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  3. Dépendances 80
  4. Trajectoire socio-pénales de personnes précarisées et consommatrices de drogues

Trajectoire socio-pénales de personnes précarisées et consommatrices de drogues
Lucile Franz, Haute École de travail social et de la santé, Lausanne
Addiction en milieu carcéral : risques et opportunités
Dominique Marcot, psychiatre, médecin-chef de la filière légale du centre neuchâtelois de psychiatrie
Interview
Interview de Julien Maret par Camille Robert et Jean Clot
Parcours pénal, soins et réinsertion : regards croisés et perspectives d’avenir
Loïc Sottas, (Canton de Neuchâtel), Philippe Barboni, (Ministère public du Canton de Fribourg), Jean Clot, ( GREA), Sandrine Hauswirth, (Centre suisse de compétences en matière d'exécution des sanctions pénales), Nicolas Turtshi, ( Établissement de détention La Promenade)
Les consommations de drogues en prison en France
Stanislas Spilka, Caroline Protais (Observatoire français des drogues et des tendances addictives OFDT), Melchior Simioni (Université de Strasbourg)
Interview
Interview de Anne-Claire Brechet Bachmann (HUG) par Barbara Broers (HUG)
Déploiement du PREMIS dans les prisons vaudoises
Nathalie Jacquard, Dr Didier Delessert, Nadia Fucina, (Service de médecine et psychiatrie pénitentiaire SMPP, CHUV) et Christiane Sauvageat (SPEN).
Réduire les risques liés au tabac en prison, c’est possible : un projet pilote neuchâtelois autour de la vapoteuse
Magda De Pasquale (Établissement d’Exécution des Peines de Bellevue, Gorgier)

Dépendances 80 - L’univers carcéral: Trajectoire socio-pénales de personnes précarisées et consommatrices de drogues

décembre 2024

Trajectoire socio-pénales de personnes précarisées et consommatrices de drogues

Lucile Franz, Haute École de travail social et de la santé, Lausanne

Les institutions de régulation, qu’elles soient sociales ou pénales, jouent un rôle essentiel dans la vie des personnes souffrant d’addiction. Cependant, ces structures ont été conçues pour une tranche de la population correspondant à une norme qui ne reflète pas toujours la réalité des consommateur·rice·s de stupéfiants. Le système socio-pénal en place ne risque-t-il pas, dès lors, d’ajouter un niveau supplémentaire à la discrimination déjà subie par ces personnes ? Permet-il réellement de favoriser une sortie « par le haut », ou contribue-t-il au contraire à renforcer leur discrimination ?

Une multiplicité d’institutions

Manuel (nom fictif) est Suisse et a 55 ans. Il vit dans un appartement dans la région de la Riviera, qu’il a obtenu par le biais des services sociaux. Malgré la stabilité de son logement, il considère que sa situation reste précaire, et souffre d’isolement social et de problèmes de santé. Ancien électricien et détenteur d’un CFC, Manuel acheminait de la drogue entre deux villes romandes au début des années 2000, afin d’arrondir ses fins de mois. Cette activité devenue routinière pendant un temps, l’a conduit à se faire arrêter par la police ferroviaire. Il a été condamné à une peine de privation de liberté, assortie d’environ 100’000 CHF de dettes (frais de justice et autres). Depuis sa sortie de prison en 2012, Manuel perçoit le revenu d’insertion. Toutefois, son âge avancé, ses antécédents pénaux ainsi que son état de santé limitent ses perspectives de réinsertion professionnelle. Toujours en phase active de consommation, il ressent une frustration face à la non-reconnaissance d’un droit à l’assurance invalidité (AI), sa consommation étant perçue comme la cause de son incapacité professionnelle. Néanmoins, il aspire à trouver une activité pour atténuer son sentiment d’inutilité. Il fréquente un centre d’accueil à bas seuil de la région Riviera, où il effectue des « petits jobs » en échange de repas gratuits et de lien social (extrait du journal de terrain, janvier 2020).

Cette vignette est tirée d’une thèse de doctorat en sociologie, fondée sur une enquête qualitative menée auprès de professionnel·le·s des champs social et pénal, ainsi que sur une ethnographie conduite dans des centres d’accueil à bas seuil d’accessibilité du canton de Vaud. L’objectif était de comprendre les trajectoires institutionnelles de personnes en situation de précarité et ayant une dépendance aux drogues. Cette recherche a révélé que, comme Manuel, de nombreuses personnes précarisées et consommatrices croisent une multitude d’institutions de régulation. Elles sont à la fois bénéficiaires de prestations sociales (principalement de l’aide sociale, ou parfois l’AI lorsque l’assurance entre en matière), usagères des structures d’accueil à bas seuil, et cibles d’interventions policières, les conduisant à fréquemment faire l’expérience de la prison. Ainsi, elles naviguent entre diverses institutions étatiques, qui révèlent tantôt un visage « social » ou « sanitaire », orienté vers l’accompagnement, la prévention ou la réduction des risques, tantôt un visage « sécuritaire », les entraînant dans l’appareil répressif. Paradoxalement, en dépit de cette pluralité d’acteurs, l’absence d’un accompagnement global les laisse dans un vide institutionnel.

