juin 2008
Flavia Schlegel, Jakob Tanner, Robert Newman, Ambros Uchtenhagen, Hermann Fahrenkrug, Daniele Zullino, Barbara Broers, Hans Gammeter, Jacques Besson, Toni Berthel, Markus Jann
Flavia Schlegel, Dr méd., cheffe de l’Unité de direction Santé publique, OFSP
Flavia Schlegel accueille les participantes et les participants de la NASUKO 2007. Le fait que le nom de la conférence n’ait pas été modifié depuis la dernière NASUKO en 2001 montre bien, selon la Dresse Schlegel, l’importance accordée à la continuité des mesures pour réaliser une politique efficace en matière de drogues. Les objectifs de la conférence ont été formulés comme suit:
La manière dont est abordé le problème de la dépendance aux opiacés s’est fortement modifiée ces dernières années et les images du début des années 90 décrivant la misère manifestement cruelle associée à la toxicomanie appartiennent désormais au passé. Le problème n’est pas pour autant résolu. La Confédération s’est donné comme objectif prioritaire la consolidation des succès qu’elle a enregistrés avec sa politique en matière de drogues et son évolution vers une politique cohérente en matière d’addiction.La SSAM (Société Suisse de Médecine de l’Addiction), agissant à la demande de l’OFSP, a publié au printemps 2007 des recommandations médicales pour le traitement basé sur la substitution (TBS) qui sont basées sur l’évidence (evidence based medicine). Ces recommandations ont reçu un accueil mitigé de la part de certains professionnels, qui ont reproché aux auteurs de ne plus accorder une importance suffisante à l’option de l’abstinence comme objectif thérapeutique. L’OFSP rappelle que la politique du Conseil fédéral en matière de drogues continue d’accorder une place importante à l’abstinence. La Confédération poursuit néanmoins une politique pragmatique et sans œillères idéologiques en matière d’addiction. Elle voit dans le TBS une option thérapeutique possible parmi un large éventail de mesures de traitement, qui respecte la dignité humaine. Il importe en effet de choisir au cas par cas l’objectif thérapeutique qui conviendra le mieux à chaque personne à un moment donné de son parcours thérapeutique.
Adressant ses vifs remerciements à tous les experts qui font preuve d’engagement dans le domaine de la lutte contre l’addiction, la cheffe de l’Unité de direction de la Santé publique a déclaré la conférence ouverte.
Jakob Tanner, Prof. Dº, Université de Zürich
Dans la substitution, dont il est question dans le cadre d’un TBS, il ne s’agit pas, comme les défenseurs d’une politique prohibitionniste le prétendent, d’une remise arbitraire à des polytoxicomanes de substances entraînant une dépendance, mais d’un traitement s’appuyant sur des médicaments. Dans la discussion sur les traitements de substitution, la consommation de drogues ne doit pas pour autant être banalisée; il s’agit d’identifier des interventions thérapeutiques réalisables, des modèles de réhabilitation et des mesures de soutien.
L’héroïne, ou diacétylmorphine, était considérée autour de 1900 comme une substance médicale miracle que les fabricants commercialisaient pour traiter un nombre incalculable de souffrances. Les domaines d’utilisation possibles étaient les maladies des voies respiratoires, les affections cardiaques, la dysphagie, l’analgésie, les troubles sexuels, les affections psychiatriques et en particulier aussi le sevrage de la morphine. Longtemps, le potentiel de dépendance de l’héroïne avait été minimisé ou mal perçu par le corps médical. Ce n’est qu’à partir des années 1920 que l’on a compris que l’héroïne ne se prêtait pas au sevrage de la morphine. La politique prohibitionniste, qui est encore d’actualité aujourd’hui, date de cette époque.
Jusque dans les années 60, aucune tentative en direction des traitements de substitution n’avait abouti: toutes ont péri sous la critique des défenseurs du prohibitionnisme. «Les médecins distribuent des drogues» et «l’État finance la toxicomanie» étaient des slogans efficaces qui étouffaient dans l’œuf les arguments d’experts agissant avec circonspection. Le début des années 60 a vu l’introduction du traitement moderne de substitution par la méthadone et parallèlement celui du traitement des diabétiques par l’insuline. Ce parallélisme était important pour la politique en matière de drogues car le traitement de substitution tout comme l’insulinothérapie induisait une correction des altérations métaboliques qui pouvait aider respectivement les toxicomanes et les diabétiques à retrouver une vie normale. Les deux affections, la dépendance à l’héroïne et le diabète, étaient considérées comme des problèmes chroniques. Cette nouvelle interprétation de la dépendance à l’héroïne s’est depuis établie en Europe et donc aussi en Suisse.
Au début des années 90, un essai de remise médicalement contrôlée d’héroïne aux patients a été lancé en Suisse. Le concept a été étendu, ce qui lui a valu une reconnaissance internationale, mais a également suscité une vive résistance. En dépit d’un fort vent politique contraire, un tournant s’annonçait dans la politique en matière de drogue: il s’agissait de la politique dite des «quatre piliers» – prévention, thérapie, réduction des risques et répression. Prenant le relais d’une longue période de criminalisation et de stigmatisation, la politique en matière de drogues se médicalisait, politique dans laquelle s’insère le TBS dont il est question.
