avril 2002
Elisabeth Reber Chappuis (Torry)
Initialement issue du monde économique, où l’investissement d’un système de gestion de la qualité vise une augmentation de la rentabilité, la gestion de la qualité a dû être adaptée au contexte social. Les organisations à but non lucratif ont des problèmes d’implantation, qui rendent plus difficile la gestion de la qualité. Les ressources sont définies et fort limitées, et ne correspondent pas à un appui concret. De plus, les collaborateurs d’une institution sociale ne sont pas concernés par une maximalisation d’un bénéfice monétaire, mais par un but éthique. Il n’est pas simple de les motiver pour le respect d’une norme de qualité. Il s’agit dès lors de ne pas diminuer la motivation professionnelle avec des exigences Qualité élevées.
Le vocabulaire utilisé dans une démarche qualité, ainsi que ses nombreuses abréviations de termes, est applicable à tous les genres d’entreprises, peu importent les produits fabriqués ou les services dispensés. Comme ces normes sont acceptées au niveau international par plus de 100 pays, il est normal que le vocabulaire ne soit pas celui que nous employons tous les jours. Il faut investir du temps pour la sensibilisation à ce nouveau vocabulaire qui a l’avantage d’être compris de façon internationale.
Comment définir des critères de qualité, et qui est apte à les définir ? La notion de qualité est aujourd’hui omniprésente dans le discours économique et commercial. C’est un argument permettant de se valoriser. Détournant son regard du résultat à obtenir au profit de la démarche pour y arriver, l’éthique se définit dans ce qui anime les procédures mises en place, et non dans un certain résultat visé. De toute façon, l’éthique est toujours affaire d’interprétation, souvent déjà à l’intérieur même d’une institution. C’est autant une question de culture que de développement. Le concept d’éthique reste indéfinissable et surtout variable selon l’identité de l’énonciateur. En fait, la qualité sociale relève de choix politiques plus qu’éthiques.
Toute institution adoptant une démarche qualité s’expose à modifier en profondeur ses structures de fonctionnement tant internes qu’externes. Elle sera jugée de haute qualité, si elle répond d’une manière efficiente et effective aux attentes des besoins à la fois de son support juridique, de ses clients (usagers, services) et de ses collaborateurs. Dans cette perspective, la mise en place des codes et des labels sociaux doit débuter par l’engagement, la responsabilisation, et la solidarisation de tous les acteurs. L’information mutuelle et la transparence sont des conditions essentielles à l’apparition d’un consensus.
D’une façon générale, la qualité doit au moins répondre aux attentes que le client s’est fixé. En approfondissant, les critères de qualité trouvent une résonance autour de mots tels que: fiabilité, empathie, compétence des collaborateurs, confort, sentiment de sécurité et serviabilité. Dans un centre de traitement des dépendances, la recherche de la qualité et celle de la performance globale nécessitent la prise en compte des attentes multiples et complexes des clients-usagers. Leurs besoins sont de moins en moins uniformes et de plus en plus diversifiés, singuliers et en évolution permanente. Par conséquent, la participation dynamique de ces derniers à la production du service apparaît déterminante, car la construction de la qualité est le résultat d’un compromis entre plusieurs logiques.
Le service, dans un centre de traitement, est un acte immatériel, non stockable, visant une transformation d’état. Il se fait en faveur de quelqu’un et ses effets sont incertains. La qualité du service est ainsi une qualité espérée, anticipée, et la réalisation de la prestation le résultat d’un compromis entre plusieurs visions. La prise en compte de l’usager, de ses besoins et de ses attentes, est une variable déterminante, de même qu’une exigence méthodologique, pour aborder la qualité. Cela doit devenir un axe stratégique pour une institution sociale. Les professionnels de l’action sociale doivent apporter des réponses spécifiques à chaque cas. Autrement dit, l’équipe intervenante adapte sa stratégie aux usagers. Le travail social paraît ainsi extrêmement complexe car il s’agit de répondre aux demandes individuelles tout en sachant que l’enjeu est collectif. La qualité se définit de plus en plus comme la meilleure adéquation entre l’offre institutionnelle et le besoin de ses clients. La prise en compte de l’histoire, des spécificités, et des besoins réels de chacun facilite la définition des priorités, mais aussi la relation elle-même. L’usager apparaît comme une ressource mobilisable et dynamique, comme une source d’informations, voire d’idées, importantes pour la qualité du service. La collaboration à élaborer doit être susceptible d’améliorer aussi l’optimisation de l’organisation. La construction de la qualité résulte d’un ensemble de compromis aboutissant à un résultat commun et donnant satisfaction aux deux parties. La participation de l’usager varie, entre autres, selon son âge, sa situation socioprofessionnelle, et la manière dont il appréhende sa dépendance.
