avril 2002
Marie-Louise Ernst, Valérie Dupertuis, Franziska Eckmann, Régine Linder, Geneviève Praplan, Claire Roelli
*«Au féminin, s’il vous plaît! Promotion des offres de prise en charge ‘à bas seuil’ pour les femmes toxicodépendantes» 1 est un guide qui propose des instruments concrets permettant de développer des prestations de qualité pour les femmes. Publiée par l’Office fédéral de la santé publique, cette brochure définit les principaux objectifs des offres répondant aux besoins particuliers des femmes, comporte des check-lists relatives aux prestations requises dans le secteur de l’aide aux personnes toxicodépendantes et fixe des critères de qualité. Cinq axes d’intervention sont proposés:
Amener les femmes à reprendre conscience de leur capital-santé. Il s’agit d’aider les femmes à se réapproprier leur corps et à développer une image plus positive d’elles-mêmes.
Sensibiliser le milieu institutionnel aux besoins spécifiques des femmes. Il faut, entre autres, améliorer l’information du corps médical, du personnel de santé ainsi que l’opinion publique sur la situation particulière des femmes toxicodépendantes.
Encourager les femmes à s’affranchir de leur rôle de victimes. La prise en charge des toxicomanes doit être conçue de manière à ce que les femmes parviennent à se libérer de mécanismes dévalorisants.
Soutenir les femmes dans leurs efforts pour créer ou renouer des liens sociaux. L’entraide au sein de la famille doit être renforcée et le réseau social des femmes développé.
Accompagner les femmes dans leur développement professionnel. C’est-à-dire soutenir les femmes qui entrent dans un projet professionnel de manière à ce qu’elles puissent se fixer des objectifs et les atteindre. La notion d’assurance de qualité est centrale et est prise en considération tout au long de la démarche. A titre d’exemple, si l’on propose la mise en place de consultations gynécologiques, il est nécessaire de déterminer les heures de réception, de mettre à disposition un espace pour la consultation (structure), d’encourager les femmes à prendre conscience de leur corps (processus) afin que leur situation sanitaire s’améliore (résultats).*
À l’issue du Colloque national «La qualité a un genre», qui s’est tenu le 14 septembre 2000 à Fribourg, les institutions se sont vu offrir la possibilité de se faire conseiller et accompagner dans l’introduction de cet instrument de promotion de la qualité. Dix-huit institutions se sont déclarées prêtes à s’investir dans la mise en place de ce dispositif dans le cadre d’un projet de deux ans. Les objectifs du projet sont d’institutionnaliser des offres répondant aux besoins particuliers des femmes, d’organiser un réseau entre les institutions participantes et de rendre publiques les expériences réalisées en matière de qualité dans ce secteur. Les mesures suivantes sont prévues pour atteindre ces objectifs:
Les institutions d’aide aux personnes toxicodépendantes doivent s’engager à participer au projet durant deux ans.
La direction ou l’organe juridique responsable doit avoir donné son accord et son soutien doit être garanti.
Trois rencontres auront lieu avec toutes les institutions participantes : au début (séance de lancement), après une année (bilan intermédiaire) et à la fin des deux ans que dure le projet (séance d’évaluation).
Entre ces trois séances plénières auront lieu deux à trois rencontres au sein de trois groupes; elles doivent permettre de faire le point, de définir la suite et de planifier chacune des étapes prévues dans le guide pratique.
Tant les séances plénières que les rencontres des groupes seront animées par des femmes bénéficiant de l’expérience et des qualifications requises.
Tant les expériences faites au fur et à mesure que les résultats des évaluations intermédiaire et finale seront publiés sur Internet (http://www.info-set.ch/inst/oseo/f/). La publication sous d’autres formes est envisageable et souhaitable.
«Femmes-Réseau-Qualité» a déjà été présenté au public spécialisé en diverses occasions. Par exemple au Congrès de l’ICAA (International Council on Alcohol and Addictions) début septembre 2001 à Heidelberg, le 14 septembre 2001 à la Conférence des délégués des villes aux problèmes de toxicomanies (CDVT) et le 22 novembre 2001 à la Conférence des délégués cantonaux aux problèmes de drogue. Partout, notre projet a suscité un grand intérêt. Jusqu’ici ont eu lieu la séance de lancement, le 27 mars 2001, et deux rencontres de groupes (en trois, ultérieurement deux sous-groupes). Sur la base des retours des participantes et des observations faites par les spécialistes consultantes, nous proposons ici une première estimation des réussites et des difficultés du projet «Femmes-Réseau-Qualité».