Les statistiques sur les décès dus à la consommation de drogues en Suisse parlent un langage clair: le nombre de ces décès a pu être réduit de moitié entre 1994 et 2000 (figure 1).
L’évolution du nombre des décès liés à la drogue en Suisse de 1985 à 2000.
Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale «sur la modification de la Loi sur les stupéfiants du 9 mars 2001», dans: Feuille fédérale suisse 2001, p. 3721.
L’analyse des nouveaux cas de sida donne par exemple des résultats similaires, encore plus éloquents, ce qui illustre bien l’étendue de l’impact de la nouvelle politique de prévention dans son ensemble (figure 2).
Selon une publication sur la fréquence du recours aux TBS dans 28 États européens, environ un tiers des personnes ayant «une consommation problématique de drogues» suivaient en 2005 un traitement basé sur des médicaments.
Jakob Tanner soutient la thèse de la nécessité d’associer à l’avenir une «philosophie de la substitution» à la politique de la «maladie contrôlée». Le traitement basé sur des médicaments ne devrait pas être lié à un paradigme rigide de l’abstinence, mais être considéré comme une mesure de soutien pour parvenir à une possible abstinence durable. Ces dernières années, on a pu voir se renforcer l’idée que la politique en matière de drogues devait être axée sur les personnes dépendantes plutôt que de servir avant tout à réaliser un ordre social parfait et conserver une image intacte de la rue. Des analyses coûts-avantages ont de plus montré qu’une «guerre contre les drogues» constituait un gaspillage pur et simple de ressources. Une étape importante dans la politique actuelle en matière de drogues serait, selon Tanner, non seulement la substitution de l’opiacé, mais aussi et en particulier la substitution du fournisseur illégal de drogues par une institution officielle, une sorte de «pourvoyeur légal», soucieuse du bien-être de la personne dépendante.
Robert Newman, Pr Dr méd., directeur du International Center for Advancement of Addiction Treatment, New York
Trente-cinq années d’expérience dans le traitement des addictions ont amené Newman à avoir l’opinion suivante: la dépendance, et en particulier la dépendance aux opiacés, est une maladie au sens médical du terme, qui est chronique, sujette aux rechutes, non guérissable, mais traitable. Par conséquent, la qualité des traitements devrait être évaluée selon les mêmes critères que ceux utilisés pour toute autre maladie chronique.
Exprimant son admiration pour les recommandations médicales de la SSAM, Newman a mis en évidence les points qui lui paraissaient les plus importants:
Le médecin installé est un pilier central de la médecine de premiers recours pour les toxicomanes.
Il est important que les médecins installés jouent un rôle prédominant dans le traitement des personnes toxicodépendantes. C’est le seul moyen permettant d’apporter de l’aide à tous les patients qui la souhaitent et en ont besoin.
La dépendance aux opiacés doit être considérée comme une maladie chronique et, partant, comme une affection de longue durée.
Cette interprétation de la toxicodépendance continue à être ignorée et rejetée dans la plupart des pays. L’addiction est fréquemment qualifiée simplement de mauvaise habitude et de vice, voire de preuve d’un hédonisme obstiné. L’acceptabilité de la toxicomanie comme événement de longue durée constitue le fondement d’une politique moderne en matière de drogues.
Accès facilité aux traitements de substitution pour toute personne dépendante aux opiacés, quel que soit son âge et la durée de sa dépendance.
Cette recommandation pour l’indication d’un TBS est à saluer. Elle s’oppose à la plupart des réglementations d’autres pays, où, dans de nombreux cas, une durée minimale de la dépendance ou un âge minimum sont des critères n’admettant aucun compromis pour justifier d’un «droit» à l’admission dans un programme de substitution. Et ce, tout en sachant que la dépendance non traitée est associée à un risque élevé de morbi-mortalité.
Il n’existe pas d’arguments en faveur d’une limitation du traitement dans le temps.
Naturellement non. Peut-on concevoir que dans le traitement d’autres maladies chroniques, comme le diabète, l’épilepsie ou l’hypertension artérielle l’on insiste sur une limitation de la durée du traitement? Néanmoins, la prise en charge des coûts d’un traitement par la méthadone est fixée à maximum 24 mois par les caisses publiques d’assurance-maladie dans certains Etats des États-Unis.
La posologie optimale de la substance de substitution est fixée individuellement et cliniquement pour chaque patient. L’objectif est le bien-être du patient et la réduction des consommations parallèles.
Pourquoi ce qui est valable pour tous les autres médicaments sur ordonnance ne l’est pas aussi pour le médicament de substitution? Et pourtant, il existe dans certains pays des réglementations claires quant aux posologies maximales, bien qu’il ait été prouvé à maintes reprises que des doses réduites sont associées à une mortalité accrue. En d’autres termes, cela signifie que les médecins et autres personnes prenant en charge des sujets dépendants des opiacés et leur refusant le médicament de substitution à une posologie considérée efficace sont co-responsables de la perte inutile de vies.
Le TBS doit être poursuivie en milieu carcéral. Il est en règle générale indiqué d’introduire un traitement basé sur la substitution auprès des dépendants aux opiacés non substitués.
Ceci est bénéfique pour ces personnes. Malheureusement, ce type de traitement n’est légalement autorisé que dans quelques rares pays à travers le monde.