La qualité d’un service n’est pas nécessairement la même, considérée du point de vue de l’usager, d’un intervenant, de la direction d’une institution, ou encore des pouvoirs publics. La qualité est à considérer comme un produit collectif, comme le compromis entre plusieurs visions. La prise en compte de l’organisation au sens large permet de mettre en forme les relations entre les différents acteurs pour leur permettre de réaliser au mieux leurs tâches, avec le minimum d’incertitude et le maximum de résultat sur l’usager. La recherche de la qualité nécessite à la fois développement des compétences professionnelles, responsabilisation, autonomie, prise d’initiatives, et par conséquent reconnaissance des intervenants en tant qu’acteurs principaux de la relation de service.
La qualité ne s’obtient pas comme une eau minérale dans un distributeur de boissons. La démarche est longue et elle demande des investissements. Elle peut mener à la réduction des coûts d’opération de l’institution, mais c’est là une conséquence de l’implantation de la démarche et non son principal objectif.
Dans une période d’insécurité financière, le Torry s’est engagé dans une démarche d’assurance Qualité. Ayant dans le Centre un degré de formalisation relativement élaboré (culture écrite bien établie), nous pensions qu’un tel système entraînerait un investissement tout à fait gérable. Nous avons cependant sous-estimé les charges occasionnées par une telle entreprise. Notre souci de perfection, peut-être trop rigide, nous a parfois amenés à un degré de détails demandant de longues réflexions. De plus, une série d’imprévus, tels que des absences de longue durée pour accidents ou maladies, s’est ajoutée à cette difficulté.
Le succès d’une démarche d’implantation de Qualité dépend surtout de l’engagement de la direction (un Comité de direction soutenant effectivement et efficacement les membres du team de direction) et du niveau de participation des collaborateurs. La participation de tous est essentielle, incontournable. Les meilleurs agents d’amélioration de la qualité sont les membres du personnel car ce sont eux qui peuvent dire ce qui fonctionne mal, ce qui demande des efforts inutiles. L’engagement de la direction doit être visible, sincère et soutenu afin de maintenir la participation active et volontaire de tous les employés.
Au départ, un sentiment de crainte animait plusieurs collaborateurs. Peurs de l’inconnu, du changement, de la remise en question, d’un surplus de travail. Craintes d’être confronté à ses propres dysfonctionnements, à certaines limites de compétences, ou encore à des lacunes d’ordre professionnel. Autant de sentiments désagréables occasionnèrent inévitablement de la résistance au début du projet.
Nous avons donc commencé par le haut de la pyramide hiérarchique, en établissant un outil de management de base du Torry. Dans un processus bien planifié et établi, le support juridique, ainsi que les collaborateurs de l’institution, ont élaboré des principes directeurs en l’espace de 10 mois environ, prenant en considération l’évolution du contexte du Centre aux niveaux cantonal et fédéral. Un groupe de travail, composé de membres de chacun des secteurs du Torry, a mis en forme, au fur et à mesure, les points élaborés par les intervenants et les membres du Comité de direction. Plusieurs consultations furent ensuite aussi nécessaires entre ces deux entités. Un document intitulé «Principes directeurs» résulta de tous ces échanges et réflexions. Durant cette même phase de travail, un constat important se fit jour : les statuts n’étaient plus cohérents avec la vision et l’évolution souhaitées. Un sous-groupe du support juridique (Comité de direction) s’est alors donné l’objectif d’élaborer des statuts adéquats, en clarifiant également les compétences entre les deux niveaux du support juridique (Conseil de Fondation et Comité de direction). Les nouveaux statuts ont été approuvés par la Surveillance des Fondations en février 2000. La gestion d’un tel projet nécessite beaucoup de ressources. Les membres du Comité de direction ont mis à disposition leurs compétences et leur temps de façon significative. L’aspect très positif à souligner de cette implication fut le rapprochement et l’amélioration de la collaboration entre les membres de notre support juridique et les personnes quotidiennement en action et en réflexion sur le terrain.
