décembre 2019
Dominique Lémond (Direction de la cohésion sociale de la Ville de Chalon-sur-Saône) ; Angéline Sanchis-Bisbrouck (collège Jean Pelletier) ; Isabelle Sédano (CSAPA)
Septembre 2019. À Orléans, dans le Loiret, le collège Jean Pelletier, 611 élèves, a effectué sa rentrée scolaire. « Je suis impatiente de voir le programme démarrer : nous avons quelques classes de sixièmes déjà difficiles », reconnaît Angéline Sanchis, principale adjointe. Il s’agit du programme Unplugged 1, pour lequel les sept professeurs principaux des classes de 6ème, soit 173 élèves, sont partis en formation sur deux jours. Chacun pourra ensuite initier dans sa classe les douze séances d’une heure, sur le rythme d’une séance par semaine, inscrites dans l’emploi du temps des élèves.
Chaque séance est menée par deux animateurs : l’enseignant formé et un professionnel de la prévention, en l’occurrence un représentant de l’Association pour l’écoute et l’accueil en addictologie et toxicomanie (Apleat-Acep) interviennent en duo. Jeux de rôle, travaux de groupe, quiz, Unplugged implique l’interactivité en mettant l’accent sur différentes thèmes : l’affirmation de soi et le respect des autres, la capacité à gérer ses émotions, l’évaluation critique des informations, la perception du risque, la correction des croyances normatives, la résolution de problèmes, l’amélioration des connaissances sur les produits et leurs effets… L’objectif est de « développer les facteurs qui vont être protecteurs pour que les jeunes aient moins besoin de se tourner vers les conduites à risques », résume Angéline Sanchis.
En 2015 déjà, Angéline Sanchis, alors conseillère principale d’éducation (CPE) dans un autre collège du Loiret, à Chécy, avait mis en place Unplugged avec l’Apleat-Acep : « Nous constations des manifestations de mal-être chez de nombreux élèves qui avaient du mal à gérer leurs émotions et à faire face aux obstacles de la vie courante, jusqu’à commettre des passages à l’acte comme la scarification. » La CPE avait été informée du programme par l’Apleat-Acep, pour qui « la prévention est l’affaire de tous, selon Nicolas Baujard, responsable du secteur jeunesse, même si elle est impulsée par des professionnels spécialisés ». Angéline Sanchis avait apprécié : « Un vrai partenariat s’est établi entre les intervenants du secteur de la prévention et les personnels du collège. »
Une équipe pluridisciplinaire, constituée de deux enseignantes, deux assistantes d’éducation, l’infirmière et elle-même a bénéficié d’une formation de deux jours « sur les outils de ce programme, très cadré, mais aussi sur les techniques de gestion de groupe et sur le changement dans les relations éducatives ».
Unplugged se déroule sur quatre années scolaires, durant lesquelles les enseignants devenus animateurs sont d’abord accompagnés puis, au fil d’un passage de relais progressif, s’autonomisent peu à peu : seules, les séances portant sur les substances psychoactives restent co-animées avec l’intervenant spécialisé en addictologie. Angéline Sanchis en est convaincue : « Il faut changer les mentalités et les façons de faire, ce qui peut prendre du temps. Mais les enseignants sont volontaires. » Car cette démarche implique la rencontre et la complémentarité de deux cultures, celle de l’Éducation nationale et celle de l’approche médico-sociale des addictions.
La principale adjointe du collège le reconnaît, « ce programme change la relation pédagogique qui reste encore assez descendante : il crée, grâce à ces regards croisés, un autre lien avec les élèves. Les jeux de rôle et les mises en situation font de la parole des élèves et des solutions qu’ils proposent le matériau de départ sur lequel on rebondit pour avancer. La relation éducative se fait aussi plus bienveillante ».
Aucun doute sur le succès du programme : « J’ai vu par exemple les élèves d’une classe difficile au départ parvenir, au bout de trois séances, à s’écouter, tenir compte de l’avis des autres, être plus posés, changer leurs croyances et représentations sur l’alcool et le tabac. Et le climat scolaire s’est amélioré. » Unplugged avait été évalué au niveau national, en 2016-2017, par Santé publique France, auprès de jeunes de la 6ème à la 4ème dans 66 classes de douze collèges, avant et après l’intervention. Le rapport publié en mai 2019 a conclu sur l’effet « bénéfique » du programme : il a « un effet protecteur sur les trois comportements de consommation recueillis (consommation de cigarettes et de cannabis et conduites en état d’ivresse) et modifie également les variables psychosociales directement ciblées (attitudes, compétences psychosociales, normes sociales) ».