Des mesures de soutien s’ajoutant au traitement de substitution revêtent une grande importance, mais ne sont pas une condition requise pour un TBS.
On proposera au patient toute aide envisageable, qu’elle soit médicale, sociale, financière ou autre, en plus de la remise du médicament de substitution. Il serait cependant absurde de faire dépendre de l’acceptabilité de ces autres propositions la mise en route d’un traitement de substitution.
Les examens réguliers des urines n’apportent que peu d’avantages complémentaires pour le traitement. Les déclarations du patient en ce qui concerne la prise de substances annexes sont en général fiables si la consommation parallèle n’est pas sanctionnée.
L’on ne menace pas non plus le diabétique d’une réduction de la dose d’insuline prescrite si le laboratoire constate une glycémie élevée! Les examens de laboratoire sont certes souvent cliniquement indiqués, mais que le patient doive régulièrement, sur commande et sous surveillance, faire pipi dans un flacon est contraire à la dignité humaine et nuit à la relation thérapeutique entre le médecin et son patient.
Qu’est ce qui doit être jugé, selon quels critères, et par qui lors d’un TBS? Conscients du fait qu’il ne s’agit pas, dans le traitement de la dépendance aux opiacés, d’obtenir en premier lieu la guérison, c’est-à-dire une abstinence durable, notre objectif thérapeutique doit être une vie meilleure, plus saine, bien intégrée socialement et productive pour le patient, comme dans toute autre maladie chronique. Pour prendre une image de notre vie moderne, c’est aujourd’hui le consommateur qui décide de la qualité d’une marchandise, même si celle-ci correspond à un traitement médical. Les personnes concernées devraient être obligatoirement intégrées dans la discussion et dans les processus de décision portant sur des améliorations possibles. Une évaluation qui ne serait faite que par des experts du monde médical est à rejeter.
En fin de compte, la meilleure politique en matière de drogues n’est jamais assez bonne; il est toujours possible de l’améliorer et la recherche d’approches nouvelles et efficaces ne doit pas cesser. Newman termine son intervention en faisant l’éloge des recommandations par une citation de Goethe: «Il ne suffit pas de savoir, il faut mettre en pratique, et il ne suffit pas de vouloir, il faut agir!»
Ambros Uchtenhagen, Prof. émérite, D méd., D phil., Institut de recherche sur la santé publique et les addictions, associé à l’Université de Zurich
A. Uchtenhagen est connu bien au-delà des frontières de la Confédération helvétique comme chercheur expert dans le domaine des addictions. Il a marqué l’histoire de la politique de la drogue en Suisse. Les lignes suivantes sont extraites de son intervention qui fait un retour en arrière très personnel sur la première journée de la NASUKO 2007.
«L’exposé de Madame Schlegel fournit une bonne occasion de réfléchir à ce que signifierait, pour notre thématique, le passage d’une politique de la drogue à une politique de l’addiction, voire même à une politique de la santé. L’intervention de Monsieur Tanner contenait des éléments dans ce sens et je me suis senti particulièrement interpellé par le titre du livre d’Albert Memmi «Le Buveur et l’Amoureux» qu’il a cité. Memmi nous montre la dimension anthropologique de l’homme qui essaie de satisfaire ses besoins. Les succédanés de satisfaction en font bien entendu partie. Je trouve extrêmement intéressant de considérer le traitement de substitution sous cet angle. J’ai moi-même essayé il y a plusieurs années d’appliquer les critères de l’ICD-10 pour la dépendance à l’état de l’être amoureux. Étonnant comme cela convient: tel l’escarpin qui moulait si bien le pied de Cendrillon.
Jakob Tanner a par ailleurs évoqué la fonction des toxicodépendants dans le refoulement des problèmes de la société. Du point de vue sociologique, nous avons affaire ici à la «théorie du bouc émissaire» connue de longue date. Qu’en est-il aujourd’hui? Le toxicodépendant est-il encore le bouc émissaire? Lorsque l’on regarde les affiches lors des scrutins politiques, on s’aperçoit que ce sont désormais les demandeurs d’asile qui assument ce rôle. Le toxicodépendant semble avoir été mis au rancart. Mais il reprendra peut-être du service lorsqu’il s’agira de procéder à la révision définitive de la Loi sur les stupéfiants.
J’ai trouvé tout aussi importante la demande pressante de Jakob Tanner de cesser la discussion sur le pour et le contre du traitement par la méthadone et de soulever bien plutôt la question du comment de cette forme de thérapie.
De l’intervention du Dr Schorr, j’ai retenu deux choses. D’une part, on note une proportion égale d’étrangers parmi les substitués à la méthadone que dans la population totale. Manifestement, il n’existe pas de barrières culturelles nous empêchant de fournir à la partie étrangère de notre population les mesures thérapeutiques que les Suisses et les Suissesses reçoivent également. Se pose pour moi alors la question de savoir comment interpréter la courbe déviant vers la droite qui représente les cohortes d’âge dans la clientèle des patients. Devons-nous y voir la «voie sans issue» dont il est question dans le titre de cette NASUKO ? Ces personnes ne trouvent-elles plus la porte pour sortir de leur traitement par la méthadone ou bien s’agit-il plutôt d’un phénomène positif, à savoir qu’il n’y a plus de nouvelles entrées? Que cela pourrait-il signifier? Peut-être un désintérêt des toxicodépendants d’aujourd’hui pour cette forme de traitement ou bien existe-il de meilleures alternatives ?