Pour les collaborateurs actifs dans cette démarche, l’étape cohérente et nécessaire suivante fut de mettre à jour la charte. Finalement, c’est un nouveau document qui fut réécrit. Les instruments de pilotage de base étaient ainsi mis à jour et nous permettaient de commencer la démarche «assurance qualité» au niveau opérationnel sur de bonnes bases. Ce processus nous a «coûté» 2 ans! Parallèlement, les différents offices fédéraux (OFAS, OFSP) ont eu quelques difficultés à se réunir autour d’un projet commun. Cette absence de clarté et ces hésitations provoquèrent une phase difficile pour le Centre.
Finalement, l’acceptation du référentiel QuaThéDA suscita de grandes discussions entre les différents acteurs du domaine des dépendances. Une sorte de démotivation planait alors sur le projet Qualité au Torry. Cependant, l’aide et l’implication de GCN dans le projet QuaThéDA permit un réel redémarrage. Les exigences sont devenues concrètes, et un véritable soutien a été donné aux institutions à travers des outils de travail clairs et des étapes bien guidées, qui constituaient un accompagnement sur le terrain. Malheureusement, les exigences liées au temps étaient devenues bien courtes.
L’équipe des collaborateurs s’est trouvée face à deux contraintes difficilement conciliables. Une difficulté a fait surface, celle de gérer à la fois le travail prévu dans les différents programmes et l’investissement en temps nécessaire pour des séances qualité, sans compter les imprévus tels que des remplacements «accidents, maladies». Ainsi, dans un souci de faire avancer les travaux, le groupe Qualité s’est de plus en plus chargé de l’élaboration des documents.
De plus, même si le Centre disposait déjà de nombreux documents, un phénomène de «réécrire» s’est installé. Le cercle de l’amélioration continue commençait déjà avant la mise en place concrète du système. La réflexion autour de la Qualité nous a fait prendre conscience de plus en plus d’éléments, et l’adaptation d’un document a entraîné l’adaptation des autres documents existants. Ce phénomène est alimenté par une équipé d’intervenants professionnels, qui se soucient avec rigueur d’une cohérence institutionnelle. Cette démarche fut réellement de grande qualité. Elle a demandé simplement des moyens importants en temps et en ressources humaines ; et pour cela, ni le canton ni les offices fédéraux n’ont pu mettre de moyens supplémentaires à disposition. Des heures supplémentaires furent inévitables. Une certaine fatigue et des moments de ras-le-bol commencèrent à influencer le climat agréable de travail régnant habituellement dans notre Centre.
Un autre inconvénient, contraire aux règles de la gestion, s’est insinué assez rapidement dans ce processus de mise en place du système. La Qualité est par trop devenue l’affaire d’un sous-groupe de personnes. Nous aurons encore passablement besoin de temps, pour que chacune et chacun puisse intégrer progressivement l’ensemble des aspects qu’englobe QuaThéDA.
Cette démarche de mise en place d’un système Qualité au Torry s’est dans son ensemble avérée très riche. Elle a aussi correspondu à une évolution des pratiques et à une réflexion constante visant l’amélioration continue. Ce bilan plutôt positif nous fait donc apprécier les difficultés rencontrées avec un certain recul. L’engagement sans compter de quelques personnes y a été pour beaucoup.