août 2001
Dr Brigitte Ruckstuhl (responsable de “Qualité et évaluation”)
Nous nous trouvons dans une situation relativement paradoxale: on parle beaucoup de la qualité et de son utilité ou de son inutilité, alors que l’on parle peu de la qualité effectivement mise en œuvre. Le discours abstrait sur la qualité et la promotion de la qualité engendre de ce fait des attentes importantes qui se traduisent par l’impression d’avoir toujours une longueur de retard.
Une certaine distance critique vis-à-vis de la promotion de la qualité est d’ailleurs en partie justifiée, car celle-ci est encore une notion nouvelle dans le secteur des services, particulièrement en ce qui concerne la prévention et la promotion de la santé. On se demande avec scepticisme si ces méthodes, reprises du secteur technique, peuvent vraiment être appliquées au domaine du social et de la santé. Tant que leur mise en pratique restera chose rare en prévention et en promotion de la santé, ce scepticisme sera difficile à battre en brèche.
L’un des éléments essentiels de la promotion de la qualité est de rendre transparents et vérifiables tant les processus que les résultats. De cette manière, on explicite ce que l’on entend par succès et l’on se donne les moyens de déterminer si celui escompté s’est effectivement produit. C’est une condition nécessaire pour pouvoir comparer des projets entre eux.
L’état actuel des connaissances et les expériences faites exigent que l’on aborde ce sujet avec un esprit à la fois critique et constructif. Même s’ils ne sont pas encore entièrement satisfaisants, il faut développer et mettre en œuvre des instruments, des critères et des indicateurs qui renseignent sur la qualité de la structure, des processus et des résultats des projets. Dans une seconde étape, il s’agit d’évaluer ces instruments et de les adapter en conséquence. Ce processus n’est jamais simple et peut parfois même s’avérer pénible.
La gestion de la qualité vise à améliorer les structures, les processus et les résultats, rejoignant ainsi la finalité intrinsèque de la promotion de la santé. À l’évidence, nous n’avons pas à nous demander si nous voulons ou non de la promotion de la qualité, mais à définir comment nous voulons l’implanter. Quelles sont les formes adaptées à la promotion de la santé? Quelles sont les expériences dont nous pouvons tirer des leçons?
Une appropriation constructive implique que l’on s’engage dans un processus. Nous ne disposerons pas d’instruments parfaits d’entrée de jeu. Pas plus qu’il ne convient de nier qu’il est assez difficile de définir des indicateurs pertinents dans notre domaine. Mais nous devons commencer à considérer la promotion de la qualité non plus comme un luxe, mais comme une nécessité.
Dans cet article, je me limiterai à parler de la qualité des projets de promotion de la santé. Au niveau institutionnel, on a recours à des méthodes et à des instruments différents.
S’agissant de promotion de la santé, Feser définit la qualité comme étant “l’ensemble des caractéristiques d’une mesure ou d’une prestation de prévention ou de promotion de la santé qui se rapportent à l’adéquation de celle-ci à répondre à des exigences, des intentions ou des finalités définies”.
Cette définition s’appuie sur le système ISO et reste très abstraite. En soi, la qualité est une notion abstraite. Elle ne devient concrète qu’au moment où l’on définit précisément ce que l’on entend par “qualité”. Si quelqu’un me dit: “nous faisons du travail de bonne qualité”, l’information dont je dispose n’est pas complète. Je n’aurai une idée de la nature du travail effectué que si l’on me dit ce que l’on entend par “qualité” et quels sont les instruments de mesure utilisés. Aussi convient-il de définir clairement ce que nous entendons par qualité en matière de promotion de la santé.
Dans l’industrie, ce sont le changement de la situation économique et les modifications des structures de production qui ont conduit à développer de nouveaux concepts de management et de gestion de la qualité, dans le but d’accroître la productivité, autrement dit de permettre aux entreprises de réaliser un bénéfice et de demeurer concurrentielles sur le marché. Qu’est-ce que cela signifie dans notre domaine d’activité? Quel doit en être le bénéfice?