Selon moi, le véritable grand moment de la journée d’hier était l’évaluation par Robert Newman des recommandations de la Société Suisse de Médecine de l’Addiction en ce qui concerne le traitement par la méthadone. Il ne leur a attribué que les meilleures notes. S’y ajoute le fait, comme je peux le confirmer en tant que participant à l’atelier sur l’application de ces recommandations, que ces recommandations font parfaitement leurs preuves dans les exemples de cas. Ceci m’a fortement impressionné.»
J’ai trouvé tout aussi importante la demande pressante de Jakob Tanner de cesser la discussion sur le pour et le contre du traitement par la méthadone et de soulever bien plutôt la question du comment de cette forme de thérapie.
De l’intervention du Dr Schorr, j’ai retenu deux choses. D’une part, on note une proportion égale d’étrangers parmi les substitués à la méthadone que dans la population totale. Manifestement, il n’existe pas de barrières culturelles nous empêchant de fournir à la partie étrangère de notre population les mesures thérapeutiques que les Suisses et les Suissesses reçoivent également. Se pose pour moi alors la question de savoir comment interpréter la courbe déviant vers la droite qui représente les cohortes d’âge dans la clientèle des patients. Devons-nous y voir la «voie sans issue» dont il est question dans le titre de cette NASUKO? Ces personnes ne trouvent-elles plus la porte pour sortir de leur traitement par la méthadone ou bien s’agit-il plutôt d’un phénomène positif, à savoir qu’il n’y a plus de nouvelles entrées? Que cela pourrait-il signifier? Peut-être un désintérêt des toxicodépendants d’aujourd’hui pour cette forme de traitement ou bien existe-il de meilleures alternatives?
Selon moi, le véritable grand moment de la journée d’hier était l’évaluation par Robert Newman des recommandations de la Société Suisse de Médecine de l’Addiction en ce qui concerne le traitement par la méthadone. Il ne leur a attribué que les meilleures notes. S’y ajoute le fait, comme je peux le confirmer en tant que participant à l’atelier sur l’application de ces recommandations, que ces recommandations font parfaitement leurs preuves dans les exemples de cas. Ceci m’a fortement impressionné.»
Hermann Fahrenkrug, rédaction de «Abhängigkeiten»
Ambros Uchtenhagen a animé un débat entre Ruedi Stohler, médecin chef de la PUK (Clinique psychiatrique universitaire) de Zurich, Evelyne Flotiront, directrice d’un centre d’accueil et de contact à Bâle et Markus Zahnd, président du Berner Arbeitskreis für stationäre Suchttherapie und Rehabilitation. Les thèmes principaux étaient la place de la substitution des opiacés dans le système suisse de traitement de l’addiction, l’indication d’un TBS, ainsi que les objectifs thérapeutiques à poursuivre.
R. Stohler a souligné le rôle central que joue la substitution dans la politique suisse en matière de drogues pour accroître l’efficience des traitements de l’héroïnomanie. Les patients peuvent ainsi être protégés des infections et la suppression du stress de l’acquisition des drogues permet à beaucoup de s’éloigner de la rue et du milieu social correspondant. Il ne s’agit pas, selon Stohler, de croire de toutes ses forces à l’illusion d’une société sans drogues. E. Flotiront et M. Zahnd ont montré leurs distances par rapport à cette position; ils ont voulu mettre en garde contre le danger d’une «chronicisation» et donc d’une persistance de la dépendance du fait du traitement par des opiacés. En particulier chez les jeunes toxicodépendants, les chances réelles d’un traitement orienté vers l’abstinence sont trop peu sondées sans vouloir pour autant s’accrocher au paradigme de l’abstinence – explique Zahnd. De plus, selon Flotiront et Zahnd, la prise en charge psychosociale dans le cadre d’un TBS est négligée du fait de la forte médicalisation du traitement des personnes dépendantes aux opiacés. Des programmes d’accompagnement pour un soutien psychosocial seraient cependant nécessaires pour pouvoir sortir de la «voie sans issue» dont il est question dans le titre de la NASUKO 2007.
Les participants à la discussion ont réussi à se rapprocher sur les points suivants: un grand nombre de personnes toxicodépendantes ont pu et peuvent tirer avantage d’un TBS. L’importance de mesures supplémentaires de prise en charge, en plus de la remise du médicament de substitution, n’a été remise en question par personne. L’objectif thérapeutique et donc aussi la question de «l’abstinence» doivent être constamment réévalués au cours d’un traitement de l’addiction.
Daniele Zullino, Dr méd., privat-docent, médecin chef du Service d’abus de substances, Hôpitaux universitaires de Genève (HUG)
La prescription d’opiacés comme médicaments de substitution est, pour les partisans de la substitution, un moyen efficace de traitement de l’addiction, mais pour ses détracteurs, elle constitue seulement le remplacement d’une drogue par une autre. A l’aide de données neurobiologiques, D. Zullino a montré que la vérité se situe peut-être quelque part à mi-chemin.
