décembre 2008
Cristina Monterrubio Leu et Ueli Simmel (Infodrog, Berne)
La prise en charge des personnes toxicodépendantes en Suisse propose une large variété d’offres, très diversement stratifiées. Chacune de ces offres possède ses propres caractéristiques, qu’il s’agisse de l’orientation de la prise en charge (abstinence, sevrage, etc.), de la durée (court, moyen ou long terme) ou encore de l’intensité des prestations (mesures accompagnatrices, complémentaires ou substitutives). Tout cela tient compte et répond, bien évidemment, à la grande diversité des groupes cibles et de leurs demandes. Dans ce cadre, il apparaît primordial que, pour définir la prestation la plus adéquate thérapeutiquement parlant pour une personne, il faut avoir à disposition un «instrument d’évaluation du client» dont la légitimité n’est pas à prouver.
Partant de ces constats de base, Infodrog la Centrale de coordination nationale pour les addictions, en collaboration avec l’Office fédéral de santé publique (OFSP) a mis au point un nouvel outil. Le but de ce dernier est de permettre, dans un court laps de temps et par le biais d’un ou plusieurs entretiens, de dresser un tableau des ressources de l’individu qu’il s’agit d’orienter vers un processus thérapeutique. Cet outil, appelé modèle de ressources, vise donc une adéquation entre la demande de la personne liée à son état du moment et l’offre des diverses institutions.
(En ce qui concerne les offres des institutions, un modèle correspondant avait déjà été développé, il y a quelques années, dans le cadre de FiDé, Le Système de financement des prestations pour les thérapies des dépendances, afin de différencier l’éventail des offres existantes.)
Toute personne traverse, de son enfance à l’âge adulte, un processus de socialisation. Dans le cadre des addictions, ce processus de conduite relativement autonome et autodéterminé de sa vie par un individu ne peut se faire qu’avec l’aide de produits psychotropes. La personne perd donc une partie plus ou moins importante de son autonomie. Cette idée de la perte de l’autonomie à pallier, fait aujourd’hui l’unanimité au sein d’un éventail thérapeutique diversifié.
Pour pouvoir obtenir une image des ressources (et donc également des lacunes dans ces ressources) de l’individu, nous avons défini une systématique de travail. Cette dernière appliquée à l’évaluation des ressources individuelles et à la planification des prestations adéquates, se rapporte à trois éléments: les champs de socialisation, les niveaux de socialisation et les ressources-clés de l’individu. Les champs de socialisation permettant de définir les ressources-clés de l’individu.
Afin de situer la clientèle dans sa réalité concrète, nous avons retenu pour notre modèle d’orientation les quatre champs de socialisation utilisés dans le descriptif des prestations Fidé. Il s’agit: du groupe primaire, de la formation, du travail et des loisirs. Nous les détaillerons un peu plus loin dans le texte.
En ce qui concerne les niveaux de socialisation liés aux niveaux des ressources, nous retiendrons cinq constellations sociales. Cependant, nous ne travaillerons que sur les trois inférieurs; en effet les deux premières ne sont pas (ou de manière négligeable) accessibles à l’intervention des services publics. Ces couches ont été définies de la manière suivante : 1. couche supérieure internationale à très haut niveau de ressources, 2. niveau élevé de ressources (ancienne classe supérieure), 3. niveau moyen de ressources (classe moyenne), 4. faible niveau de ressources (classe sociale inférieure), 5. très faible niveau de ressources (désintégration sociale et marginalisation).
Le lien entre ces niveaux de socialisation et l’attitude des individus face aux situations imprévues et à leur gestion sera repris dans la suite de notre argumentation.
En préambule, il est essentiel de préciser que notre outil d’indication ne remplace pas les autres outils existants. Il les complète en les systématisant et en permettant d’adopter un langage commun et neutre entre les individus. En effet, il ne s’agit pas de vouloir remplir un nouveau document ou de poser un diagnostic médical personnel. L’idée de base consiste à réaliser une photographie instantanée de la personne et de ses ressources à un moment donné. Ce qui permet alors de fournir aux professionnels, des indications objectives sur l’état actuel des ressources mobilisables pour cet individu. La recherche et la pratique nous indiquent en effet que le fait de disposer de suffisamment de ces ressources-clés contribue de manière déterminante à rendre possible une conduite satisfaisante de la vie quotidienne de toute personne.
Reprenons un peu plus en détail les quatre champs de socialisation. Chacun d’eux se partage à son tour en quatre dimensions distinctes.
A l’aide de ces quatre champs de socialisation, nous obtenons une image des ressources-clés actuelles que l’individu possède et qu’il peut mobiliser dans un processus thérapeutique.

Nous avons crée un outil informatique comme support technique aux entretiens que mène habituellement un professionnel sollicité dans le cadre d’un processus d’indication. Ce support permet pour chaque dimension de chaque champ de socialisation de positionner la personne en fonction de ses réponses sur une échelle de 15 à 1. Ces quinze types de réponses possibles forment trois catégories d’attitude: acceptation, refoulement et refus. Ces trois attitudes nous ramènent à nos trois niveaux des ressources décrites plus haut. En effet:
Cet outil informatique permet également de donner une représentation visuelle de la situation concrète des ressources, les informations pouvant être visualisées sous forme de tableau. Il fournit alors des indications qui ont une légitimité professionnelle sur une base objective.
Il ne s’agit pas d’un questionnaire à faire passer de A à Z à son client. Mais il donne des pistes sur les questions à poser ou les thèmes à aborder afin d’obtenir les informations nécessaires pour compléter le document.
Actuellement, quatre institutions en Suisse allemande et trois en Suisse romande participent à la phase test de notre projet. A ce jour, nous avons à disposition plus de 250 questionnaires remplis qui nous donnent déjà une bonne base de travail. Les résultats sont en cours d’analyse. Les remarques et commentaires que nous font nos partenaires au fur à mesure de l’utilisation nous permettent d’affiner l’outil, de le compléter voir de le corriger.
Il ressort des échanges fructueux que nous avons régulièrement avec les institutions participantes des éléments que nous n’avions pas envisagés dans un premier temps. En effet, une institution nous a confié utiliser les tableaux comme base de discussion pour les supervisions de cas cliniques. Une autre trouve l’outil intéressant pour le transfert des informations d’un client, d’une unité à une autre au sein de l’institution.
L’unanimité se fait, une fois la phase d’apprivoisement passée, autour de cet outil, qui s’avère d’une utilisation assez aisée et apporte une bonne somme d’informations à un moment précis sur un individu. Il peut alors être utilisé ultérieurement pour voir et discuter des modifications du profil des ressources-clés de la personne.
Nous allons poursuivre le développement de cet outil ces prochains mois. À un moyen terme, nous souhaitons parvenir à un modèle simple d’utilisation, qui fournisse rapidement un profil clair des ressources-clés de l’individu. Ce profil pouvant alors être introduit dans une base de données des profils des institutions suisses. Le résultat proposera alors diverses offres d’institutions correspondant à cet individu. Visant ainsi un processus d’indication utilisable par les professionnels et fournissant des données systématisées.
Il va de soi que les parts subjective et objective seront toujours étroitement mêlées. Il ne s’agit pas de «robotiser» les échanges avec les clients qui apportent les informations essentielles à tout processus d’indication. Mais plutôt, plus humblement, de soutenir ce processus complexe et difficile en le rendant accessible.