Désormais, Angéline Sanchis songe à aller plus loin, toujours en partenariat avec l’Education nationale. Objectif : mettre en place en classe élémentaire, d’ici trois à quatre ans, un programme similaire de développement des compétences de vie, tel que « Good Behavior Game ».
Un autre programme de prévention des conduites addictives et d’intervention précoce en milieu scolaire est mené en partenariat avec l’Education nationale : Primavera 2. Il s’adresse cette fois-ci aux enfants de 9 à 13 ans, élèves des classes CM1, CM2 puis 6ème et 5ème. L’objectif est de « faire la jonction entre l’école et le collège pour permettre aux enfants d’être sensibilisés le plus en amont possible, dans le cadre d’une démarche éducative portée par la communauté scolaire », explique Isabelle Sédano, directrice à Saint-Quentin (Aisne) du Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) – Oppelia Horizon 02.
Primavera vise à « faciliter l’acquisition de compétences et à favoriser la réflexion et le changement de comportement, tel que signifié dans le cadre des programmes de prévention dits « probants » », note la directrice. Il se déroule sur quatre années consécutives : face à la faible portée auprès des jeunes des actions de prévention ponctuelles, « il fallait s’investir dans la durée et dans la continuité de l’intervention entre les établissements ». Le programme prévoit, là aussi, des activités de réflexion ludiques et participatives, en trois séances de deux heures, visant le développement des compétences psychosociales : « Donner des informations, essentiellement axées sur les dangers et les interdits est beaucoup moins efficace que de travailler sur de petites séquences ludo-éducatives, dans une ambiance bienveillante et coopérative. » Parmi les thématiques abordées : l’estime de soi, les relations interpersonnelles, savoir dire non, identifier les risques, se protéger.
Pour cela, l’association Oppelia a travaillé, au sein d’un comité de pilotage, avec des représentants de l’Éducation nationale – responsables d’écoles et de collèges, enseignants, conseillers d’éducation, infirmières scolaires- et des parents d’élèves. Résultat, depuis 2017, Primavera fait l’objet d’une recherche-action : il est ainsi expérimenté dans une cinquantaine d’écoles ou collèges de l’académie d’Amiens (Somme), sur une cohorte de 800 élèves scolarisés du CM2 à la 5ème, la moitié bénéficiaire et l’autre témoin. L’efficience du programme sur les consommations d’alcool et de tabac au collège est étudiée, jusqu’à juin 2020, dans le cadre d’un partenariat entre le Rectorat d’Amiens, le Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP) de l’Inserm et l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT).
Oppelia a animé les séances en classes de CM2 et assuré la formation des enseignants intervenant en collège. « Les adultes peuvent être sceptiques au départ sur l’intérêt pédagogique de la méthodologie utilisée, note Isabelle Sédano, mais quand on explique bien l’acquisition des aptitudes et le changement de comportements sur le long terme, l’efficacité devient évidente. » Au final, la démarche permet aux enseignants de « sortir des clichés des représentations sur les conduites à risques et addictives, d’avoir un regard moins réprobateur par rapport à certains comportements d’élèves, de prendre du recul. L’idée n’est pas que l’enseignant devienne un expert sur le sujet des addictions et sache repérer les produits consommés, mais qu’il ait un nouveau regard, une écoute adaptée, la bonne posture et la bonne parole, pour ne pas être dans un discours de jugement. La relation de confiance qui peut se construire alors permet l’orientation si besoin vers des professionnels du soin ».
Reste une condition essentielle, « que la démarche soit portée par le chef d’établissement qui doit donner les moyens de la mettre en place dans de bonnes conditions ».
D’autant que les établissements scolaires peuvent adapter les thématiques à leur environnement, comme par exemple l’alimentation ou le harcèlement scolaire. De plus en plus sollicité, Oppelia va bientôt former des formateurs et finalise une nouvelle version du programme, pour y intégrer la question des écrans.