Une addiction évolue en trois phases. Le début d’un comportement consommateur dépend de facteurs externes, tels que la disponibilité, le cadre culturel, la permissivité ou la pression du groupe, et, pour une large part, ne dépend pas des caractéristiques de la substance, puisque celle-ci n’a en effet pas été consommée auparavant. En revanche, durant la phase 2, c’est-à-dire la consommation réitérée, l’effet agréable, euphorisant d’une substance joue un rôle certain; la consommation d’une substance est précédée d’un examen du pour et du contre et d’une prise de décision consciente. Au centre se trouve la recherche du plaisir (hédonisme). Quand la phase 3, l’addiction, est atteinte, la consommation n’est typiquement plus axée sur le plaisir et n’est plus déterminée par l’évaluation des avantages et des inconvénients, mais elle est automatisée. L’addiction pourra donc être définie comme un comportement automatisé inadapté, pouvant être déclenché par des stimuli externes (p. ex. la publicité) ou internes (p. ex. peur, palpitations).
Ce comportement automatisé a certainement un sens dans l’évolution. Les stimuli saillants (stimuli proéminents, essentiels pour la survie) de nature sexuelle, alimentaire, dangereuse, douloureuse, inconnue-nouvelle ou bien interactive induisent une activation du centre de renforcement dans l’aire tegmentale ventrale du mésencéphale. La libération accrue de dopamine a permis le renforcement d’un comportement adéquat, déterminant pour la survie. L’automatisation de ce modèle perception-comportement a résulté en un avantage, car les situations pertinentes sont rapidement reconnues et immédiatement traitées par un comportement approprié. Si le comportement automatisé était inadéquat, il s’en suit une sélection naturelle car ce comportement n’était pas compatible avec une longue survie.
Toutes les substances addictogènes ont pour caractéristique prouvée dans les examens d’imagerie d’activer l’aire tegmentale ventrale. Le cerveau réagit à un stimulus apparemment saillant par un renforcement automatique des pensées, sentiments, perceptions et comportements qui corrèlent dans le temps avec la libération de dopamine. Il en résulte une automatisation du comportement qui conduit à une consommation toujours renouvelée. Ainsi sont automatisés des complexes stimulus-comportement qui sont fortement marqués par le milieu de la drogue.
Comment justifier alors l’action thérapeutique d’un TBS? L’objectif d’un traitement de l’addiction est l’apprentissage, l’exercice et le renforcement de modèles alternatifs de comportement, donc une modification progressive de modèles comportementaux. Tout comme le comportement peut être renforcé par l’héroïne dans le milieu de la drogue, une automatisation du complexe perception-comportement et son renforcement sont possibles dans le cadre thérapeutique d’une substitution d’opiacés. Cet apprentissage d’autres formes de comportement requiert bien entendu des contenus didactiques qui ne peuvent être proposés que dans le cadre d’un traitement de soutien (sociothérapie, psychothérapie).
Plusieurs études qui traitent du déroulement dans le temps des réussites thérapeutiques dans les TBS confirment la présomption d’un effet précoce d’apprentissage au cours de la première année de traitement, suivi d’un état stagnant (voir la figure 3).
Ces résultats ont les conséquences suivantes pour les stratégies thérapeutiques:
À la fin de son exposé, D. Zullino a expliqué la métaphore de l’escalier roulant qui a été introduite aux Hôpitaux universitaires de Genève pour faciliter la compréhension du traitement moderne de l’addiction. Un système de traitement de l’addiction correspond à un immeuble de plusieurs étages avec des escaliers et des escaliers roulants. Si le patient veut arriver en haut, il doit «seulement» se motiver à monter sur l’escalier roulant, c’est-à-dire à prendre le médicament de substitution; l’escalier roulant lui fera monter un étage. Toutefois, si pendant son parcours sur l’escalier roulant il reçoit enseignement et soutien, il montera non seulement plus vite, mais il sera aussi capable de continuer vers le prochain étage.
En dehors des patients qui préfèrent l’assistance d’un escalier roulant, il y a naturellement aussi ceux qui veulent et peuvent emprunter l’escalier.
Barbara Broers, Dr méd., Département de médecine communautaire, HUG Genève et Collège Romand de Médecine de l’Addiction; Hans Gammeter, Dr méd., médecin de famille, Wattwil et Forum Suchtmedizin Ostschweiz (FOSUMOS)
La question de la qualité des traitements de l’addiction gagne constamment en importance du fait des exigences croissantes quant à des preuves de la rentabilité des prestations médicales. Dans la théorie de l’évaluation de la qualité, on peut se baser sur le modèle linéaire «problème – intervention – résultat». Les questions fondamentales et importantes qui se posent sont: «Qu’est-ce qui influe véritablement sur la qualité d’une intervention?» et auparavant: «Qui est vraiment intéressé par la réponse – le patient, les thérapeutes, les organismes de prise en charge, les représentants de la santé publique?»