Pour la promotion de la santé, la situation initiale et l’objectif sont d’une autre nature. Ses interventions répondent à une demande sociale et doivent être légitimées. Les interventions ont pour but d’atteindre un haut degré d’efficacité et partant d’assurer un bénéfice important pour les cadres de vie ou les groupes visés. Pour y parvenir, les spécialistes doivent disposer non seulement des connaissances et de l’expérience nécessaires, mais encore d’un savoir-faire professionnel; ce n’est qu’à cette condition que pourra être réalisé le “gain” important prévu par le mandat social. Il a été constaté maintes fois qu’en matière de promotion de la santé, le gain à long terme est difficile à mesurer. Or, nous devons réussir à démontrer quel est le bénéfice produit par chaque intervention et quelle efficacité à long terme on peut en attendre. Alors seulement, la promotion de la santé pourra trouver une légitimité durable.
Au cours des années écoulées, les méthodes de promotion de la santé ont beaucoup changé. On est ainsi passé de modèles simples, visant à changer les comportements par l’information, à des modèles qui prennent en compte les rapports entre les cadres de vie et les styles de vie. Ce ne sont donc plus prioritairement les individus, mais les changements des contextes sociaux qui sont visés. Ce changement de paradigme théorique accroît la complexité des interventions, car il implique un plus grand nombre d’outils méthodologiques permettant de mettre en route et d’accompagner des changements sociaux et d’évaluer leurs effets.
Aussi, la promotion de la santé a-t-elle besoin de disposer de critères de qualité reposant sur des évidences empiriques et prenant en compte notamment les aspects spécifiques au genre, l’égalité des chances, la pérennité, la participation. Mais il s’agit aussi de doter chaque projet de structures et de processus optimaux, afin de mieux en garantir l’efficacité escomptée. Les débats de fond ne remplacent pas la promotion de la qualité; celle-ci propose des instruments de travail et d’analyse permettant de réaliser les buts fixés de manière efficace. La promotion de la santé vise à mettre en place un processus continu d’amélioration. Cela implique la transparence.
C’est la seule façon d’assurer le contrôle, l’évaluation et l’amélioration constante des interventions.
Ce que la promotion de la qualité apporte de nouveau, c’est l’attention soutenue vouée à l’efficacité et aux objectifs, et la documentation systématique des moyens mis en œuvre pour y parvenir.
Toute démarche de promotion de la qualité implique de définir ce que l’on entend par “qualité” et de sélectionner des critères de qualité à appliquer.
Ces critères sont de deux ordres: ils peuvent être relatifs au domaine d’intervention ou concerner la mise en œuvre, c’est-à-dire le management. Ils indiquent la direction à prendre, aident à planifier et à réaliser une intervention et à analyser le processus.
Je vais développer ci-dessous quelques-uns de ces critères de qualité, mais le sujet est trop complexe pour être traité à fond dans le cadre qui m’est imparti ici. J’aimerais néanmoins attirer à ce propos l’attention sur un projet pour lequel des critères de qualité ont été définis qui peuvent maintenant être rendus publics. Il s’agit de quint-essenz, un projet qui a bénéficié du soutien financier de l’OFSP et qui a été réalisé par l’Institut de médecine sociale et préventive de l’Université de Zurich. Quint-essenz est une sorte de boîte à outils constituée d’une vaste palette de suggestions, de check-lists, d’instruments et de méthodes destinés à la pratique. Cette boîte à outils est accessible sous www.quint-essenz.ch. en allemand, français et italien.
La poursuite du développement de quint-essenz sera assurée dès le mois de mai par la Fondation suisse pour la promotion de la santé, qui va promouvoir et soutenir, en collaboration avec l’OFSP, l’application systématique des critères de qualité.
(Vous trouverez des informations importantes sur des moyens auxiliaires pratiques sur une liste établie à cet effet.)
Objectif de qualité
Le besoin auquel le projet est censé répondre est attesté.
