un taux de participation de 84% a été relevé. Il en ressortait principalement une amélioration de 30% dans l’adhésion au programme. Avant la phase pilote, 40% du personnel SPEN et 60% du personnel du SMPP avaient un avis favorable par rapport au PREMIS. Au terme de la phase pilote, le personnel du SPEN était favorable au PREMIS à 70% et le personnel SMPP à 90%. La satisfaction vis-à-vis des apports de la formation et de la supervision se situait entre 85 et 95% et vis-à-vis de la collaboration entre le personnel du SPEN et du SMPP à 95%.
Sur la base de ce rapport, le GT a décidé d’implémenter le PREMIS sur les cinq établissements de détention du canton de Vaud.
Un travail préalable avec les directions de chaque établissement a été réalisé afin de définir les modalités d’application du PREMIS selon les spécificités de chaque site. Les formations ont été agendées afin que l’ensemble du personnel SPEN et SMPP puisse y participer avant le déploiement du programme. Le lancement de l’offre s’est échelonné entre décembre 2021 et mars 2022. Des supervisions cliniques ont pu être proposées sur demande aux équipes soignantes pour répondre à des questionnements éthiques ou organisationnels.
L’enquête de satisfaction anonyme a été reproduite un an après l’implémentation du PREMIS sur tous les sites du Canton de Vaud afin d’évaluer la satisfaction du personnel SPEN et SMPP.
Le taux de participation était dans les normes par rapport à ce type d’enquête (53% de répondant·e·s). Les convictions personnelles avant le déploiement du PREMIS et après ont moins évolué que lors de la phase pilote. En effet, 16,6% du personnel pénitentiaire et 23,8% du personnel SMPP ont affirmé que leurs convictions personnelles vis-à-vis du PREMIS avaient changé (contre 30% d’évolution lors de la phase pilote). La collaboration entre le SPEN et le SMPP a été vécue différemment selon les équipes : Pour le SMPP, elle a été évaluée comme très bonne dans plus de 80% des cas. Pour le SPEN, 46,6% l’estiment très bonne mais 18,8% l’ont vécue plus difficilement. L’analyse thématique des doléances liées au PREMIS met en exergue le sentiment d’insécurité (risque d’accident, problème entre co-détenu·e·s, crainte d’agressions envers le personnel) ainsi qu’une incompréhension du principe de RDR. Il a toutefois été constaté que le volet formation/information devait être amélioré, les résultats montrant que 32% du personnel SPEN et 46% du personnel SMPP n’avaient pas reçu la formation réalisée avant l’implémentation (personnel embauché après le déploiement du PREMIS).
En effet, on constate que les personnes ayant émis le plus de doléances par rapport au PREMIS sont celles qui n’ont pas reçu la formation. De plus, la supervision régulière au sein des équipes soignantes contribue à une meilleure compréhension du programme. Quand bien même le nombre de personnes détenues intégrant PREMIS est relativement bas (soit une dizaine de personnes sur une année pour tous les établissements confondus), il est important que les collaborateur·rice·s soient bien informé·e·s en ce qui concerne le PREMIS. Chacun·e peut en effet être amené·e à un moment ou à un autre à prendre en charge une personne détenue faisant partie de ce programme.
Le second axe de réflexion est l’amélioration de la collaboration entre SPEN et SMPP. En effet, sur la seconde enquête, on perçoit parfois une certaine incompréhension du personnel SPEN (secret médical, confusion/crainte sécuritaire). Une rencontre réunissant les responsables de toutes les prisons du Canton de Vaud a permis d’échanger sur ces éléments.
Des réflexions sont en cours pour améliorer l’information au sujet du PREMIS dès l’entrée des nouveaux membres du personnel par leurs responsables « métier ». Le programme de formation est en cours de révision afin d’intégrer plus rapidement la RDR en milieu de détention.