Le résultat d’un traitement ne consiste pas uniquement en l’effet de l’intervention elle-même, mais concerne aussi tous les changements qui lui sont associés. D’autres effets, tels que des modifications des conditions de vie ou de l’environnement social, contribuent aussi au résultat. Mais ne voir que le résultat serait éventuellement insuffisant; pour juger d’une prestation il faut considérer le processus dans toute sa globalité et sa complexité, y compris la planification, la mise en œuvre et l’analyse des résultats. Lors de la planification se pose en particulier la question du groupe-cible qui doit être clairement défini. La mise en œuvre doit faire l’objet d’un suivi permanent afin d’y apporter le cas échéant les ajustements nécessaires et lors de l’analyse des résultats il convient de différencier entre résultats à court, moyen et long terme. Pour déterminer la qualité d’une intervention, il faut recourir aussi à des indicateurs valides, fiables et sensibles, ce qui est souvent difficile. Ces réflexions théoriques devraient être appliquées aussi au traitement de substitution, comme le montre la figure 4.
L’évaluation de la qualité dans le traitement de l’addiction s’avère déjà malaisée du fait de la difficulté à définir un problème d’addiction. Toute consommation de drogues illégales constitue-t-elle en soi un problème? Une affection psychique est-elle éventuellement la raison de la problématique? Les résultats sont souvent tout aussi difficiles à interpréter: L’abstinence est-elle le seul objectif salvateur ou bien une diminution de la consommation suffira-t-elle? Et comment évaluer cette diminution et par quelles méthodes de mesure? La satisfaction du patient joue également un rôle primordial dans cette évaluation, bien qu’elle ne soit pas obligatoirement corrélée à d’autres critères qui déterminent la réussite du traitement.
Dans l’analyse de la qualité du processus, en plus de la qualité des structures (locaux, personnel, structure de l’organisation, etc.), l’existence d’instruments permettant aux thérapeutes de mieux exercer leur activités joue également un rôle important, comme par exemple les nouvelles directives de la SSAM. D’autres capacités sont également nécessaires, comme l’apprentissage d’une «conduite d’entretien motivante». Il faut pour cela que le thérapeute ait une certaine attitude qu’il ne pourra pas apprendre dans les livres, mais seulement par la rencontre de personnes sur lesquelles il pourra prendre exemple. Cette attitude suppose l’adoption d’une conception empathique et tolérante envers les personnes toxicodépendantes.
Aux États-Unis, Mc Lellan et ses collaborateurs ont défini, en 2006, sept dimensions permettant de dire d’un traitement de l’addiction qu’il est techniquement et qualitativement de haut niveau:
Exprimé plus simplement, cela signifie qu’une amélioration sensible de la situation est obtenue lorsque le toxicodépendant n’est plus dominé par les symptômes de l’addiction et a de nouveau une «vie».
Le dépistage précoce de personnes souffrant de maladies de l’addiction est à promouvoir par différentes mesures. En font partie la transmission et l’adoption de compétences professionnelles, la certification des connaissances en matière de traitements spécialisés et la rétribution de l’engagement correspondant dans le catalogue des prestations (Tarmed pour les médecins).
En Suisse, plusieurs projets ont été lancés dans le domaine de la promotion de la qualité des traitements de l’addiction. Les plus connus sont le projet de formation continue FORDD (Fédération Romande des Organismes de Formation dans le Domaine des Dépendances), le cercle de qualité COROMA (Collège Romand de Médecine de l’Addiction) et FOSUMOS (Forum Suchtmedizin Ostschweiz), ainsi que le projet «QuaThéDA» (Qualité-Thérapie-Drogue-Alcool) important en raison de son approche des aspects cliniques. Il convient d’ajouter toute une série de formations initiales et continues spécialisées, ainsi que des initiatives régionales comme «AMTiTox» dans le Tessin ou les projets de l’Institut de Psychiatrie intégrée de Winterthour. Dans la plupart des cantons suisses, il existe des offres facilement accessibles de traitements de l’addiction, en particulier pour les traitements basés sur la substitution, sans longues listes d’attente. La situation en Suisse peut dans l’ensemble être qualifiée de satisfaisante.
Pour l’avenir du traitement de l’addiction, il semble particulièrement important que même les étudiants en médecine adoptent très tôt cette attitude d’acceptation du toxicodépendant. Dans leur vie professionnelle, les cercles de qualité leur offriront la possibilité de rencontrer des personnalités marquantes de la médecine de l’addiction. Par ailleurs, les directives de la SSAM sur les TBS devraient être harmonisées avec les directives cantonales, comme c’est déjà le cas dans le canton de St. Gall. L’interdisciplinarité et une extension de l’offre en traitements de l’addiction dans les domaines médicaux et psychologiques, ainsi qu’une modification de la Loi sur les stupéfiants sont à promouvoir et ne doivent pas être rayées de l’agenda politique du seul fait que le problème des drogues est dans l’ensemble moins présent dans l’actualité.
Jacques Besson, Pr D méd, chef du Service de psychiatrie communautaire, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV), Lausanne
S’y retrouver parmi les différents niveaux – médical, psychique, motivationnel – de comportement de personnes dépendantes est un défi. Les maladies qui ont des dimensions bio-psycho-socio-spirituelles, ce qui correspond typiquement à la maladie de l’addiction, nécessitent des approches thérapeutiques dans ces quatre dimensions. Elles peuvent être abordées de façon plutôt palliative ou plutôt curative.