Il semble que l’on soit parvenu à appliquer certaines connaissances scientifiques sous la forme d’offres et de prestations clairement définies et praticables.
Le projet jouit d’une grande crédibilité, parce qu’il bénéficie du soutien de l’Office fédéral de la santé publique, c’est-à-dire d’une instance officielle. Les structures claires, simples et non hiérarchiques, la procédure par étapes définie et l’accompagnement professionnel assuré donnent de l’assurance aux institutions et aux professionnelles participantes.
Les professionnelles qui participent au projet font preuve d’engagement et d’une grande motivation. Une petite formation en gestion de projet, la mise à disposition de documents de référence et l’aide apportée, s’agissant notamment de la gestion des résistances ou de l’analyse du champ d’intervention ont été perçues comme très profitables.
Quelques institutions ont pris la décision de développer des offres et des prestations préexistantes ou d’en introduire de nouvelles. En voici quelques exemples:
En Suisse romande, dans un service de consultation mixte, en matière de sexualité, l’accent a été mis prioritairement sur la sensibilisation du milieu professionnel aux besoins des clientes. Trois mesures sont prévues: la collaboration avec une spécialiste du planning familial, qui se rend une fois par mois dans le centre à l’heure du repas, doit permettre de parler de contraception, de grossesse et de sexualité. Il est prévu d’installer un tableau d’affichage destiné aux clientes, qui peuvent également contribuer à son contenu. Il est prévu en outre d’instaurer une collaboration avec une gynécologue. Dans le cadre d’un bus pour les femmes prostituées et usagères de drogues, en Suisse alémanique, il est prévu de rédiger un manuel sur le thème de la violence. Pour permettre aux clientes de sortir peu à peu du rôle de victimes, les institutions qui travaillent avec les mêmes groupes cibles sont invitées à travailler en réseau. La formation des collaboratrices d’une part et des activités de conseil et de prévention auprès des clientes d’autre part doivent permettre d’atteindre l’objectif défini. Un autre centre d’accueil s’est lui aussi défini pour objectif général la «sortie progressive du rôle de victime». Une médiatrice sera présente une fois par mois pour traiter du thème de la prostitution. Il est prévu qu’elle soit formée et accompagnée de manière à devenir une «paire» susceptible de soutenir les clientes dans le sens de l’empowerment. Dans le but de sensibiliser les clientes à leur santé, une communauté d’habitation transitoire envisage d’assurer les prestations suivantes: un accès facile à une information destinée aux femmes, l’abord systématique de la prévention du sida et de l’hépatite et l’accompagnement des clientes dans les services médicaux. Dans quelques institutions, les besoins des clientes ont été recensés au moyen de différentes méthodes (grandes affiches, enquête) pour pouvoir ensuite proposer des offres. Des prestations et des offres destinées aux mères, aux familles, aux consommatrices de drogue qui se prostituent se mettent en place. Autrement dit, on assiste à l’éclosion passionnante d’une vaste palette d’idées et de réalisations. Nous nous en réjouissons et sommes convaincues qu’il s’agit là d’une contribution à une intervention en toxicomanie de grande qualité auprès des groupes cibles féminins.
Sur les 18 institutions qui s’étaient initialement annoncées, il en reste onze. Les retraits s’expliquent par des raisons diverses, mais, à notre connaissance, elles ne sont pas en rapport direct avec notre projet. Suite à nos efforts pour en savoir plus, on nous a cité oralement les raisons suivantes: changement fréquent de personnel, crises au sein de l’équipe, absence de soutien de la part de l’équipe et/ou de l’institution, problèmes d’effectif, restructurations et choix d’autres priorités dans l’institution. Quant à nous, nous nous posons la question de savoir qui détermine ce qui est important et doit être préservé, développé ou abandonné. Nous constatons que, tout comme dans la société en général, les mesures d’économie préteritent trop souvent les besoins particuliers des femmes et les mesures susceptibles d’y répondre, que l’on pense, notamment, au manque de structures d’accueil pour enfants d’âge scolaire et préscolaire. En tant que membres du groupe d’accompagnement, nous aurions peut-être pu apporter davantage de soutien, notamment en prenant contact directement avec les institutions après leur première décision positive.
Jusqu’à présent, aucune autorité et aucun autre bailleur de fonds ne fait dépendre le financement des institutions ou d’autres offres dans le domaine des toxicodépendances d’une prise en compte adéquate des critères de genre. Les institutions obtiennent ainsi un financement sans que les critères de genre soient pris en compte.