décembre 2019
Carole Devaux (Luxembourg Institute of Health) ; Nadine Berndt (Observatoire européen des drogues et des toxicomanies) ; Rita Seixas (Observatoire européen des drogues et des toxicomanies)
L’hépatite C chez les consommateurs de drogues par injection
En Europe, 75% des nouvelles infections par le VHC sont liées à la consommation de drogues par injection, ce qui révèle une transmission active parmi les usagers de drogues par ce mode d’administration. Dans plusieurs pays de l’UE, plus d’une personne sur deux consommant des drogues par injection est séropositive au VHC ; parmi les usagers de drogues par injection (UDI) à long terme, la prévalence du VHC peut atteindre plus de 80% (Wiessing, Ferri et al., 2014 ; EMCDDA, 2016 ; 2019). Au Luxembourg, les UDI restent une population clé pour la transmission du VHC (Roman, Hawotte et al., 2008). Une étude nationale a ainsi montré que le taux de séroprévalence VHC chez les UDI atteignait 65% entre 2015 et 2018 mais que seulement 16,5% des UDI ayant une charge virale détectable parvenait à l’hôpital pour le traitement VHC (Fischer, Devaux et al., 2017 ; EMCDDA, 2019).
Les directives européennes recommandent pourtant de fournir un traitement à toutes les personnes à risque de transmettre la maladie afin de réduire la transmission dans la communauté : c’est là un élément essentiel de la stratégie d’élimination de l’hépatite C (Pawlotsky, Negro et al., 2018) qui requiert une approche intersectorielle de la question.
La finalité : surpasser les barrières au dépistage et faciliter l’accès au traitement
Afin de réduire la prévalence des maladies infectieuses chez les UDI, le Point Focal Luxembourgeois de l’OEDT 1 (PFLDT) s’est attelé à l’évaluation de la situation actuelle concernant le dépistage et l’accès au traitement du VHC pour les UDI. Cette évaluation est inscrite parmi les axes stratégiques du plan d’action national contre l’hépatite 2018-2022 (Arendt, Devaux, et al., 2017). Et ce, avec pour objectifs d’identifier les bonnes pratiques à mettre en place pour promouvoir le dépistage du VHC et de faciliter l’accès aux soins dans les centres de traitement pour des UDI au Luxembourg, comme le recommande l’OEDT (EMCDDA, 2017 ; 2019). Le présent texte détaille l’organisation, le déroulement et les résultats de cette évaluation, intersectorielle s’il en est, devant servir de bonne pratique en vue de combattre l’hépatite C chez les UDI.
Le PFLDT a ainsi organisé en janvier 2019 une table ronde en étroite collaboration avec l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), le Robert Koch Institut (RKI) et le Luxembourg Institute of Health (LIH). Des experts et professionnels de la santé qui travaillent directement ou indirectement avec des UDI y étaient invités afin de trouver un consensus concernant les principales barrières et les solutions possibles pour augmenter le dépistage et l’accès au traitement du VHC pour les UDI. Pour guider les discussions de la table ronde, une liste des barrières au dépistage du VHC préalablement développée par le RKI a été utilisée (Sperle, Hedrich et al., 2018). Cette table ronde avait deux objectifs : l’identification des barrières en matière de dépistage et de traitement du VHC et la définition des facilitateurs/actions prioritaires afin de promouvoir le dépistage et de faciliter aux UDI l’accès au traitement du VHC.
À l’issue des discussions menées au sein des groupes de travail intersectoriel, il est apparu des barrières tant au niveau politique et de la société. La stigmatisation et la discrimination des UDI et des personnes VHC-séropositives ont été identifiées comme des obstacles majeurs à leur mobilisation pour se faire dépister. D’autre part, le dépistage du VHC n’est pas suffisamment accessible et nécessite une décentralisation de l’offre de dépistage (davantage d’offres dans les centres de traitement, dans les centres bas-seuil, dans les hôpitaux, chez les médecins). Cependant, le coût élevé du traitement du HCV au Luxembourg limite le clinicien dans ces prescriptions. Enfin, les critères d’éligibilité appliqués pour bénéficier d’un traitement sont trop stricts. Ces critères sont des facteurs qui démotivent le dépistage car les UDI pensent qu’ils ne seront pas éligibles au traitement. Les recommandations de traitement définies dans le plan national de lutte contre les hépatites devraient donc être suivies (Arendt, Devaux, et al., 2017 ; Pawlotsky, Negro et al., 2018).
Au niveau des prestataires, il apparaît que les barrières au dépistage reposent essentiellement sur l’insuffisance et l’inadéquation de l’offre : notamment le délai écoulé entre le test de dépistage et son résultat, le manque d’offres de dépistage (en termes de localisation et horaires d’ouverture), le manque de ressources humaines, et la perception d’un manque de garantie du respect de la confidentialité des résultats du dépistage. En termes d’insuffisance de l’offre, le nouveau règlement fixant les conditions de réalisation des Tests rapides à orientation diagnostique (TROD) de l’infection à virus de l’immunodéficience humaine, d’hépatites virales et d’autres infections sexuellement transmissibles (ministère d’État, 2018) contribuera à lever cette barrière en 2020 : il ouvre la possibilité à tous les centres de traitement et centres bas-seuil de réaliser des tests rapides. Une autre barrière importante au dépistage réside dans le fait que l’offre complète de diagnostic pour définir l’accès au traitement n’est pas réalisée dans un même endroit. Actuellement, il faut se déplacer à l’hôpital puis attendre deux semaines pour obtenir les résultats de la charge virale qui attestent d’une infection active. Considérant la longue durée de ce processus, les perdus de vue sont nombreux. Afin de simplifier le processus de dépistage et surtout de l’adapter à la réalité déstructurée des clients, une offre où tous les composants du dépistage sont intégrés est requise : TROD, fibroscan et charge virale avec une disponibilité garantie dans des centres bas-seuil et des centres de traitement.