Des politiques sociales normatives fondées sur l’insertion professionnelle

Les politiques sociales sont largement construites autour de la centralité de l’emploi comme principal levier de l’insertion et de la protection sociale. L’accès aux prestations, et notamment aux assurances sociales, est conditionné par des critères de participation au marché du travail, qui rendent ces dispositifs difficilement accessibles aux personnes en situation de précarité et de consommation active. Ces personnes, à l’instar de Manuel, disposent de peu de perspectives professionnelles et se trouvent souvent exclues des politiques insertionnelles, qui façonnent pourtant la protection sociale depuis plusieurs décennies 1. Leur incapacité à s’insérer durablement dans l’emploi, les place en marge du système de protection sociale, renforçant ainsi un ancrage à l’aide sociale ou à des structures d’accueil à bas seuil d’accessibilité, davantage axé sur des formes de travail social palliatif 2. En ce sens elles sont souvent mal protégées par les dispositifs sociaux.

Une régulation pénale à la défaveur des personnes « désinsérées »

La sociologie de la prison a depuis longtemps démontré que la construction de la réalité pénale s’effectue dans un contexte de rapport de pouvoir, qui se joue à la fois en dehors et en amont des institutions pénales. Cette « sélectivité pénale » s’exerce à deux niveaux.

D’une part, elle se manifeste par la tendance des pouvoirs publics à déployer des dispositifs sécuritaires pour répondre à certaines problématiques sociales liées à la précarité, par exemple la consommation de drogues dans l’espace public. Les personnes concernées, dont les comportements sont perçus comme déviants par rapport aux normes dominantes, font l’objet d’une attention accrue de la part des forces de police, qui concentrent leurs interventions sur ces populations jugées « à risque ». Cette modalité de fonctionnement augmente la probabilité d’une rencontre avec les institutions pénales.

D’autre part, une fois entrée dans le système pénal, les personnes précarisées et consommatrices sont fréquemment confrontées à l’institution carcérale, alors même que les illégalismes commis relèvent d’infractions mineures, telles que des incivilités, la consommation de drogue ou des troubles à l’ordre public. Les écrits de Foucault montrent que les comportements « typiques » des classes défavorisées ont historiquement été davantage sanctionnés par la privation de liberté 3. Dans cet héritage, de nombreuses recherches ont mis en lumière que « la prison est un lieu où l’on envoie plus aisément les démunis[sic] » 4 et qu’elle « ne fait que transposer, voire exacerber, au cœur de la détention, les inégalités sociales à l’œuvre à l’extérieur »5. Il en découle une relation étroite entre précarité et incarcération, et les personnes désinsérées, précaires et consommatrices sont davantage exposées à l’enfermement en raison de leur éloignement des normes sociales attendues.

Concrètement, au sein du système pénal suisse, cela se manifeste à travers trois aspects : les peines de substitution ; le régime de jour-amende et l’orientation vers la gestion du risque de récidive. Les peines de substitution, telles que la semi-liberté, les travaux d’intérêt général ou la surveillance électronique, sont difficilement accessibles aux personnes précarisées et consommatrices de drogue. Ces mesures requièrent un certain degré d’insertion socio-professionnelle (20 heures de formation ou d’activité professionnelle par semaine) ou l’existence d’un logement stable. Des personnes « inactives », désaffiliées ou en phase active de consommation, ont donc peu de chance de bénéficier de ces peines puisque, ce sont les critères de l’insertion qui sont déterminantes dans leur prononcé : leur objectif est de ne pas perturber l’équilibre de vie des personnes insérées (logement, travail et formation). Le système pénal semble ainsi conçu pour une population insérée, pour laquelle les conséquences de l’enfermement sont anticipées et prises en compte. Dès lors que les personnes se trouvent en marge du cadre normatif dominant, la dynamique change, et les peines visent d’abord à appréhender la situation vécue.

Lorsque les infractions commises sont de faible gravité, elles sont généralement sanctionnées par des amendes ou des peines pécuniaires, prononcées sous forme de jours-amende. Cependant, en cas de non-paiement, ces jours-amende sont convertis en jours de détention. Il existe donc, au sein du Code pénal suisse, un lien direct entre l’incapacité financière d’un individu à s’acquitter de sa peine et son incarcération.

Enfin, l’orientation vers la gestion du risque de récidive adoptée dans la plupart des systèmes pénaux des pays occidentaux depuis la fin du XXème siècle 6, confère à la prison un rôle de « gestionnaire des risques » vis-à-vis des populations précarisées. Le non-emploi, des relations sociales fragilisées ou la présence d’addiction contribuent à une surévaluation du risque criminogène, en particulier, lorsque la sortie de prison n’est pas accompagnée de programmes sociaux spécifiques.

