octobre 2005
GREA-ISPA
J’ai travaillé dans l’import-export. Je voyageais beaucoup, et l’alcool – le whisky en particulier – était souvent présent dans la discussion et la conclusion des affaires et lors de voyages souvent difficiles, sans que cela trouble pour autant ma vie professionnelle ou familiale. Mon parcours professionnel n’a pas été des plus faciles. Après des années de lutte et de combats, malgré de belles réussites, la situation s’est détériorée de par l’agissement de notre Président qui était et avait toujours été alcoolique, et qui, à la fin de sa vie, en a été victime et en est mort, me laissant sur les bras une société au bord de la faillite. J’ai dû en quelque sorte sauver l’entreprise et procéder à sa liquidation. J’avais alors 62 ans. J’ai passé assez aisément six mois de chômage et ai heureusement pu retrouver du travail pour les trois dernières années.
C’est au moment de la retraite que les choses ont commencé à se gâter. D’abord dans ma vie de couple, qui a été jalonnée de sérieuses difficultés avec mon épouse (grave incompatibilité de caractère). Les problèmes qui étaient masqués par ma vie professionnelle où j’étais souvent absent, ont ressurgi avec force…. me poussant à préférer très lentement mais sûrement la compagnie de l’alcool dont j’avais besoin, pensant que cela m’aidait et me soutenait avant de pousser la porte de la maison le soir… Je suis quelqu’un d’actif, très sociable. Je me souviens même avoir préparé une liste de nombreuses tâches à accomplir une fois à la retraite, comme nettoyer le garage, par exemple, le genre de choses qu’on remet toujours à plus tard quand on est pris par son travail.
Pendant une année, deux ans, ça va, on s’occupe. Mais on est aussi dans un rythme plus lent, on a moins l’énergie de faire les choses, on s’installe dans une espèce d’oisiveté. Je croyais être préparé, mais la retraite a réellement représenté une coupure, une cassure. Alors, comme j’ai toujours bien aimé les cocktails, j’ai commencé à en boire plus souvent pensant que cela m’aiderait à garder le moral. J’ai découvert le punch, et, peu à peu, la dégringolade a commencé.
Je réalisais que je glissais, j’hésitais à rentrer chez moi tellement l’ambiance était insupportable. On me faisait remarquer que je buvais trop, mais je me disais: on ne me comprend pas. C’est du plaisir, rien d’autre! Mon frère aussi s’inquiétait à mon sujet. C’est lui qui, un beau jour, m’a proposé d’aller voir son médecin qui, disait-il, s’occupait de cas comme le mien.
Après beaucoup de réticence et de faux-fuyants, j’ai pris la décision d’y aller. J’ai tout de suite eu confiance en ce médecin. Il m’a demandé de raconter ma vie. Pendant mon exposé, à plusieurs reprises, il a interrompu mon récit en me posant cette question: «Monsieur, êtes-vous vraiment décidé à en finir avec l’alcool?». J’ai répondu trois fois oui, et il m’a proposé, si je l’acceptais, de prendre de l’Antabus et de rester sous son contrôle, en attirant mon attention sur les effets et dangers de ce traitement. J’ai accepté et suivi exactement les prescriptions de ce médicament.
Les premières semaines ont été très pénibles. Non pas à cause du sevrage d’alcool mais des effets secondaires. J’ai tenu le coup, luttant seul contre moi. Je me souviens de m’être retrouvé, quatre jours après le début du traitement, incapable de lacer mes chaussures tant mes mains tremblaient. Ou d’être resté coincé dans ma baignoire, tant les forces me manquaient pour me lever et sortir. Cela a duré environ cinq semaines, période excessivement difficile et solitaire! Les forces me revenant petit à petit, j’ai commencé à sortir un peu pour prendre l’air mais je vacillais terriblement sur mes jambes, et pourtant, un certain jour, en rentrant à pied à mon domicile, je me suis tout à coup rendu compte que je pouvais marcher normalement, bien droit et beaucoup plus solide.
C’est alors que j’ai pensé soudain d’essayer de me rendre à une réunion des Alcooliques anonymes. Je me sentais hors d’affaires, mais c’est un peu par curiosité que j’y suis allé. J’y ai trouvé de l’amitié, de la chaleur et un encouragement extraordinaire.
C’est important pour moi de parler de mon expérience, de montrer aux autres qu’on peut s’en sortir. Un jour quelqu’un me parlait du deuil de l’alcool. Je répondis que pour moi, il ne s’agit pas d’un deuil, mais d’une victoire.
Malgré ma consommation excessive d’alcool, j’ai toujours essayé, pas toujours réussi, à garder une certaine tenue qui fait qu’aujourd’hui, bon nombre de personnes sont étonnées quand je dis que j’ai arrêté de boire. Je n’oublie pas que j’ai eu affaire à l’alcool qui est puissant, déroutant, sournois, et mortel. Sans aide, c’était trop pour moi.
Pourtant, maintenant, je sais et je sens que je suis un ressuscité.