Du point de vue des clients, les barrières au dépistage sont finalement liées aux barrières à l’accès au traitement. Plus spécifiquement, être séropositif pour le VHC n’implique pas nécessairement d’avoir accès au traitement : le traitement peut être refusé à des UDI non couverts par la sécurité sociale et qui maintiennent une consommation active par injection. Ainsi, réaliser un dépistage est souvent lié à la stigmatisation et ne conduit pas nécessairement au traitement. Afin de motiver des UDI à se faire dépister, les actions suivantes ont été discutées : l’application stricte des recommandations nationales pour la prise en charge thérapeutique des patients HCV et l’accès universel aux soins. De même, du point de vue du client, le dépistage du VHC n’est pas perçu par les UDI comme étant prioritaire. Avant de pouvoir entamer cette démarche, les UDI marginalisés ne doivent pas être confrontés à l’instabilité de la vie dans la rue et doivent pouvoir bénéficier des réponses du type Housing First (augmenter l’accès à des logements bas seuil) et des programmes de substitution bas-seuil (p. ex. par des unités de proximité mobiles). Un manque de connaissance et de conscience sur le VHC et les mythes autour de ce sujet au niveau des UDI sont des barrières qui peuvent être abordées par l’éducation thérapeutique, notamment par des pairs. L’offre de dépistage actuelle n’est pas suffisamment adaptée aux UDI (lieu, horaires d’ouverture et garantie du respect de la confidentialité). Pour réduire ces barrières, les intervenants de terrain ont rappelé l’importance d’élargir l’offre de dépistage dans des endroits fréquentés, d’augmenter les horaires disponibles, et de mettre à disposition des flyers de promotion des services de dépistage.
L’accès au bilan thérapeutique
Il est intéressant de noter que plusieurs actions ont été proposées lors de la table ronde pour faciliter l’accès au bilan thérapeutique. Citons-en quelques-unes :
D’un point de vue structurel, la création d’une offre de logement et de substitution bas-seuil ainsi que la proposition d’une alternative de prise en charge pour des cocaïnomanes ont été considérées comme des points d’actions essentiels pour la stabilisation, la structuration et la motivation au changement des clients. L’accès universel aux soins ou à court terme la mobilisation de fonds facilitant l’accès des UDI aux traitements médicaux ; l’accompagnement du client à l’hôpital, notamment pour le rassurer et lui garantir le respect de ses droits en tant que patient ; l’aide au niveau linguistique et dans la réalisation des documents administratifs ; la préparation d’un guide du processus du dépistage et du traitement du VHC : ces autres pistes ont également émergé des discussions menées.
L’accès à la prise en charge thérapeutique
Étant donné le prix du traitement du VHC, extrêmement élevé au Luxembourg, le principal obstacle de l’accès à la prise en charge thérapeutique est l’application inconsistante des critères de l’éligibilité pour le traitement. Par exemple, les critères « état de la fibrose hépatique » et « abstinence » sont pris en compte par les médecins pour décider de la prise en charge. Uniformiser ces critères apparaît donc plus que souhaitable, notamment pour envisager de traiter tous les UDI marginalisés en considérant l’objectif de l’OMS de réduire de 90% des nouvelles infections VHC d’ici 2030 (OMS, 2016). Ceux qui ont droit au traitement se heurtent à la délivrance du traitement exclusivement dans la pharmacie hospitalière et à l’organisation de la prise journalière du traitement (observance du patient). Pour remédier à cela, les actions proposées passent, pour les participants de la table ronde, par la décentralisation de la délivrance du traitement par toutes les pharmacies et par les programmes de substitution, ainsi que par la décentralisation de l’offre de traitement.
Le suivi pendant et après le traitement
Etant donné le manque de stabilité des patients, le suivi thérapeutique reste insuffisant. Afin d’éviter l’échec thérapeutique, il est important de travailler à une décentralisation des offres de traitement, une prise en charge continue, une approche interventionnelle multidisciplinaire, et à une offre de l’éducation thérapeutique/soutien par des pairs. De plus, l’accès au logement facilité et la création d’une structure bas-seuil pour la substitution sont des aspects primordiaux qui contribuent à la stabilisation des patients et au succès du traitement. Une situation plus stable des clients augmentera également la probabilité que les médecins prescrivent le traitement pour le VHC. Les participants de la table ronde étaient unanimes sur l’importance de diriger l’offre vers les patients, et non l’inverse, et sur le développement des interventions (p. ex. l’éducation thérapeutique) permettant de prévenir la réinfection.
Telle que présentée, cette table ronde illustre l’importance et la nécessité d’une approche intersectorielle dans la prise en charge socio-sanitaire de l’hépatite C pour les UDI au Luxembourg. Cette initiative est un exemple de bonne pratique à envisager pour le développement de nouvelles interventions ou l’élaboration d’un plan d’action national. En permettant aux acteurs de terrain de participer tant à l’identification des difficultés, à différents niveaux, qu’à l’émergence de solutions, l’approche présentement décrite renforce, nous semble-t-il, la cohésion des différents acteurs impliqués et favorise la synergie des interventions.
Elle constitue, par ailleurs et dans ce cas précis, une approche à long terme où les actions peuvent être évaluées chaque année pour atteindre l’objectif de l’élimination de l’hépatite C dans cette population vulnérable prioritaire.