Autre axe de prévention : aider les familles, parfois démunies face à l’éducation et aux relations parents/enfants. À Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), Dominique Lémond, conseillère conjugale et familiale à la Direction de la cohésion sociale de la Ville, a participé, en 2017 puis en 2018, à la mise en place des premiers programmes de soutien aux familles et à la parentalité (PSFP 3), initiés par l’association Sauvegarde 71 : ciblant les 12-16 ans, PSFP cherche à « développer des facteurs de protection et instaurer un climat familial positif ». Le principe : des exercices destinés à « améliorer la communication, la confiance, les relations au sein de la famille, les aptitudes à résoudre les problèmes et à régler des conflits », explique Dominique Lémond. Il se déroule sur quatorze sessions, participatives et ludiques, de deux heures et demi hebdomadaires chacune : un goûter pris en commun est suivi d’un temps séparé pour le groupe des adolescents et un autre pour les parents. Enfin, un temps partagé entre parents et enfants est l’occasion pour la famille de se retrouver autour d’activités constructives et de renforcer ainsi le lien.
« Pour la réussite du programme sur un territoire, souligne Dominique Lémond, il est important qu’un partenariat étaye la construction du projet. » Avec l’équipe de Kairn71, Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) de l’association Sauvegarde 71, il s’est agi de communiquer auprès des professionnel de la Ville, des maisons de quartier, du Centre communal d’action sociale (CCAS) afin de faire connaître le programme. Il s’est aussi agi de rencontrer les partenaires potentiels, de sensibiliser, former et recruter des animateurs, d’organiser et gérer la logistique des quatorze séances qui vont désormais se dérouler dans la Maison de la famille récemment inaugurée. Et tous les acteurs se sont impliqués dans le recrutement et le suivi des familles cibles – une dizaine par session – : les parents en difficulté sociale ou en précarité mais aussi ceux qui vivent une relation difficile avec leurs enfants.
Ce sont des binômes qui animent les séances : un professionnel de la prévention et un représentant de la ville ou du département qui a bénéficié de la formation au programme PSFP. Dominique Lémond a suivi une formation de trois jours à Paris, assurée par la Fédération Addiction, avec différentes équipes : Sauvegarde 71 et Kairn 71, l’Instance régionale d’éducation et de promotion de la santé (IREPS) de Bourgogne, les services d’Action éducative en milieu ouvert (AEMO). « Cela nous permet d’échanger et d’acquérir la méthodologie autour d’un programme très bien structuré, doté d’outils bien bâtis et qui réinterroge nos connaissances et nos pratiques, nous conduisant à nous appuyer sur ce que les parents savent faire, à parler de façon positive, sans faire de reproches. »
Le bilan est largement positif : « Les rencontres partenariales ont permis d’apprendre à mieux se connaître entre institutions et associations qui participent à la prévention et aux soins sur le territoire. » Par ailleurs, Dominique Lémond se réjouit de voir que « les familles sont assidues sur tout le programme, disent leur plaisir à venir, apprécient ces échanges sans jugement dans un climat convivial et respectueux, et renouent le dialogue avec leurs enfants. » Devenue coordinatrice locale du programme, elle l’élargit désormais aux enfants âgés de 6 à 11 ans et l’ensemble des supports de communication est en cours de révision afin de créer un document d’information commun aux deux tranches d’âge.
Autant de programmes de prévention « qui n’appartiennent pas uniquement à des spécialistes mais où chacun a un rôle à jouer », rappelle à la Fédération Addiction, Alexis Grandjean. Le responsable de mission anime une Plateforme d’appui opérationnelle depuis 2019 : « Notre démarche a consisté à mettre autour de la table des intervenants venus de secteurs très différents, des acteurs de terrain et des institutions. »
Un groupe de travail s’est constitué avec des objectifs définis : un langage commun, un diagnostic partagé, des réponses cohérentes avec des outils formalisés, actualisés, harmonisés et mutualisés pour des formations calibrées et partagées dans une politique de coopération. Il s’agit aussi de « valoriser les expertises de terrain et les personnes ressources », souligne Alexis Grandjean. Résultat, des programmes co-construits, des formations et des accompagnements pour leur déploiement dans une démarche qualité.