décembre 1998
Mary-José Burnier (IUED/ IMSP, Genève), Maïthé Busslinger (RADIX-Promotion de la santé, Lausanne) et Christophe Dunand (Association Réalise/ IUED, Genève)
La Charte d’Ottawa sur la promotion de la santé date de 1986 et la Fondation suisse pour la Promotion de la Santé a été fondée en 1990. Bien que nombre de projets de prévention en Suisse portent la mention « promotion de la santé », un atelier organisé en septembre et octobre derniers par RADIX et l’IUED et destiné à des responsables de projets de promotion de la santé a montré d’une part, que l’approche prônée par la Charte d’Ottawa reste très mal connue et que, d’autre part, il n’y a pas eu de réflexion sur la manière d’en adapter les principes au contexte suisse.
Vers la fin des années 70, au niveau international, alors que les limites des systèmes de santé centrés sur les soins curatifs et sur l’individu apparaissent de plus en plus clairement, une évolution a lieu qui met l’accent plus sur la santé, la prévention et sur le rôle de la communauté. L’Organisation Mondiale de la Santé joue alors un rôle de leader et organise la conférence qui aura pour résultat, en 1978, la Déclaration d’Alma-Ata sur les Soins de Santé Primaires (SSP). Même si les SSP n’ont véritablement été appliqués que dans les pays du Sud, ils ont commencé à influencer la vision de la santé et de la maladie au Nord également. La complexification des problèmes de santé a amené de plus en plus de responsables à repenser les approches traditionnelles de santé publique. On a commencé à prendre en considération les conditions de vie et la qualité de la vie dans l’environnement urbain. On a constaté l’émergence de problèmes de santé nouveaux, qui ont des causes autant physiques que psychosociales. On a mieux pris en compte le fait que les problèmes de santé les plus courants ne peuvent être résolus durablement et à l’échelle d’une population qu’avec des médicaments et des structures de soins sophistiquées mais avant tout grâce à de meilleures conditions de vie (alimentation, habitat, éducation, etc.). Et améliorer ses propres conditions de vie est le rôle de chacun et de l’ensemble de la société. Mais, pour avoir une influence à large échelle et compte-tenu de la complexité des problèmes et le manque de ressources dévolues à la prévention des maladies et à la promotion de la santé, il s’agissait de redonner aux gens le contrôle et les moyens d’influencer les facteurs déterminants de leur propre santé.
Il fallait aussi sortir de la tendance à « blâmer les victimes », c’est-à-dire à agir seulement sur les comportements individuels plutôt que d’influencer les décisions d’ordre socio-économique et politique.
Ce sont ces conditions qui ont abouti en 1986 à la Charte d’Ottawa de promotion de la santé, portée d’abord par les Canadiens qui l’ont présentée comme une « nouvelle santé publique », puis adoptée par l’Organisation Mondiale de la Santé.
Prendre soin de la vie
Les facteurs déterminants de la santé sont non seulement le système de soins et les facteurs biologiques, mais aussi l’environnement pris au sens large (physique, économique, politique, social et psychologique) et les modes de vie. La promotion de la santé est une approche novatrice de santé publique qui est en fait un processus visant à rendre l’individu et la collectivité capables d’exercer un meilleur contrôle sur les facteurs déterminants de la santé et, de ce fait, de créer ou de maintenir les conditions qui vont permettre une bonne santé. La promotion de la santé part de la santé et non de la maladie, dans une perspective sociale où non seulement l’individu et sa communauté mais également les politiciens et autres décideurs partagent, à côté des professionnels de la santé, la responsabilité du maintien ou de l’amélioration de la santé.
La participation de la population
Promouvoir la santé signifie créer les conditions qui permettront une santé satisfaisante. L’objectif global est une amélioration de la qualité de la vie avec pour résultat une meilleure santé, et non pas seulement de réparer par des mesures palliatives les conséquences de mauvaises conditions de vie sur la santé.
La promotion de la santé allie choix personnel et responsabilité sociale afin de créer un futur plus favorable à la santé. Elle engage la société civile entière dans le contexte de la vie quotidienne. L’essentiel est la participation effective de la population à la définition des problèmes, à la prise de décision et aux activités mises en œuvre pour modifier et améliorer les facteurs déterminants de la santé. La promotion de la santé est une approche à la fois politique – qui vise les décisions à tous les niveaux – et technique puisqu’elle vise à changer les modes de vie, à organiser l’action communautaire et à réorienter les services de santé.
Les 5 domaines d’action de la promotion de la santé:
l’action sur les politiques publiques
l’action sur l’environnement (au sens large)
le renforcement des activités communautaires
le développement des compétences individuelles
la réorientation des services de santé vers la communauté.
L’équité est au cœur du concept de promotion de la santé, en partant de la constatation qu’il y a un lien direct entre mauvaise santé, maladie, et inégalités et pauvreté.
Les groupes économiquement défavorisés ont une espérance de vie moindre que les groupes à revenus élevés et une espérance de vie sans incapacité plus courte. De plus, les gens à faibles revenus risquent davantage de mourir par suite d’accidents ou de maladies.
En promotion de la santé, les efforts doivent tendre vers une amélioration des conditions dans lesquelles vivent les gens afin que ces conditions soient globalement plus favorables à la santé. La population concernée doit être au cœur de l’action et les intervenants (professionnels de la santé, mais aussi animateurs, gestionnaires du projet et spécialistes d’autres disciplines) doivent avoir un rôle non plus de « porteurs de l’action » mais de « facilitateurs ».