Les traitements palliatifs sont généralement appliqués dans les affections incurables, chroniques ou évolutives. Il s’agit en premier lieu d’atténuer les souffrances du patient en prenant en compte ses souhaits dans les domaines médicaux, sociaux, moraux, mais aussi spirituels et religieux. Selon la conception de l’académie de médecine, le traitement palliatif englobe aussi bien l’acceptation de la fin de la vie et donc de notre condition d’êtres mortels que le respect de la vie en tenant compte de la dignité et de l’autonomie de l’être humain. Il existe dans ce domaine un partenariat entre le patient et le médecin qui constitue la base des actions à entreprendre (consentement éclairé). La prise en charge palliative requiert continuité et travail en réseau des différents professionnels participant au processus.
Les cinq dimensions importantes d’un traitement de l’addiction sont:
la dimension somatique: spectre allant du bon état général avec des sérologies négatives (VIH, hépatite) jusqu’au sida avec endocardite, pancréatite et atteinte neurologique sévère
la dimension psychiatrique: spectre allant de la dépendance comme seul diagnostic jusqu’à la combinaison de plusieurs diagnostics psychiatriques aigus ou invalidants
la dimension motivationnelle: spectre allant du patient très collaborant au patient très oppositionnel qui ne collabore que sous contrainte
la dimension de crise: sert à répondre à la question de savoir pourquoi le patient demande de l’aide à ce moment précis. Spectre allant d’un très bon soutien à la maison, de la part de la famille et de l’employeur jusqu’aux crises aiguës dans l’entourage du patient avec violences conjugales et familiales
la dimension des ressources: sert à répondre à la question de l’existence de leviers possibles permettant de mettre en place des mesures de soutien. Spectre allant d’une vie sociale active avec logement, salaire, absence de problème judiciaire jusqu’à une marginalisation totale, l’absence de domicile fixe et la délinquance.
L’établissement du profil du patient selon ces cinq dimensions (RAP: Rapide Addiction Profile) permet de définir dans lesquelles la prise en charge est prioritaire. Aujourd’hui, les stratégies thérapeutiques sont moins psychanalytiques qu’orientées vers une solution. Elles regardent vers l’avenir et cherchent à identifier des ressources permettant d’améliorer la situation. La question d’un traitement plutôt curatif ou plutôt palliatif dans les différents domaines doit toujours être reposée à nouveau car les patients et le contexte changent.
Au lieu de la défense d’un «abstinencisme» ou d’un «substitutionnisme», il faut placer l’évaluation strictement clinique au centre des préoccupations de l’équipe médico-psychosociale. Une approche holistique place le patient au centre et est exempte de préjugés et de jugements de valeurs idéologiques et moraux. Les stratégies curatives et palliatives doivent se compléter judicieusement et non pas se concurrencer.
Toni Berthel, Dr méd., directeur médical adjoint de l’Institut de Psychiatrie intégrée de Winterthour (ipw), Société Suisse de Médecine de l’Addiction (SSAM)
Le traitement d’une maladie commence par la pose d’un diagnostic. Depuis les années 90, l’éventail des méthodes diagnostiques en psychiatrie s’est élargi. Alors qu’autrefois, les troubles additionnels étaient placés hiérarchiquement derrière le symptôme de présentation, comme par exemple l’addiction, et étaient ainsi souvent négligés, la démarche diagnostique moderne considère tous les diagnostics comme d’égale valeur. La présentation de toutes les pathologies côte à côte influe sur la stratégie thérapeutique; l’ensemble des symptômes qui requièrent un traitement sont de cette façon pris en charge en même temps et avec la même intensité. Cette manière holistique bio-psycho-sociale de procéder permet de considérer l’homme dans sa totalité, mais constitue aussi une source de difficultés en raison de la nécessité de mise en réseau qu’elle implique. Et le travail en réseaux demande un apprentissage. A l’heure actuelle, la coordination de l’aide médicale et sociale aux personnes souffrant d’addiction est encore sommaire en Suisse.
En plus d’une mise à plat des différents diagnostics psychiatriques, le corps médical s’implique aussi pour que des personnes souffrant de pathologies physiques et psychiques soient traitées de manière égale. La discrimination des personnes dépendantes se montre dans la réglementation stricte du traitement. Si l’on veut pouvoir traiter l’addiction comme une pathologie somatique chronique, les règles discriminantes doivent être ajustées – ainsi l’abrogation de la pénalisation de la consommation dans la révision de la Loi sur les stupéfiants.
La notion de «patient empowerment» a fait aussi son entrée dans la médecine de l’addiction: dans une relation de partenariat, le médecin fournit au patient les informations qui permettront à ce dernier de décider par lui-même des mesures à prendre. Cette conception moderne de l’interaction entre thérapeute et patient est en contradiction avec les réglementations en partie rigides et éloignées de la pratique concernant les prescriptions de traitements basés sur la substitution.
Les mesures de soutien pour les patients dépendants sont souvent mises en œuvre simultanément ou bien successivement par diverses institutions médicales et sociales. En dehors des aptitudes de base et des formations spécialisées des différents intervenants, il convient d’optimiser l’interaction entre ceux assurant une prise en charge de base et ceux fournissant une prise en charge spécialisée. Le travail dans le domaine de l’addiction est une tâche transversale (horizontale) qui implique de nombreux partenaires. La collaboration entre aide sociale, assistance à la jeunesse, psychothérapie et prise en charge médicale revêt une importance déterminante, avant tout pour les personnes dépendantes qui ne parviennent pas à se stabiliser en dépit d’une substitution suffisante et d’entretiens d’accompagnement. Pour que la collaboration interdisciplinaire puisse être fructueuse, on pourrait envisager un concept commun de l’addiction comme consensus minimal pour les problèmes à résoudre.