La prison et au-delà : une difficile réinsertion

Pour certaines personnes précarisées et consommatrices, la prison peut apparaître comme un lieu « désirable », offrant davantage de soins et de confort que ceux disponibles à l’extérieur. Elle remplit une fonction sociale en assurant une prise en charge sanitaire, sociale, alimentaire et médicale, avec notamment la mise en place de traitements avec prescription d’opioïdes et/ou d’accompagnements dans des processus de sevrages. Les contraintes administratives de la vie quotidienne sont mises sur pause ou prises en charge durant la détention, souvent grâce à l’intervention de travailleur·euse·s sociaux·ales en milieu fermé.

Cependant, cette parenthèse « protectrice » engendre également toute une série de conséquences matérielles, symboliques, morales et relationnelles qui se répercutent bien au-delà des murs de la prison 7. Si la détention offre un répit temporaire, la sortie n’en est que plus pénible. Les personnes doivent réapprendre des compétences de vie quotidienne qu’elles ont désapprises, tout en faisant face à des difficultés supplémentaires telles que les dettes accumulées ou la perte de logement. En outre, le suivi social entre l’intérieur et l’extérieur n’est pas toujours fluide ; il peut exister des ruptures dans la communication entre les travailleur·euse·s sociaux·ales en milieu carcéral et ceux·celles· intervenant à l’extérieur, rendant ainsi les processus de réinsertion encore plus complexe. Des consommations précipitées au moment de la sortie peuvent également s’avérer dangereuses.

Pour un accompagnement holistique et durable : un rôle à trouver dans le travail social ?

Dans les trajectoires des personnes précarisées et consommatrices, la prison se présente comme un point de jonction des différentes chaînes institutionnelles, allant du contrôle social informel au système pénal, en passant par des structures intermédiaires telles que les institutions de protection sociale et les centres d’accueil à bas seuil. Chaque institution opère un tri, une sélection, et une classification des individus selon des critères qui leur permettent de proposer des solutions adaptées à la majorité.

Cependant, cette logique de ciblage exclut une minorité – inadaptée, inclassable, indésirable –sans cesse renvoyée d’une structure à l’autre. Dans cette perspective, la prison apparaît comme le résultat de cet incessant renvoi et comme l’aboutissement d’un parcours de déclassification des individus. Les discriminations institutionnelles initiées au sein des politiques sociales, poursuivent leurs cours dans chaque étape du processus pénal.

Cela découle de l’existence de situations mêlant précarité, désinsertion et consommation, qui ne sont pas prises en charge de manière adaptée. Les individus se retrouvent ainsi partiellement soutenus par des institutions de sécurité sociale, ce qui révèle un écart entre les dispositifs standardisés et la réalité des parcours non linéaires des personnes en situation de précarité et de dépendance. Elles se trouvent piégées dans un enchevêtrement de structures socio-sanitaire et pénales, lesquelles compliquent leurs trajectoires et fragilisent toute tentative de sortie de la précarité. Cette double exposition aux institutions de sécurité et d’assistance illustre une logique d’exclusion, où les réponses apportées sont souvent inadaptées aux besoins. L’incarcération, loin de résoudre les problèmes de précarité ou de dépendance, tend au contraire à les exacerber.

Une approche globale est nécessaire, prenant en compte les différentes dimensions de la précarité et proposant des solutions de (ré)insertion mieux adaptées aux réalités complexes des personnes concernées. Récemment, plusieurs voix se sont élevées en faveur de l’ajout d’un cinquième pilier au sein de la politique drogue, axé sur le travail social, afin d’accompagner ces situations de manière plus holistique, en lien avec l’hébergement, la précarité et l’insertion des personnes consommatrices et précarisées 8). Actuellement, ces personnes n’appartiennent à aucune véritable catégorie d’action sociale et sont souvent accompagnées par des formes de travail social palliatif. Sans une telle réflexion, la prison continuera d’être un instrument de gestion des risques sociaux, un « dernier recours » pour des individus comme Manuel.

80_1_Trajectoires-socio-penales-de-personnes-precarisees-et-consommatrices-de-drogue_Franz_Dependances_2024.pdf
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  1. Zwick Monney M. Les échecs de l’insertion. Rouages et engrenages d’un mouvement permanent. Zurich : Seismo, 2015.[↑]
  2. Soulet M.-H. La reconnaissance du travail social palliatif. Dépendances, 2007 ; 33(12) : 14-18.[↑]
  3. Foucault M. Surveiller et punir. Paris : Gallimard, 1975.[↑]
  4. Combessie P. La prison. Sociologie d’un monde clos. Paris : Armand Colin, 2001.[↑]
  5. Chantraine G. Prison, désaffiliation, stigmate : L’engrenage carcéral de « l’inutile au monde contemporain ». Déviance et société, 2003 ; 4(27) : 363-387.[↑]
  6. Feeley M., Simon J. The new penology: Notes on the emerging strategy of corrections and its implications. Criminology, 1992 ; 30(4) : 449-474.[↑]
  7. Rostaing C. Une institution dégradante, la prison. Paris : Gallimard, 2021.[↑]
  8. GREA, Recommandation des professionnel·le·s des addictions pour la disparition des scènes ouvertes de consommation et une approche globale d’accompagenement des personnes concernées, https://www.grea.ch/sites/default/files/recommandations_grea_15.09.2023.pdf, (Consulté le 16.09.2024[↑]

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