Dans les pays anglo-saxons, on parle d' »empowerment », terme difficile qui fait référence, sur le plan individuel, à la capacité à être autonome et à se prendre en charge tandis que sur le plan collectif, il se traduit par la mobilisation de groupes ou d’associations pour défendre des droits, un projet ou influencer des décisions politiques concernant la communauté.
Ensuite, un élément fondamental de la création de conditions favorables à la santé est probablement l’élaboration et la mise en œuvre de politiques publiques favorables à la santé. L’action sur les politiques publiques, même à un niveau très local permet de provoquer des changements importants, touchant beaucoup de gens et avec relativement peu d’efforts. Agir sur les politiques publiques signifie, concrètement, interpeller les autorités politiques. Par exemple, le fait de se mobiliser avec d’autres parents pour interpeller les autorités communales pour réglementer la vitesse et réduire le trafic dans un village ou un quartier. Ce type d’action aura plus d’effets sur la qualité de vie et sur la santé que n’importe quelle campagne d’éducation des conducteurs. Ce qui ne veut pas dire que les mesures de prévention classiques et l’éducation sanitaire sont inutiles. Mais, chaque fois que c’est possible, une approche plus globale du problème permet d’obtenir des effets importants, qui peuvent être complétés par des mesures d’éducation et de prévention.
Le corollaire de l’action sur les politiques publiques est la création de milieux favorables à la santé, c’est-à-dire que l’espace physique et social dans lequel vit l’être humain devrait lui permettre de maintenir une qualité de vie compatible avec un bon état de santé. Une ville sans lieux de rassemblement communautaires et culturels, un village traversé par de grands axes routiers, un quartier avec de nombreux jeunes au chômage, une usine avec des conditions de travail ne respectant pas les normes sont, par exemple, des milieux défavorables à la santé.
Le renforcement des communautés ainsi que le développement des ressources personnelles sont des moyens collectifs et individuels complémentaires à l’action sur les politiques publiques et à la création de milieux favorables à la santé.
Le renforcement des communautés vise à associer les collectivités à l’intervention de promotion de la santé, en fonction non seulement de leurs besoins mais aussi de leurs ressources propres. Le renforcement des réseaux sociaux est un élément-clé pour la santé d’une collectivité. Celle-ci pourra créer des conditions de vie favorables à la santé d’autant plus efficacement qu’elle est solidaire et organisée, même si c’est pour une action ponctuelle. Ce peut être une association de parents qui se mobilise pour maintenir des activités sportives à l’école, un groupe de femmes qui décident d’agir contre l’extension de la toxicomanie dans leur quartier ou les personnes âgées d’un centre de jour qui s’organisent pour avoir leur mot à dire dans le choix et la préparation des menus quotidiens.
Le développement des aptitudes personnelles peut être fait par l’individu lui-même ou avec l’aide de professionnels du domaine socio-sanitaire et éducatif. La plupart des personnes savent très bien faire face aux problèmes qui surgissent dans leur vie mais, parfois, elles sont dépassées comme par ex. en période de crise personnelle (adolescence, séparation, maladie), familiale (deuil, divorce, etc.) ou plus générale (crise économique, chômage, insécurité). Dès lors, au lieu de faire à la place des gens, il s’agit de les aider à développer les ressources personnelles qui vont leur permettre de gérer leurs problèmes. Par exemple, cela veut dire apprendre à des adolescentes à négocier l’usage du préservatif, à en discuter entre elles, à créer un groupe de soutien avec l’appui d’une professionnelle de la santé, ou bien aider des femmes divorcées et sans formation professionnelle à faire le point de leurs compétences, chercher un emploi, trouver des solutions de garde des enfants, faire un budget du ménage, se soutenir entre elles.
La réorientation des services de santé vers les gens signifie mettre les structures publiques, notamment, au service des gens auxquels elles s’adressent.
Organiser les heures d’ouverture et l’accessibilité géographique d’un service en fonction des personnes que l’on veut toucher, éviter la multiplication d’actions non coordonnées organisées par des professionnels complémentaires mais qui ne travaillent pas ensemble. Réorienter les sévices de santé, c’est interpeller les institutions de façon à ce que leur offre soit réellement au service des gens qui en ont besoin.
Il est évident que tous ces domaines d’action demandent des approches différentes de celles dont on a l’habitude:
L’atelier organisé par RADIX et l’IUED a montré, à travers l’analyse des projets, que la promotion de la santé ouvre des perspectives novatrices et intéressantes pour autant qu’on prenne la peine d’y réfléchir et d’en adapter les principes aux particularités de son projet, de son institution, de sa région, du public visé. La promotion de la santé permet de s’adapter au contexte actuel qui a souvent changé plus rapidement que les pratiques de prévention des institutions. Elle ouvre la voie à une meilleure utilisation des différents moyens dont une commune ou une collectivité dispose, dans le but de rendre les conditions de la vie quotidienne plus favorables à la santé.
En résumé, l’approche de promotion de la santé permet de travailler en ayant une vision globale des causes et conséquences du problème sur lequel on veut agir, de chercher les collaborations et les complémentarités nécessaires, de replacer les problèmes de santé dans leur environnement, de provoquer le débat dans le domaine politique quand c’est nécessaire et de favoriser l’autonomie des personnes concernées. En cela, la promotion de la santé est une petite révolution tout à fait dans « l’air du temps », bien venue pour renouveler les pratiques, en particulier en prévention et en éducation pour la santé.