Il est de la plus grande importance que le transfert des nouvelles connaissances qui ont conduit à une amélioration substantielle du traitement de l’addiction soit assuré vers la médecine de premier recours de l’addiction. Des traitements nouveaux et diversifiés, basés sur la substitution, doivent pouvoir être dispensés à travers toute la Suisse, et ce, non seulement à des jeunes, mais aussi de plus en plus à des personnes âgées. La population des individus substitués vieillit et la multi-morbidité accrue des personnes concernées entraîne un pré-vieillissement supplémentaire. Des offres de soins adaptées devront être proposées par des structures de prise en charge sanitaire et sociale.
La politique en matière d’addiction se trouve prise entre idéologie et pragmatisme. Les conditions catastrophiques qui régnaient dans certaines villes suisses dans les années 90 ont, en dehors de toute idéologie, fait naître un concept pragmatique de traitement de l’addiction. Grâce à l’abaissement du seuil d’accessibilité des traitements basés sur la méthadone dans le cadre de la politique des quatre piliers, un nombre considérable de personnes dépendantes aux opiacés a pu être accueilli dans des programmes thérapeutiques à travers tout le pays. Malgré cela, ce consensus politique est aujourd’hui encore constamment remis en question pour des raisons émotionnelles et idéologiques. Il est par conséquent indispensable que les associations et institutions spécialisées usent d’un plus grand activisme politique dans la vie publique et politique pour que leurs requêtes aboutissent.
La prise en charge des personnes dépendantes aux opioïdes n’a pu être améliorée que parce que la Confédération, les cantons et les communes se sont impliqués ensemble pour résoudre conjointement les tâches en suspens. Il en ira de même à l’avenir: la résolution de problèmes complexes requiert un engagement commun de ces trois niveaux politiques, même si le problème des toxicomanies n’est plus aussi manifeste qu’il y a quinze ans.
Alors qu’auparavant, une grande partie des coûts étaient couverts par des contributions issues de projets et par des garanties en cas de déficit (financement de l’objet – l’institution), on constate un déplacement évident vers un financement de l’individu (financement du sujet). En ce qui concerne les traitements de l’addiction, il importe de considérer, premièrement, qu’une large part du travail réalisé avec des personnes toxicodépendantes est en fait un travail de réseau et qu’il ne peut être facturé par des points tarifaires. Deuxièmement, le TBS est une thérapie au long cours. Ceci signifie qu’un TBS ne pourra réussir que si un financement clair et non limité dans le temps pourra être garanti par les caisses-maladie. Si plusieurs institutions s’occupent d’un même cas, des modèles de prise en charge intégrée avec une gestion coordonnée du cas (case management) doivent être testés.
Markus Jann, chef de la Section Drogues (OFSP)
Les exposés, discussions et controverses qui ont marqué cette conférence ont montré que, dans une conception moderne et orientée vers le patient d’un traitement basé sur la substitution, il n’existe pratiquement pas de points de vue inconciliables, même si des divergences d’opinion subsistent, qu’il faudra examiner plus profondément.
Dans son intervention, Jakob Tanner a introduit la notion d’une élasticité de la substitution. Il s’agit de la capacité de remplacer des déficits innés ou acquis par des substituts de toute nature. La consommation de drogues peut ainsi être interprétée comme une tentative, toutefois très risquée, d’auto-guérison. Si la substitution devient en conséquence quelque chose de naturel et d’humain, la question ne peut plus être de savoir si un traitement basé sur la substitution peut être utile ou non, mais comment, quand et dans quelles circonstances un tel traitement est indiqué.
De nouvelles données fournissent aux experts des instruments au moyen desquels ils peuvent d’une part contribuer à améliorer le traitement de l’addiction et d’autre part trouver des arguments contre des dogmatismes idéologiques et simplificateurs. La discussion sur la question de l’importance de l’abstinence montre que le principe de la politique dite des quatre piliers doit encore et toujours être confirmé. L’abstinence semble exprimer une attitude morale fondamentale, mais qui est surtout prônée par rapport aux drogues illégales, alors que toute intervention en direction d’une réduction de l’abus d’alcool est rejetée. Etant donné que les résultats issus de la médecine factuelle ne sont pas suffisants pour certains, la discussion sur l’importance de l’abstinence se poursuivra probablement encore pendant de longues années.
L’OFSP continuera à s’engager dans les domaines de la création et de l’élargissement de réseaux, de la maîtrise de la qualité et de la promotion d’innovations, bien qu’avec plus de difficultés puisqu’il doit faire face à une diminution croissante de ses ressources financières et humaines. Une attention particulière est accordée aux relations publiques. L’objectif est en effet d’ancrer durablement dans la politique et dans la société les connaissances acquises en matière de traitements de substitution. Markus Jann clôt la NASUKO 2007 avec ces mots: «Lorsque nous nous confrontons à la problématique de l’addiction, nous faisons toujours également de la politique sociétale. Ceci rend notre travail si passionnant, mais nous fait aussi assumer une grande responsabilité.»