Indicateurs
L’analyse des besoins comporte les aspects objectifs qui plaident pour ou contre une intervention. Les interventions doivent être légitimées et répondre à une demande sociale. L’analyse répond à la question de savoir pourquoi il convient d’intervenir ou si une intervention se justifie. Quelle est l’importance du problème et quel bénéfice peut-on attendre d’une intervention ?
Objectif de qualité
Les buts, les stratégies et les mesures sont théoriquement et empiriquement fondés.
Indicateurs
Objectif de qualité
En cas de besoin, des représentant·e·s du groupe-cible ou du cadre de vie sont associés à la planification ou à la mise en œuvre du projet.
Indicateurs
Il est clairement défini quand, comment et sous quelle forme des représentant·e·s du groupe-cible ou du cadre de vie sont associés à la planification ou à la mise en œuvre du projet.
Objectif de qualité
Le projet est bien planifié et des étapes ont été définies.
Indicateurs
La planification est un élément essentiel de la phase de réalisation. Pour pouvoir planifier, il faut d’abord être au clair sur le but précis à atteindre. Pour cela, il faut définir des objectifs opérationnels, car eux seuls peuvent donner lieu à une évaluation et constituent ainsi des éléments essentiels de l’évaluation de la qualité.
Objectif de qualité
Tous les buts du projet sont soigneusement fondés et loyaux.
Indicateurs
Objectif de qualité
Le projet apporte un bénéfice avéré à l’ensemble des participant-es et des personnes concernées.
Indicateurs
La réussite d’un projet se mesure au fait que le plus grand nombre possible des personnes appartenant au groupe-cible ont pu être touchées par l’intervention et que l’effet escompté a été atteint. La recherche a montré que les personnes issues des couches défavorisées sont plus difficiles à atteindre et à motiver. Aussi faut-il faire davantage d’efforts pour toucher les groupes-cibles que l’on avait négligés jusqu’à présent. Il convient de prendre des mesures particulières dans ce sens.
Groupe-cible/cadre de vie
Intervenir en fonction des besoins implique que l’on opte pour une méthode participative. Le groupe visé sera touché d’autant plus sûrement que l’intervention répond à des besoins avérés et qu’elle porte sur les cadres de vie.
Commanditaire
Les conditions posées et les prestations à fournir font l’objet d’une négociation détaillée avec le commanditaire. Celui-ci évite ainsi des déceptions liées au fait qu’il n’obtiendrait pas ce qu’il aurait espéré. Lorsque les prestations fournies correspondent aux attentes, l’image du mandataire et le respect qu’il inspire en sortent grandis.
Direction de projet/collaboratrices/collaborateurs
Les rôles, les tâches et les responsabilités sont clairement distribués. Des conditions-cadres précises (planification, jalons, circulation de l’information favorisant la réflexion) conduisent à davantage de motivation et d’engagement de la part des personnes impliquées dans le projet.
Organisation
Une organisation qui pratique le management de la qualité au niveau institutionnel ou qui réalise des projets couronnés de succès est mieux en mesure de se profiler. Elle suscite le respect et la confiance de la part des commanditaires et des organisations partenaires.
Efficacité
On peut escompter qu’en accordant une attention accrue à la réalisation des objectifs et aux effets produits, on atteindra également une efficacité plus grande. En tout état de cause, il n’est possible de procéder à une comparaison entre des projets qu’à condition de formuler explicitement des critères de qualité. Les expériences y gagnent en intelligibilité et le développement de la promotion de la santé peut se poursuivre de manière méthodique.
La promotion de la santé occupe encore une place modeste dans le système de santé publique. Aussi doit-elle continuer à démontrer son efficacité en apportant la preuve des effets qu’elle parvient à produire. Cela signifie qu’elle doit poursuivre son développement. La promotion de la qualité est une méthode qui nous permet de progresser dans ce sens.
Il s’agit de commencer dès maintenant à nous donner des instruments, à les utiliser, à les expérimenter et à les affiner. Un processus intéressant, voire passionnant! Il conviendrait dès à présent qu’il soit moins question d’exigences en matière de qualité que de la qualité produite en réalisant des projets exemplaires.